Alors que les 4 saisons de Sherlock vont arriver sur Disney+ le 7 septembre, retour sur la création d’une série phénomène.
Cette série, née en 2010, qui revisite le célèbre et mythique personnage de Sherlock Holmes à notre époque, est devenue un véritable phénomène outre-Manche et suscite un engouement dans le monde entier. Elle a fait de Benedict Cumberbatch une star qu’Hollywood s’arrache et a relancé la carrière de Martin Freeman.
L’idée
Steven Moffat et Mark Gatiss passent beaucoup de temps en train entre Londres et Cardiff durant la production de Doctor Who. Et que font ces deux scénaristes et amis durant ces trajets ? Ils parlent sans s’arrêter de leur amour pour Sherlock Holmes. Ils tombent d’accord sur le fait que leurs films préférés sont ceux avec Basil Rathborne et en particulier les adaptations dans l’Angleterre des années 40 et se disent avec regret qu’un jour, ce personnage mythique sera adapté à l’époque moderne et qu’ils ne l’auront pas fait. Il se trouve que Steven Moffat est marié à Sue Vertue, productrice, qui lui dit que s’il veut voir une adaptation moderne de Sherlock Holmes, il n’y a rien de plus simple : il n’y a qu’à la faire ! La série est donc co-créée par Steven Moffat et Mark Gatiss. Pour chaque saison de trois épisodes, les deux co-créateurs écrivent un scénario chacun. Steven Moffat ne se présente pas comme co-scénariste car même s’il discute de la trajectoire et d’éléments de chaque saison avec Mark Gatiss, chacun est seul pour écrire le scénario de ses épisodes.
Ces Sherlock et Watson des temps modernes sont donc jeunes, on les découvre au moment où ils se rencontrent. Chez Conan Doyle, les aventures du célèbre détective sont vues à travers la vision de Watson qui les met sur papier. Chez Steven Moffat et Mark Gatiss, John Watson tient un blog racontant leurs aventures. Pour les deux co-créateurs, au-delà de la jubilation de suivre les brillantes déductions de Sherlock Holmes, l’âme de l’œuvre de Conan Doyle est de montrer une forte amitié entre deux hommes, ce qui est très rarement montré dans les fictions. Ils prennent donc un grand plaisir à écrire cette amitié et de montrer à quel point ces personnages s’adorent.
Les sources d’inspiration
Le matériau de base est bien évidemment l’œuvre de Conan Doyle. Pour Steven Moffat et Mark Gatiss, il ne s’agit pas de seulement prendre le personnage de Sherlock Holmes et de le transposer à l’époque moderne en faisant quelques clins d’œil à la mythologie de Conan Doyle. Selon eux, tout l’univers de Sherlock Holmes doit être intégré car ce personnage a été écrit comme un contemporain de son époque. Il était diablement en avance sur son temps sous l’ère victorienne, il n’y a aucune raison qu’il ne trouve pas naturellement sa place dans l’ère moderne et qu’il soit féru de nouvelles technologies. Steven Moffat et Mark Gatiss prennent donc un malin plaisir à retravailler les nouvelles de Conan Doyle, les mélanger, prendre des éléments de l’une ou l’autre pour construire chaque épisode. Tout le challenge pour ces deux co-créateurs tellement fans de l’œuvre de Conan Doyle a été de rester fidèle à ce si riche matériau de base et de le rendre évident pour le public actuel, pour la façon actuelle de raconter des histoires.
Un film a particulièrement marqué les deux co-créateurs : The Private Life of Sherlock Holmes, sorti en 1970 et signé Billy Wilder. On y suit une aventure qui mène Sherlock Holmes (Robert Stephens) et Watson (Colin Blakely) sur la piste de dangereux espions. Beaucoup d’éléments qui font le succès de Sherlock y sont réunis : la profonde amitié qui lie les deux personnages, l’ambiguïté sur une possible relation amoureuse entre eux, de l’humour et Mycroft (Christopher Lee) en chef des services secrets britanniques.
Le casting et les personnages
Benedict Cumberbatch est presque un acteur inconnu avant Sherlock. Il commence à se faire un nom dans le milieu théâtral londonien, il a fait forte impression en interprétant Stephen Hawking et Vincent Van Gogh dans deux téléfilms pour la BBC, il a eu plusieurs rôles à la télévision, mais rien qui ne suscite l’attention du grand public. En le voyant sous les traits d’un aristocrate malsain dans le film Atonement, Steven Moffat et Sue Vertue savent qu’ils tiennent leur Sherlock. Ils voient en Cumberbatch l’acteur parfait pour incarner un personnage jeune et moderne, mais capable d’être tel Basil Rathborne. Mark Gatiss, qui a déjà joué aux côtés de Benedict Cumberbatch, lui propose donc le rôle et l’acteur accepte avec joie. En seulement une saison de trois épisodes, le jeune acteur inconnu du grand public est devenu internationalement connu, déchaînant des hordes de fans baptisées Cumberbitches (devenues récemment Cumbercollective) partout dans le monde. Le Sherlock Holmes de Steven Moffat et Mark Gatiss est un sociopathe coupé de ses émotions et des autres. Mais il est avant tout un enfant gâté et impatient qui va devoir apprendre à devenir un homme. Et Watson va l’y aider.
