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Orphan Black, de l’eugénisme à la démesure

Alors qu’elle se dirige doucement vers sa dernière saison, la série Orphan Black continue d’aborder des thématiques nouvelles et importantes.

« Le sacrifice de soi-même n’est pas difficile lorsqu’on est brûlé par la passion d’une grande aventure. Et il n’y a pas d’aventure plus belle et plus dangereuse que la rénovation de l’homme moderne. », Alexis Carrel, L’Homme, cet inconnu (1935).

Entre science-fiction et mythes, la série canadienne Orphan Black, crée par Graeme Manson et John Fawcett, s’intéresse au très polémique eugénisme. Elle s’interroge sur le futur de l’humanité, ses abominations ainsi que l’importance de l’identité collective et individuelle. Elle se joue de l’illégalité et des tabous, proposant un scénario original dont le nœud est l’éthique et ses limites. C’est l’hubris grecque (démesure) de l’homme qui est dénoncée : créer un homme nouveau, un enfant parfait grâce à une science aseptisée. L’eugénisme est le culte moderne, indicible et incontrôlable. Cependant, c’est à travers les clones que se déroule l’histoire. On s’y attache et Orphan Black humanise la science du clonage.

Alors en cavale, Sarah Manning (Tatiana Maslany) est témoin du suicide d’une jeune femme lui ressemblant comme deux gouttes d’eau. Marginale et orpheline, elle lui vole son identité. Mais c’est sur la sienne que la lumière de se fait : elle est un clone, fruit d’expériences néo(-évo)lutionnistes. Entourée de ses fameuses « sestra », elle est la cible d’un tueur tentant de les éliminer unes à unes. Sarah est plongée dans un monde froid au sein duquel les docteurs, les généticiens et les militaires règnent en toute impunité à l’abris, au creux de l’ombre. Elle découvre qu’elle est un produit, fabriquée par le projet secret LEDA conduit par Susan et Ethan Duncan dans les années 80.

Un sombre courant sous jacent se développe alors derrière le docteur Leekie : les néolutionnistes. Ces-derniers infiltrent le projet, l’altérant. LEDA est ainsi repris par l’institut Dyade, lui-même financé par la dangereuse et mystérieuse multinationale néolutionniste Topside. En biologie, le terme dyade fait référence à un ensemble de deux chromosomes accouplés au moment de la première mitose de maturation, l’une d’origine paternelle, l’autre maternelle. En grec, dyade signifie 2. Dans la série, le personnage clef à l’origine de la séquence chromosomique du projet LEDA est Kendall Malone, ayant fusionné avec son frère jumeau dans le ventre de leur mère. Par ailleurs, les néolutionnistes et les militaires se sont alliés pour développer en parallèle le projet CASTOR : le visage masculin du projet LEDA.

Tous les clones féminins sont joués par la même actrice : l’époustouflante Tatiana Maslany. Elle n’incarne pas moins de 10 personnages. La production utilise la technique dite du « contrôle du mouvement » permettant de superviser la camera et ses déplacements par l’intermédiaire d’un système informatique. Les mouvements ainsi programmés peuvent alors être répétés, dupliqués ou encore modifiés de manière extrêmement précise. Les scènes où les clones interagissent sont tournées autant de fois qu’il y a de clones, puis sont filmée une dernière fois à l’aide de la camera contrôlant le mouvement. Maslany travaille avec une doublure, Kathryn Alexandre. Alexandre l’aide beaucoup à créer les différents personnages et joue dans les plans où les clones sont de dos. Lorsque Tatiana s’adresse à un clone situé hors champs, elle parle en réalité à une balle de tennis. En outre, la jeune femme a constitué une playlist pour chacun de ses personnages reflétant leurs caractères. Elle utilise la dance afin de développer leurs particularités gestuelles, leurs postures et leurs psychologies. Enfin, le personnage de Cosima est un clin d’œil à l’historienne en science Cosima Herter, consultante du show. On lui doit les titres des épisodes : ceux de la saison 1 se fondent, par exemple, sur L’origine des espèces de Darwin ou encore, ceux de la saison 2 sont relatif au travail de Francis Bacon.

Orphan Black unit des thèses de fictions futuristes à un background de folklore mythologique et imprime une touche d’authenticité à un scénario catastrophiste. C’est un jeu de création entre ce que l’on invente et ce qui existe déjà. LEDA et CASTOR vise à mettre au monde des clones parfaitement viables. Les clones sont brevetés, numérotés et minutieusement contrôlés. Sarah et Helena sont les seules à pouvoir enfanter car lors de la conception, Dyade n’avait pas encore la main mise sur le projet. La stérilisation des clones a pour but de les empêcher de se reproduire.

