Dans une interview accordée à El Pais, le réalisateur de « Mommy » et « Laurence anyways » a confié vouloir mettre un terme à sa carrière de réalisateur
Désenchantement face au métier
Le réalisateur québécois, adulé par toute une nouvelle génération de cinéastes, a confirmé ses véléités de rupture avec le monde du cinéma. Ce désenchantement s’explique notamment par le succès commercial très relatif de sa série, La nuit où Laurent Gaudreault s’est réveillé, qui n’a été diffusée que dans quatre pays (le Canada, la France, le Japon et l’Espagne). Dans les colonnes du Figaro, il a déclaré « Je n’ai rien gagné avec la série [La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé]. J’ai investi mon salaire dans la production et mon père a dû me prêter de l’argent ». C’est sans compter ses deux derniers films Ma vie avec John F Donovan (2018) et Mathias et Maxime (2019) qui n’ont apparemment pas non plus eu le succès escompté.
Au-delà des préoccupations financières ou artistiques, on remarque une lassitude, un manque d’entrain évident vis à vis de la profession. En début d’année, sur le site Première, il confiait à propos des films : « Je n’ai pas envie d’en faire, d’en écrire, d’en réaliser, d’en promouvoir. De porter un projet à bout de bras durant deux ans (…) calculer ce que je vais porter à une première, ce que je vais dire dans une interview, comme je vais m’habiller pour une couverture… Ça ne me fait plus envie. Ça ne m’intéresse plus. » L’ingratitude du métier a pris le pas sur l’excitation de réaliser et d’accompagner de nouvelles oeuvres. Après son premier film, présenté à Cannes à l’âge de 20 ans, l’innoubliable J’ai tué ma mère, sept autres long métrages, deux pubs et une série ; Xavier Dolan aura marqué durablement et ce, en à peine dix ans, le cinéma français, canadien et international.
Cette abdication, révélatrice d’une profession trop ingrate ?
A seulement 32 ans ce réalisateur hors pair semble raccrocher pour de bon. Un égo trop peu flatté pour les oeuvres qu’il réalise ? Ou bien une triste vérité sur le manque de rétribution du milieu ? Sans doute un peu des deux, cependant il part. Comme s’il faisait tout plus tôt que les autres. Comme un Rimbaud en poésie ou un Radiguet en littérature, l’acteur-réalisateur-scénariste-producteur qui avait gagné le prix du Jury à Cannes en 2014, pour son film « Mommy », et inspiré toute une génération grâce à un discours formidable, n’a plus cette « énergie créative ». Énergie primordiale et nécessaire à la création de grandes oeuvres. En tout cas pour ce qui est du cinéma. Il travaillerait en ce moment sur une série HBO car il s’y est engagé, pour ensuite réaliser des publicités. Son goût certain pour la mode ne nous est pas étranger, de plus ce domaine ne manquera certainement pas de le rétribuer.
« Je n’ai plus l’envie ni la force de consacrer deux ans à un projet qui est à peine vu. Je mets trop de passion dans mes projets pour encaisser tant de déceptions. Je finis par me demander si mon cinéma est mauvais et je sais que ce n’est pas le cas »
Xavier Dolan, rapporté par 20minutes.
En attendant le prodige du cinéma canadien s’offusque de l’intolérance qui ne cesse de grandir à travers le monde, il redoute une guerre civile, en poussant le cynisme à son paroxysme, une de ses déclarations dans 20min l’atteste : « Je ne vois pas l’intérêt de raconter des histoires quand tout s’effondre autour de nous. L’art ne sert à rien et se consacrer au cinéma est une perte de temps » exagère t-il. Il avait également déclaré auprès de Première en début d’année : « Je vais construire une maison où je me réfugierai avec mes amis et je vais regarder le monde brûler« . Un programme peu réjouissant, mais ne désespérons pas, bien des artistes ont parfois besoin de se ressourcer, se réinventer, pour revenir et raconter des histoires encore plus fortes, car après tout, réaliser, c’est à priori ce qu’il sait faire de mieux…