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La Skyrimisation des RPG est-elle irréversible ?

EDITO – Alors qu’il s’apprête à débarquer sur Switch, The Elder Scrolls : Skyrim paru initialement en 2011, a eu une très large influence sur les jeux de rôle sortis depuis. Comment l’expliquer ?

 

One game to rule them all

Difficile de ne pas voir Skyrim comme une fin en soi. Le jeu, sorti en 2011, va connaître de nouvelles rééditions. Point de refonte graphique ni de modernisation. C’est même plutôt l’inverse qui va se produire avec la sortie du jeu sur Switch (et en VR). Il est intéressant de constater que Bethesda utilise comme ballon d’essai son très usé RPG pour la Switch. Fallout 4 (dont la saga est devenu un ersatz des Elder Scrolls) suivra.

Qui n’a jamais joué à Skyrim ? Le jeu a été tellement soldé sur PC qu’il se trouve à moins de 10 euros depuis plusieurs années. Il existe à divers tarifs sur la majorité des plateformes actuelles et passées.

Enfin, Skyrim, tant repris par les youtubeurs et streamers, tant détourné par les modders, a été à la base de tant de memes, qu’il est devenu familier à ceux qui n’y ont jamais joué. Bethesda a même fait sien ce running gag de multi adaptations de Skyrim en promettant des versions SNES Mini, ou en retweetant des détournements annonçant la sortie du jeu sur box Internet.

 

 

Affluence est synonyme d’influence

Au-delà de son propre cas, on remarque une certaine uniformisation des RPG occidentaux, largement inspirés de Skyrim. Si le cinquième opus de la série The Elder Scrolls doit beaucoup à ses aînés, à l’heure des sorties d’Oblivion ou Morrowind, la concurrence semblait plus originale qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Skyrim (et dans une moindre mesure, Fallout), qu’est-ce ? Quelle est son influence réelle ?

Il s’agit tout d’abord d’un jeu où vous pouvez écrire votre propre histoire. Pas à la manière d’un Minecraft. Vous ne fabriquez pas votre monde, vous évoluez dans celui-ci. Vous choisissez l’ordre dans lequel vous effectuez les quêtes, vous décidez d’où vous voulez aller, vous décidez qui vous êtes, etc. Cela peut paraître banal aujourd’hui. Il y a 6 ans, cette promesse alléchante avait toutes les chances de décevoir le joueur. Mais pas Skyrim, qui a tenu toutes ses promesses. Sur PC, le jeu dispose en outre d’une durée de vie quasiment illimitée, du fait des mods développés par la communauté de fans.

La saga des Elder Scrolls est majeure dans l’histoire du jeu vidéo. Ayant connu un essor dans les années 90, la série de jeu a pris un tournant radicalement différent de ses petits collègues jeux de rôle de la même période. L’exploration est maître mot. L’emphase n’est mise ni sur le scénario, ni sur l’écriture, ni sur la finition, mais sur la liberté et l’exploration (ce constat a été de plus en plus vrai depuis le troisième épisode, Morrowind). Malgré un danger pressant sur votre monde, rien ne vous empêche d’aller devenir Maître Assassin ou Roi des Marchands, les dragons et leur menace attendront. Skyrim, finalement, c’est pouvoir tout faire tout de suite, sans réelle contrainte, sans second run. Peu de RPG sont si permissifs.

Les RPG occidentaux ont donc eu tendance à se conformer à ce modèle, quitte à renier ce qui faisait leur essence propre.

Skyrim

Les mods de Skyrim permettent de tout faire sur PC (Source : Game Rent)

 

Né original, mort en copie

La saga des Dragon Age est peut-être la première victime de cet état de fait. Ayant connu un premier épisode magistral, un second raté, Bioware nous a promis un retour aux sources avec Inquisition, troisième épisode de la saga, sorti en 2014, soit 3 ans après Skyrim. Promesse tenue ? Si les qualités intrinsèques du jeu sont indéniables, qui peut aujourd’hui se targuer de s’en souvenir comme d’un jeu monumental ? Probablement personne, car il ne s’agit que d’un bon jeu qui n’aura rien su créer.

En empruntant à Skyrim, Inquisition a troqué une partie de la puissance de sa narration et de son scénario contre des zones de jeu relativement grandes et vides. En essence, Inquisition a essayé de faire du Skyrim mieux que Skyrim, à travers un scénario désespérément court, un monde plutôt vide et une multitude de quêtes fastidieuses. L’énergie dépensée pour construire un vaste monde a mené au sacrifice d’une histoire que les fans souhaitaient mémorable.

Skyrim

Mass Effect Andromeda : du vide dans un bel écrin

 

Autre série phare du RPG occidental, également développée par Bioware : Mass Effect. Le dernier épisode en date, Andromeda, relatif four commercial et critique, a placé la saga en hibernation. Le fait qu’on n’y retrouve pas les sensations de la trilogie originale y est probablement pour quelque chose. Ses environnements limités et histoires linéaires permettaient un storytelling très profond et émouvant, qu’on ne retrouve évidemment pas dans Fallout ou Skyrim. Andromeda, avec la réintroduction du Mako et son focus sur la reconnaissance planétaire place l’exploration comme mantra. Rien à voir avec les épisodes 2 et 3 de la trilogie originale.

Existe-t-il encore une place pour les RPG linéaires basés dont l’intérêt réside sur leur scénario (profond, avec des zones de jeux plus étriquées mais détaillées) plutôt que sur l’exploration d’un open world ?

