Depuis novembre dernier, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a ouvert ses auditions sur l’avenir des programmes de « scripted-reality ». Décryptage de la success-story du nouvel ovni qui envahit nos TV.
Le phénomène n’épargne aucune télé. Alors que la tendance audiovisuelle est au transgenre depuis plusieurs années avec des programmes de docu-fiction, de téléréalité, ou d’infotainment (information et divertissement), le dernier qui vient compléter la série est la « scripted-reality ». En français « réalité scénarisée », elle se définit comme un mélange de fiction et de téléréalité, élaborée à partir de critères empruntés à d’autres genres télévisuels.
DES CODES DE NARRATION CONTESTABLES
Les chaînes généralistes sont envahies par ces programmes de divertissement qui se combinent à la reconstitution de faits divers (Au nom de la vérité sur TF1, Le jour où tout a basculé sur France 2, Face au doute sur M6), alors que la TNT adopte les codes de la téléréalité et du reportage (Hollywood Girls et Les Anges de la téléréalité sur NRJ12, Les Ch’tis sur W9). Et pour donner de la forme à ce gloubi-boulga télévisuel que même le CSA n’arrive pas à déterminer, les producteurs usent de certains ingrédients.
La bonne recette d’une « scripted-reality », c’est donc :
- une histoire (plus ou moins vraie) : le scénario s’appuie sur des faits réels (meurtres, problèmes familiaux, justice …) ou sur une histoire fictive, souvent improvisée par les acteurs.
- des codes de narration douteux : le jeu et le discours des acteurs non-professionnels tombent parfois dans la caricature. Et pour cause, l’inspiration vient des « reality-dramas » américains comme The Hills. La pauvreté des dialogues rend parfois le programme assez cocasse, comme le souligne Pierre Sérisier, journaliste du quotidien Le Monde, sur son blog :
Parce qu’il n’est même pas la peine de s’interroger sur le jeu des acteurs. Parce qu’il suffit de regarder les images et de se laisser bercer par le ronronnement de dialogues […].
- des comédiens amateurs : ces acteurs sont des personnages cultes issus de la téléréalité, déjà connus du public, ou des personnes recrutées sur casting. C’est le cas de Marion, 44 ans, qui a joué dans un épisode de Face au doute, et qui garde un souvenir traumatisant de son audition :
Après avoir été sélectionnée pour le casting, on m’a donné une intrigue et j’ai dû improviser. Le thème était : « J’apprends que mon mari est mort dans un accident, ma fille s’absente et se fait violer par le voisin. Une personne tue le violeur avec une pelle. » […] Le casting m’a traumatisé pendant une semaine. Le soir, j’en pleurais presque.
- un titre à l’eau de rose : avec des épisodes intitulés « Je n’arrête pas de penser à lui » ou « J’ai tellement peur », les programmes renvoient une image de soap-opera moderne, qui évoque des moments de la vie auxquels tout le monde peut s’identifier.
- un format temps plutôt court : la durée moyenne d’un épisode oscille entre une vingtaine et une cinquantaine de minutes.
Un portrait de la « scripted-reality » qui prête à la critique, mais qui trouve sa place auprès du public et se développe à vitesse éclair depuis le lancement d’Hollywood Girls en mars 2012. Le succès de la saison une qui s’était limitée à 25 épisodes, a permis à la deuxième d’en produire 71.
UN PROGRAMME DE CRISE
Si ces programmes affichent de bons scores d’audience, c’est parce que les producteurs réalisent d’importantes économies. Crise économique oblige, les médias en sont eux aussi des victimes. Les chaînes privilégient désormais l’achat de programmes à faible coût. Dans une interview accordée à 20 Minutes, le producteur d’Hollywood Girls, Thibaut Vales, a donné les chiffres : un budget de 30 000 à 50 000 euros pour produire un épisode, soit près de trois fois moins que pour une série française comme Plus Belle La Vie.
Et malgré un portefeuille relativement restreint qui permet de faire des économies sur la production et le casting, le programme séduit. Les audiences atteignent souvent des records : Hollywood Girls a permis à NRJ12 de se positionner plusieurs fois 2ème chaîne nationale sur les 15-24 ans avec des parts d’audience à deux chiffres en 2012. Conséquence ? De nouvelles « scripted-realities » voient le jour pour concurrencer leur modèle.
L’invasion des programmes sur les chaînes du service public a entamé une polémique qui sévit au sein du CSA et des dirigeants. La ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, s’est montrée particulièrement défavorable à la profusion du genre. Consciente du contexte de crise, elle avait évoqué sur France Inter la nécessité d’une véritable politique culturelle française, en précisant que « la scripted-reality n’a pas sa place sur le service public ».
Réécouter l’émission ► Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de… par franceinter
L’AVIS DE FRÉDÉRIC MARTEL
Journaliste et sociologue, Frédéric Martel est un spécialiste des médias et du soft power. Pour lui, la « scripted-reality » semble marcher dans les pas de la téléréalité, en adoptant les codes du programme social. Le mélange de fiction et de réalité, qui fait toute la complexité du nouveau genre, permet selon lui de susciter l’intérêt du téléspectateur.
Je crois profondément que la télévision consiste à toujours se renouveler. Les séries télévisées (« scripted tv ») continuent à bien marcher, partout dans le monde (télénovelas, feuilletons du ramadan, dramas, etc.). La téléréalité permet d’ajouter une expérience « live » ou du moins « unscripted » qui laisse penser que les choses se passent plus près de la vie, de la réalité.
Entre la série et la téléréalité, il y a de nouvelles passerelles. Pour éviter la dispersion et au fond le programme inintéressant, il faut du « scripted » (de la fiction). Mais pour laisser une place au hasard, il faut de la réalité. Tout se mêle.
L’hybridité des genres audiovisuels donne naissance à une polémique qui divise. Fiction, magazine ou téléréalité moderne ? Une chose est sûre, le CSA et les professionnels de la télé devront être unanimes sur le classement de la « scripted-reality ».
Maxime Gasnier