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Pourquoi la théorie du « grand remplacement » se répand partout ? 

Longtemps marginale, cette théorie complotiste sur l’immigration s’impose dans le débat public à l’échelle internationale. Au Maghreb, elle nourrit désormais un discours raciste de plus en plus visible.

Une théorie née en Europe et popularisée par l’extrême droite

L’expression « grand remplacement » est apparue dans les années 2010. Elle est notamment attribuée à l’écrivain français Renaud Camus, qui théorise dans un essai auto-édité une prétendue substitution des populations « de souche » par des immigrés, principalement originaire d’Afrique ou du Moyen-Orient. Un concept d’extrême droite qui repose notamment sur une lecture démographique biaisée, sans aucuns fondements.

Le terme devient un slogan politique avec l’ascension d’Éric Zemmour, qui en fait un axe central de son discours. Mais l’idée n’est pas neuve. Dès 1968, le député britannique Enoch Powell affirmait d’ores et déjà dans son discours des Fleuves de sang que l’immigration conduirait pour un pays à « dresser frénétiquement son propre bûcher funéraire.« 

Depuis, le « grand remplacement » est devenu un mythe politique transnational. Il évoque la peur d’une disparition culturelle ou identitaire, souvent présentée comme intentionnelle, orchestrée par des élites complices de la mondialisation. Le récit repose sur deux piliers. D’une part, la nostalgie d’un passé idéalisé, ethniquement homogène et d’autre part l’annonce d’un avenir chaotique causé par l’immigration. Dans plusieurs pays occidentaux, cette théorie a justifié des discours politiques radicaux, des mesures migratoires restrictives et même parfois des actes populaires violents et racistes.

Un discours en plein essor au Maroc

Au Maroc, le discours du « grand remplacement » a trouvé un nouvel écho. Depuis plusieurs semaines, des publications racistes visant les migrants d’Afrique subsaharienne prolifèrent sur les réseaux sociaux. TikTok, Facebook ou Instagram relaient des messages accusant ces migrants de vouloir « remplacer » la population locale.

L’Institut Prometheus pour la démocratie et le Conseil civil contre les discriminations alertent sur une « vague alarmante » de discours racistes. Les contenus relayés s’appuient sur des représentations déshumanisantes. Ces discours, affirment les ONG, contribuent à légitimer des violences physiques, psychologiques et administratives.

Le phénomène s’explique en partie par le climat migratoire. Le Maroc opère un certain rôle dans le contrôle des flux migratoires vers l’Europe. En échange de financements, Rabat accepte de limiter les départs vers le continent. Cette politique, portée par l’Union européenne, accentue les tensions autour des populations migrantes notamment au Maroc.

Les ONG dénoncent des refoulements vers les frontières algériennes ou mauritaniennes, des détentions illégales et des conditions de vie dégradantes. L’Association marocaine des droits humains appelle à une révision des accords avec l’UE, qui ne prévoient pas de garanties claires en matières de respect des droits fondamentaux.

@brutafrique

🇱🇾En Libye, les autorités ont suspendu 10 ONG internationales, dont Médecins sans frontières, les accusant de vouloir « modifier la démographie » du pays en y installant des migrants subsahariens. On te raconte.

♬ son original – Brut Afrique

Un argument qui gagne du terrain dans tout le Maghreb

La théorie du « grand remplacement » dépasse les frontières marocaines. En Libye, les autorités ont récemment expulsé dix ONG, dont Médecins sans frontières. Elles les accusent de vouloir modifier la « composition ethnique du pays » en soutenant les migrants d’Afrique subsaharienne. Le ministère de la Sécurité intérieure libyen parle de « sabotage démographique« . En Tunisie également, des discours similaires émergent dans les sphères politiques. Certains responsables évoquent un risque de « perte d’identité« , en des termes proches de ceux employés par les figures d’extrême droite européenne. Cette théorie est souvent amplifié par les tensions sociales et la crise économique.

Le sociologue marocain Mehdi Alioua rappelle que ces discours trouvent également racine dans l’histoire. L’esclavagisme, aboli tardivement au Maghreb, notamment au Maroc, a laissé de profondes séquelles dans la représentation des personnes noires. Aujourd’hui encore les migrants d’Afrique subsaharienne sont appelés « les Noirs » ou « les Africains« . Ce qui est paradoxale alors même que les Marocains et plus largement les Maghrébins sont eux-mêmes africains.

Les militants antiracistes et les associations humanitaires sont régulièrement visés. En 2023, le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (Gadem) a été attaqué en ligne pour avoir demandé une réforme en matière de droits humains et droit des étrangers. Certains l’accusaient alors de « déstabiliser la génétique marocaine« .

La théorie du « grand remplacement » s’exporte de nos jours bien au-delà des pensées extrémistes européennes. Elle trouve un terrain fertile dans des pays confrontés à la pression migratoire et aux contractions des politiques européennes. Si elle reste sans base scientifique concrètes, elle produit des effets bien réels. Entre stigmatisation, violences et atteintes aux droits, sa banalisation appelle à une vigilance accrue.

A lire aussi : C’est quoi les “fachatubers”ces influenceurs proches de l’extrême droite en Espagne?

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