S’il a été une évidence de trouver Sherlock, il n’en a pas été de même pour trouver Watson. Plusieurs acteurs, dont Martin Freeman, déjà connu pour son rôle dans The Office, étaient en lice pour le rôle et la production n’arrivait pas à se décider. Elle décide alors de proposer des essais avec Benedict Cumberbatch pour trouver la perle rare. Lorsqu’arrive le tour de Martin Freeman, Steven Moffat et Mark Gatiss n’ont plus aucun doute possible : le duo Holmes/Watson dont ils rêvent dans leur série est là sous leurs yeux. L’alchimie entre les deux acteurs est immédiate et Benedict Cumberbatch expliquera que le jeu de Martin Freeman le pousse à élever le sien. Parmi les prétendants au rôle de John Watson se trouvait Matt Smith, qui est devenu peu de temps après le 11ème Doctor dans les saisons 5 à 7 de Doctor Who. Le John Watson imaginé par Steven Moffat et Mark Gatiss est tout sauf un faire-valoir. La série s’appelle Sherlock, mais la vedette de la série est l’amitié entre Sherlock Holmes et John Watson. John Watson, ce médecin militaire revenu du front avec une blessure psychologique, cet homme tellement seul, cet homme qui a soif d’action. La première saison est celle de la rédemption de Watson, la deuxième est celle de l’humanisation de Sherlock.
Mycroft Holmes, frère aîné de Sherlock, a toute sa place dans la série et c’est Mark Gatiss qui l’interprète. Il n’était pas vraiment prémédité que ce soit lui qui l’incarne, mais lorsqu’est venu le moment de décider de l’acteur, le choix s’est tout naturellement porté vers le co-créateur qui est également comédien.
On peut difficilement adapter Sherlock Holmes sans faire apparaître Mrs Hudson. C’est Una Stubbs qui l’incarne. Cette actrice connaît Benedict Cumberbatch depuis qu’il est un enfant car elle était très amie avec Wanda Ventham, la mère du jeune comédien, elle-même actrice. L’affection que les deux acteurs se portent est visible à l’écran et ajoute une dimension supplémentaire au personnage de Mrs Hudson, qui n’était que bien secondaire dans l’œuvre de Conan Doyle. Pour Mark Gatiss, à l’image de Mrs Husdon, Una Stubbs est un trésor national et elle personnifie à merveille quelqu’un qui veillera toujours sur vous. Les deux co-créateurs en ont fait une figure bien plus maternelle et ils aiment l’idée d’un Sherlock si froid, si détaché de ses émotions avec le reste du monde et si attaché à Mrs Hudson, n’ayant aucun problème à lui témoigner de l’affection.
Autre personnage emblématique de l’univers de Sherlock Holmes : Lestrade, joué par Ruppert Graves. Sous la plume de Conan Doyle, ce personnage est assez secondaire, continuellement humilié par Sherlock Holmes et peu intelligent. Steven Moffat et Mark Gatiss lui rendent un bien meilleur hommage dans leur version en proposant un Lestrade compétent, attaché à Sherlock et gagnant le respect de ce dernier. Mais les deux scénaristes gardent tout de même l’image du policier souffre-douleur de Sherlock Holmes à travers le personnage du policier scientifique Anderson.
Comme le reconnait Mark Gatiss, qui joue ce personnage dans Sherlock, leur Mycroft n’est pas celui de Conan Doyle, mais celui de Billy Wilder, le réalisateur d’A Private Life of Sherlock Holmes. Les deux co-créateurs rendent largement hommage à ce film dans leurs épisodes respectifs (lire articles suivants). Steven Moffat n’a qu’un seul regret : avoir été bloqué à Los Angeles lors du tournage des scènes de Mycroft dans A Study in Pink car il aurait adoré plus que tout assister à ce moment si particulier pour lui et son ami Mark Gatiss.
Adapter Sherlock Holmes implique également de donner vie à Moriarty, son ennemi mortel. Mais les deux co-créateurs font face à une difficulté : pour eux, ce personnage a inspiré tous les super vilains les plus emblématiques et ils ne veulent pas faire de redite. Ils optent donc pour un contre-pied en castant le jeune Andrew Scott, inconnu du grand public. Leur Moriarty est un génie du crime frôlant la folie et entretenant une malsaine relation de fascination/détestation avec Sherlock.