En portable ou en VR, l’expérience Skyrim se renouvelle encore cette année

 

Touche pas à mon RPG

Parler de RPG ne fait pas grand sens si on ne qualifie pas davantage les jeux dont on parle. Evidemment, Skyrim a eu une forte influence sur les RPG dits « occidentaux », mais de nombreux autres genre existent, et semblent épargnés par le constat évoqué ci-dessus.

Le « computer RPG », ou c-RPG en est le plus probant exemple, les jeux récemment sortis sont de très bonne qualité et de réels succès commerciaux. Il s’agit toutefois de jeux de niche, réservé à un public averti. Que ce soit Wasteland, Divinity : Original Sin ou Pillars of Eternity, les amateurs des RPG des années 90 ont de quoi être ravis. La racine de ces jeux est pourtant commune à celle des RPG a la Bethesda.

Petit point sur Pillars of Eternity cependant. Pourquoi le jeu est-il de qualité ? Car il est bien écrit. Obsidian l’a écrit. Pourquoi Obsidian sait-il bien écrire ? Car le studio regroupe principalement d’ancien des chez Black Isle (studio qui a produit d’excellents RPG narratifs dans les années 90). Qu’est-il arrivé à Black Isle ? Ils ont fait faillite et ont vendu les droits de Fallout à … Bethesda, qui a fait de la saga un Elder Scrolls avec blasters et radiation nucléaire. Le genre n’était donc pas destiné à s’uniformiser.

Skyrim

En proposant des quêtes annexes insignifiantes (ici la chasse aux grenouilles), FF XV a déçu les fans de la première heure

 

Les jeux de rôle japonais (JRPG) sont également à mettre de côté car les influences respectives entre les américains et les japonais ne sont pas toujours claires, ni heureuses. Final Fantasy XV est probablement le meilleur exemple de ce mariage boiteux, et après Dragon Quest XI, on espère que les jeux de rôle nippons sauront se réinventer comme Persona 5, plus que comme Final Fantasy. Et pour cause, Persona 5 reprend certaines caractéristiques des c-RPG cités plus haut : monde relativement linéaire, très détaillé, avec un scénario très poussé et fin. Le succès du jeu devrait encourager les développeurs à persévérer dans cette voie. A l’inverse, dans le dernier opus de la saga Final Fantasy se retrouvent les caractéristiques des RPG précités : monde ouvert anecdotique, quêtes annexes fastidieuses (les grenouilles…), scénario bancal, etc. Soit l’exact opposé de ce qui a fait la force des Final Fantasy époque Playstation première du nom.

Skyrim

Persona 5, la cure de jouvence (source : Gematsu)

 

Link et Geralt vs the world

Quid de The Witcher 3 me direz-vous? Il s’agit probablement là de l’exception la plus notable à la surpuissance de Bethesda. The Witcher 3 est un vaste open world (comme Skyrim) où l’écriture des quêtes principales et annexes a fait l’objet d’un soin tout particulier. Si la quête principale s’essouffle sur la fin, les 40 heures de celle-ci sont d’une bien meilleure qualité que la courte quête des dragons de Skyrim. La structure de The Witcher 3 est toutefois plus rigide que celle de Skyrim : une fois visités tous les points d’intérêts de la zone, désossés tous les vilains bandits et monstres, remportées toutes les manches de Gwynt, il faudra passer à la zone suivante, faire avancer l’histoire principale, pour pouvoir recommencer une salve de quêtes annexes. Ce schéma se répète jusqu’à la fin du jeu, mais le plaisir visuel qu’offre des zones comme Skellige pousse le joueur à vouloir en voir toujours plus. En sus de ses qualités, le jeu a été un réel succès commercial et critique, propulsant ses développeurs : CD Projekt Red, comme studio de référence.

Cependant, The Witcher 3 souffre de soucis similaires à Skyrim. Si l’écriture est prenante et que la moindre quête annexe vous passionnera, c’est bien un énorme point disgracieux sur votre map qui vous indiquera où aller, et non la narration du jeu. « Va à l’est et cherche dans la zone en rouge », nous dit le jeu, proposant une expérience d’exploration à peine plus intéressante que les courses de la saga GTA. Autre exemple, Fallout 4, lors d’une mission où on vous demande de trouver un homme perdu dans la « glowing sea » que personne n’a revu des dizaines d’années… excepté votre GPS qui, lui, sait exactement où aller (idem dans Skyrim, avec une quête pointant sur le cadavre d’une femme dont personne n’avait entendu parler depuis des mois).

Sur ce point, seul Breath of the Wild fait preuve de renouveau (nous en parlions dans un article précédent), mais il est si différent de tous les jeux cités précédemment que la comparaison est d’emblée bancale.

Skyrim

Breath of the Wild redéfinit l’exploration

 

La volonté créatrice des développeurs se traduit régulièrement par des emprunts à tel ou tel jeu. Quand un étalon est trouvé, difficile de s’en défaire, la concurrence s’aligne, et tente de faire « pareil en mieux ». Sauf que « pareil en mieux » n’a jamais été révolutionnaire et mène irrémédiablement vers une lassitude et une dégradation de la qualité des jeux (à cet égard, les jeux Ubisoft auront  probablement été les premiers à se « Skyrimiser »). En revanche, une transition réussie est généralement un jeu dont on se souviendra comme étant un chef d’œuvre : Breath of the Wild nous dira si c’est le chemin qu’il continuera à suivre dans la postérité.
The Elder Scrolls : Skyrim n’est finalement que l’aboutissement majeur d’un genre : le RPG occidental a convergé vers ce jeu. Bethesda aura réussi à suffisamment bien maîtriser son sujet pour que, depuis 6 ans, il agisse comme un horizon indépassable.

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