La nouvelle production de Pierre Audi à l’Opéra Bastille ne fait pas l’unanimité, les critiques comme vous avez pu les lire sont très mitigées. Et pour tout vous avouer, même au sein de notre Rédaction, nous avons des avis divergents ! Cependant, considérant le tonnerre d’applaudissements, et les échos du public, à la fin, il s’agit pour l’Opéra de Paris d’un franc succès.
Malgré quelques choix de décors et de mise en scène parfois oppressants comme la titanesque croix qui envahit la scène dès le I et demeurera tout au long de l’opéra, il faut tout de même reconnaître qu’il fallait de l’audace pour cette nouvelle production.
Très surprenant, et presque anxiogène, l’espace scénique du I, froid, gris, sombre, représente Sant’Andrea della Valle. Et la fameuse croix, clef de voûte de cette production est dès lors piétinée par Scarpia qui annonce son cruel agenda. Suite au dialogue jaloux puis tendre entre Tosca et son Mario. L’idée de cette structure en croix est néanmoins intéressante, surtout quand elle met en abîme un office. Elle symbolise les choix de la production d’accentuer le côté religieux, passionné et politique de cet opéra. Le jeu de lumières engagé tout au long de la production reste comme bien souvent spectaculaire et cohérent, souvenons nous de la prestation de Diot lors de La Traviata, la prestation de Kalman est remarquable dans Tosca. Au II, changement total d’univers, les couleurs chaudes, rouge du Palais Farnèse permettent au spectateur de rentrer véritablement dans les décors, presque d’y ressentir une certaine confiance après un premier acte sombre esthétiquement. Le sentiment de malaise face à l’horreur de l’intrigue de cet acte peut véritablement s’installer. La violence de Scarpia envers Floria et son amant, choque davantage dans cet environnement chaleureux.
En fonction des interprètes car rappelons qu’il y a plusieurs castings différents, les rôles sont inégaux. Ludovic Tézier a été très apprécié, G. Gagnidze un peu moins sur le plan vocal. Il faut dire que les deux chanteurs n’ont pas du tout la même vision du rôle, en tout cas, c’est ce que l’on ressent.
Gagnidzé en Scarpia, nous livre une interprétation solennelle à l’intensité bestiale dans le chant. Ses basses manquent un peu de puissance. Dans le II, les constrastes et nuances ne sont pas très variés. Il a certes, une tessiture très boisée et une présence imposante, mais ne nous a pas fait ressentir l’aspect menaçant de ce méchant emblématique et sadique de l’opéra italien.
Martina Serafin, a pu sembler un peu légère dans le premier acte, où elle tenait davantage d’une jeune première sur le plan vocal que d’une diva mature. Pourtant, il s’agit d’une figure féminine propre à l’œuvre de Puccini et de Victorien Sardou. La soprano a une belle intonation dramatique dans son ensemble. Elle est très nuancée dans ses trilles, et met beaucoup de couleurs dans son interprétation.
On a remarqué que dans le II, ses attaques de vocalises s’avéraient puissantes, ses crescendo efficaces, comme des échos de douleur. Ses tremolo sont puissants comme des cris, ce qui s’oppose à sa douceur et piété du I. Son langage corporel est très explicite dans le huis clos avec Scarpia, bonne tenue des notes longues jusqu’à la finale qu’elle pose avec délicatesse, dans une prière emprunte de musicalité et d’émotion.
Dans le III, ses trilles sont suaves, passant de la douleur lancinante à la gaieté retrouvée face à Mario. Un détail un peu dommage, ses aigus manquent de rondeur mais son continuo est remarquable. Son suicide, ou plutôt sa transfiguration (comme l’a souhaité P.Audi) est un choix étonnant, qui atténue quelque peu la dimension tragique du final.
Le ténor Marcelo Alvarez dans le I, a une puissance vocale raisonnable et forme esthétiquement un beau duo avec Martina Serafin. Musicalement il est très bon avec ses contrastes mutins pour mimer son attachement et son attendrissement envers Floria. Dans le II, lors de la chasse à l’homme orchestrée par Scarpia, son rire de vocalise est bien mené sur une nuance lacrymale. Dans le III, à la potence, ses accents de désespoir sont subtils dans le « E lucevan le stelle ».
Dans le III, l’ouverture avec le berger nous a profondément émue.