Dans la mythologie grecque, Léda est mariée au prince de Sparte, Tyndare. Elle possède une généalogie très trouble. Ce véritable rideau de fumée n’est pas l’effet du hasard. Léda ne serait pas une simple mortelle mais une divinité qui plongerait ses adorateurs dans le malheur. Léda est dite née de la Terre et de la Faim. Lors d’un sacrifice, Tyndare oublia de réserver une part à la déesse de la procréation, Aphrodite, qui voulu se venger. Elle se transforma en aigle et chassa Zeus, alors cygne, l’amenant à la belle mortelle, Léda. Sous le charme, le cygne la couvrit de caresse. Naquit alors d’un premier œuf : Pollux et Hélène, enfants de Zeus puis d’un second œuf : Castor et Clytemnestre, les enfants de son mari mortel Tyndare. Les œufs de Léda font échos au clonage reproductif, une méthode de reproduction artificielle employant le technique du clonage.

Dans l’Iliade, Castor et Pollux, appelés Dioscures, symbolisent les jeunes gens en âge de porter des armes. De la même manière, leur éternel chassé-croisé incarne l’harmonie de l’univers. Castor est mortel contrairement à Pollux : il est voué aux enfers. Les enfants de la reine Léda mettent malgré eux le monde à feu et à sang. C’est l’histoire de la belle Hélène, à l’origine de la guerre de Trois, que Castor et Pollux protègent et sauvent.

Les mythes invoqués dans Orphan Black raisonnent en cœur avec les problématiques contemporaines de l’eugénisme et de la conception. Que sont les clones ? Des surhommes, divinités chtoniennes ou au contraire, des abominations, vouées aux Enfers ? Léda, emblème controversée, subit les foudres du Cosmos : il faut qu’Aphrodite obtienne réparation suite à l’outrage de Tyndare. Semblable aux clones, elle ne peut rien y faire. Elle évoque le potentiel de création de la Nature. Or ce potentiel vital est altéré car il croise le chemin du divin Zeus, ici, il s’agit de la divine Science.

L’eugénisme est l’ensemble des méthodes et pratiques visant à intervenir sur le patrimoine génétique de l’espèce humaine afin de le faire tendre vers un idéal déterminé. L’eugénisme alimente la culture de l’enfant parfait, une recherche intemporelle que Brightborn traduit dans la série. L’eugénisme développé par les néolutionnistes, dans Orphan Black, est motivé par la peur de la décadence et de la dégénérescence de la race humaine. C’est l’hubris de l’homme, sa démesure : les scientifiques sont des dieux, les nouveaux Chronos et Gaïa. Orphan black dénonce le risque des dérives de l’eugénisme alors élevé comme idéologie, sans aucun garde-fous. C’est le dégoût du désordre, de la matérialité organique motivé par des courants hygiénistes, au cœur des sociétés occidentales.

L’histoire des expériences scientifiques eugénistes dans Orphan Black colle à la réalité. Par exemple, le « Cold River Institute » fait référence au « Cold Spring Harbor Laboratory », fondé au XIXe siècle. Il s’agit d’un centre de recherche dans le domaine de la génétique. Or dans la réalité le clonage humain n’était pas possible en 1985, pas plus qu’il ne l’est à présent. Le premier succès dans ce domaine se produit le 5 juillet 1996 : Dolly, une brebis clonée à partir d’une cellule adulte, naît. Mais elle vieillie prématurément, sujette a beaucoup de maladies. Elle est euthanasiée en 2003. Le clonage humain est massivement rejeté dans le monde entier pour des raisons éthiques et sanitaires. C’est la boite de Pandore, mais cette boite est déjà bien entrouverte.

Orphan Black ne s’arrête pas au clonage : la série s’intéresse aux femmes avant tout. On ne compte pas le nombre de figures féminines. Ces femmes portent la vie dans ce qu’elles la dirigent et proposent une nouvelle approche de la procréation. Le titre de l’épisode 5 de la saison 4 fait référence aux travaux de Donna Haraway, détenant la chaire d’histoire de la conscience à l’université de Californie à Santa Cruz. Elle est l’auteur de plusieurs livres croisant la biologie et le féminisme. En 1991, elle publie « A cyborg manifesto », ouvrant alors la voie au cyber féminisme. La figure de la femme est sacralisée mais paradoxalement ce n’est que parce qu’elle s’émancipe de son corps, du déterminisme du genre et du sexe. Si la femme est un réceptacle pour la Science, comme Léda l’est pour le cygne Zeus, elle se libère alors de toute étreinte charnelle. « Je préfère être cyborg que déesse » (Haraway).

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