Steven Moffat et Mark Gatiss ont également ajouté deux personnages féminins à l’univers de Sherlock Holmes, particulièrement masculin chez Conan Doyle.
C’est ainsi que le public découvre Molly Hooper, sorte d’assistante de Sherlock, totalement amoureuse de lui et sans espoir de voir ses sentiments devenir réciproques un jour. Au départ, les deux cocréateurs ne pensaient pas lui donner plus d’importance que cela, elle était seulement destinée à permettre d’introduire Sherlock. Mais ils sont tombés sous le charme de l’actrice et du personnage, qui a pris de plus en plus de place pour devenir un personnage clé du final de la saison 2. Molly Hopper a également conquis le cœur des fans.
Le pilote jamais diffusé
En 2009, Steven Moffat et Mark Gatiss présentent à la BBC un pilot de 60 minutes, intitulé A Study in Pink. La chaîne est emballée par le projet, mais inspirée par le succès de la série Wallander au format de 90 minutes, elle accepte de signer pour des épisodes de 90 minutes. Pour Steven Moffat et Mark Gatiss, il ne suffit pas de retourner quelques scènes pour les ajouter au pilot déjà existants, il faut complètement réécrire le scénario et tout tourner une deuxième fois.
Ce pilot jamais diffusé, disponible dans les bonus du coffret DVD anglais de la saison 1, n’a presque rien à voir avec la série aboutie. Même si de nombreux éléments sont déjà là, que les dialogues font déjà mouche, la magie n’opère pas tout à fait et il manque cette folie qui caractérise Sherlock. Tout est revu : le look de Sherlock Holmes et du 221b Baker Street, les scènes ajoutées avec Mycroft apportent cette dose so british et l’intrigue complexe est plus digeste, les déductions de Sherlock sont moins expédiées. Oui, si la série en était restée à ce pilot de 60 minutes, elle aurait pu être une série banale.
La réalisation
La grande force de Sherlock tient également à son identité visuelle marquante et inventive. Le nouveau tournage du pilot annonce l’arrivée du réalisateur Paul McGuigan. Plusieurs scènes de la série supposent de montrer beaucoup de texte et les scènes de déductions sont particulièrement ardues. Le réalisateur écossais ne juge pas utile d’alourdir la narration avec une multitude de plans parasites et proposent d’afficher du texte à l’écran. Steven Moffat n’est pas immédiatement séduit par l’idée, mais alors qu’il découvre des premières images en salle de montage, il est absolument convaincu. Tellement convaincu qu’il écrira plusieurs scènes d’A Study in Pink de manière à utiliser le plus possible l’effet proposé. Paul McGuigan a réalisé A Study in Pink (1×01), The Great Game (1×03), A Scandal in Belgravia (2×01) et The Hounds of Baskerville (2×02). Il n’a pas été présent pour la saison 3.
L’accueil du public et des critiques
La BBC a décidé d’avancer la diffusion de la première saison à juillet 2010. En apprenant la nouvelle, Steven Moffat et Mark Gatiss sont catastrophés : personne ne va regarder la série à cette période de l’année. Ils débarquent sur Twitter pour parler le plus possible de la série et le soir de la diffusion du premier épisode, ils sont fébrilement installés chez Steven Moffat avec Martin Freeman et Benedict Cumberbatch. À peine l’épisode terminé, les deux co-créateurs sont rassurés : Twitter s’enflamme pour ce Sherlock des temps modernes et leurs téléphonent ne cessent de sonner. Le public est effectivement au rendez-vous et les critiques sont totalement emballées. Le succès ne fait qu’allant grandissant et la diffusion de la saison 2 est déjà un événement de la télévision britannique le 1er janvier 2012. Les Anglais sont des millions rivés devant leurs petits écrans et toute l’Angleterre vibre au rythme des aventures du consultant dectective. Le final de la saison 2 est un véritable cataclysme entraînant des interrogations sans fin depuis deux ans. Toute la communication autour de la moindre info est parfaitement étudiée et met en ébullition la communauté des fans très impliqués. Les trailers sont savamment étudiés et distillés pour entretenir le mystère et l’attente. La date de diffusion de la saison 3 a été durant des mois le secret le mieux gardé de la couronne britannique et à fait l’objet de fausses pistes pour mieux surprendre les fans avec une opération surprise particulièrement bien marketée : un corbillard sillonnant les rues de Londres et donnant la date du 01 01 2014 composée avec les fleurs destinées au défunt Sherlock.