Le conformisme, c’est le désir d’appartenir à un groupe commun, de se définir par une attitude qui nous maintient au sein d’une collectivité sociale, d’une norme. Aujourd’hui, il s’exprime sur facebook, à travers pages fan et autres « communautés ». Alors que penser du « conformisme social » ?
Conformisme 2.0, le conformisme rassurant des lieux-communs
L’homme a toujours recherché l’effet de groupe. A l’heure de la génération 2.0, c’est sur les réseaux sociaux que notre besoin d’identification, de reconnaissance voire de protection (un groupe, ça rassure) bascule. Besoin d’être comme les autres, besoin d’être connecté aux autres. D’où la multiplication de ces « pages » sur facebook qui nous incitent, en nous interpellant directement (« Si toi aussi tu… », « Aime si tu… ») à rejoindre des communautés de personnes ou d’idées. Le conformisme 2.0 est donc virtuel, et prend la forme d’une page « fan », qui vole souvent (pas) très haut mais qui reste très générale, susceptible de plaire au plus grand nombre, et que chacun est libre de liker s’il juge que l’énoncé est en accord avec ses sentiments ou principes… Enoncé souvent accompagné d’une photo n’ayant aucun rapport, d’ailleurs. Autrement dit, si vous aussi vous détestez le lundi (parce que c’est la fin du week-end, parce que le lundi il fait gris…), vous êtes le bienvenu pour vous affilier au groupe. Pas d’examen, d’entretien, de contrôle, vous êtes totalement libre d’intégrer le collectif des haineux des débuts de semaine. Et l’assurance d’être acceptée, en un clic. Et c’est là, la nouveauté fondamentale. Le rejet n’existe pas.
Facebook cristallise un besoin de reconnaissance
La notion de conformisme existait bien avant l’invention des réseaux sociaux. Facebook en concrétise le besoin. Car pourquoi ces pages « aime si tu as déjà mangé du chocolat», ou « si toi aussi tu es fan de justin bieber » existent-elles ? Plus qu’un besoin d’appartenir, c’est un besoin de revendiquer l’appartenance et de communiquer. D’où la création de communautés (c’est le nom donné à ces « pages ») au sein de l’immense communauté que constitue déjà facebook. Parce qu’être facebookien, c’est montrer une partie de soi, c’est dévoiler un rameau de son intimité, en espérant que ce qu’on met à nu plaise aux amis, aux connaissances, à qui l’on veut montrer à quel point on est swag. C’est prendre un risque, que console l’appartenance à un groupe. C’est rentrer dans une case moins dangereuse que celle de l’électron libre, en agitant le drapeau de la reconnaissance, pour s’assumer voire pour se sentir supérieur. C’est une preuve sociale.
L’autre, c’est toi
Cette reconnaissance inhérente au conformisme fonctionne dans les deux sens : reconnaissance de soi par l’autre, et reconnaissance dans l’autre de soi. La nécessité de montrer qu’on appartient à un groupe cache au fond le besoin d’exister à travers le regard d’autrui. C’est ce que Sartre explique dans L’Existentialisme est un humanisme :
« Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l’autre. L’autre est indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l’autre, comme une liberté posée en face de moi, qui ne pense, et qui ne veut, que pour ou contre moi. »
L’autre est ainsi indispensable à mon existence. C’est donc par l’autre que je peux saisir réellement mon être, et accéder à une connaissance de moi-même. Je suis déterminé par l’autre, puisque l’autre, son existence, est une donnée fondamentale qui influence ma propre vie. « Si toi aussi tu… » : l’utilisation de l’adverbe résume bien l’idée.
Petit tour d’horizon (parce que c’est drôle) de ces pages
– « Aimes si tu as déjà tenu un billet de 10 euros dans tes mains <3 » (à noter que le cœur est ici indispensable, il dessert un message de paix et d’amour, il pourrait se traduire par « tu as déjà tenu un billet de 10 euros dans tes mains ? C’est cool, alors rejoins-nous dans la communauté des gens qui ont déjà tenu un billet de 10 euros entre leurs mains, tu y trouveras amour, calme et volupté.)
– « Si toi aussi tu aimes éclater les bulles en plastique » (qui n’aime pas ?)
– « Si toi aussi tu aimes manger macdo x) » (ah ! cette guerre historique entre les partisans de Macdo et les disciples de Quick…)
– « Si toi aussi ta mère raconte ta vie à tout le monde » (tous les utilisateurs de facebook sans exception peuvent rejoindre ce groupe)
– « Aime si toi aussi tu trouves que la pluie ça mouille » ( ? )
Du conformisme au communautarisme ?
Liberté chérie qu’offrent ces pages « communautaires », puisqu’elles acceptent, a priori, tout le monde. Tout le monde ? Attention de ne pas virer au communautarisme, avec la création de pages qui sont le reflet d’une communauté se basant sur la race, le sexe, l’âge, ou le physique, pour se différencier volontairement des autres, en favorisant l’exclusion. Heureusement, ces pages sont plus souvent ludiques que discriminantes… pour le moment.
On trouvera par exemple les sympathiques :
– Les renois sont les plus swaaag
– Catalogue des BG mécheux et mécheuses célibataires
– Les orientaux sont les plus beaux
– Les tismeyy sont les plus soins
Pour conclure
– vers un conformisme industrialisé : facebook matérialise un besoin de conformisme, qui s’accentue avec l’utilisation du réseau social : un peu comme un cercle vicieux. Ce besoin est d’ailleurs renforcé par les marques qui reprennent pour leur pomme la volonté de rassembler les gens ayant les mêmes idées, goûts, mode de vie en les réunissant… autour d’un produit. Poussé à son paroxysme, le conformisme industrialisé tend vers le triomphe du banal.
– vers un conformisme individuel : étrange paradoxe de l’être facebookien, à la fois conformiste et individualiste, dont le besoin d’être comme les autres et d’être unique et original est une lutte intérieure constante. Car qui dit conformisme, dit anticonformisme…
– richesse sociologique du conformisme : ces pages, malgré moultes débilités, peuvent dans certains cas représenter une richesse sociologique, par la diversité des sujets abordés, certaines pages étant consacrées à des idées, des mouvements politiques et culturels, vulgarisant des courants de pensées, et permettant l’échange. Car oui, on peut débattre de tout, même du lundi.