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Ils te racontent leur guerre du Vietnam: 1947-1963

La guerre du Vietnam de nos livres d’histoire, la guerre de quelques dates marquantes, la guerre de quelques milliers de morts anonymes, la guerre des autres n’est pas celle qu’ont vécu Albert Clavier et Marcelino Truong. Tous deux racontent en image leur guerre, la vraie, celle qui les a arrachés à leurs proches, qu’ils ont traversée parfois sans vraiment la comprendre. La guerre absurde des occidentaux sur un terrain qui ne leur appartenait pas. Ils apportent un regard neuf et riche, nourri de leurs sensibilités personnelles sur cette période énigmatique. Il n’appartient qu’au lecteur alors de s’approprier la guerre dans toutes ses dimensions.

Dans la nuit la liberté nous écoute, bande dessinée de Maximilien Le Roy  d’après le récit autobiographique de l’ancien soldat français Albert Clavier. (2011, éditions Le Lombard, 181 pages).

Dans la nuit la liberté nous écoute est tirée du livre écrit par Albert Clavier à son retour en France : De l’Indochine coloniale au Vietnam libre. Je ne regrette rien (Éditions Les Indes Savantes, 2008). Un livre dont Maximilien Le Roy s’est emparé pour le mettre en image et donner vie au récit de l’ancien soldat, en dialogue constant avec lui.

Albert Clavier et le désanchantement, quelques semaines seulement après son engagement

Albert Clavier et le désanchantement, quelques semaines seulement après son engagement

Albert a 16 ans en 1943. Il vit misérablement avec sa mère et son frère dans un petit village français, il baigne dans le communisme et les milieux résistants. En 1945, il s’engage dans l’armée pour tenter d’échapper à la misère de son quotidien, ravi de pouvoir enfin parcourir le monde et impatient de voir enfin une colonie et de découvrir cette « grande œuvre de civilisation » dont on lui a parlé sur les bancs de l’écoleDès le voyage en mer, la propagande anti-vietminh est omniprésente et l’abrutissement des hommes constant. Rapidement, il découvre l’envers du décor, la misère dans laquelle vivent les populations indigènes, et déjà son engagement moral dans l’armée s’effrite.

Il pense à déserter une première fois en 1946, juste avant d’être envoyé en Indochine pour prendre part aux combats français pour reprendre la ville d’Hanoi, au Nord du Vietnam, tombée aux mains des vietminh. Sur place, il fait rapidement la rencontre de Bat qui va s’avérer être le chef de l’organisation clandestine de la région des vietminh, il l’aide de manière officieuse d’abord avant de déserter pour de bon et rejoindre l’armée communiste pour lutter contre la colonisation française…

"Une haine que je comprends d'autant mieux lorsque nous traversons un village peu après le passage de deux avions Français"

« Une haine que je comprends d’autant mieux lorsque nous traversons un village peu après le passage de deux avions Français »

Le dessin est sobre, tantôt en noir et blanc, tantôt agrémenté de nuances de vert, seule couleur légitime ici selon Maximilien Le Roy, expression du contexte militaire et sauvage du Vietnam colonial. Complété par de nombreux documents originaux telles que des lettres du président Hô Chi Minh à l’intention d’Albert Clavier ou encore de photographies, ainsi que d’une longue interview du spécialiste de l’histoire vietnamienne Alain Ruscio, le récit apparait comme un témoignage fort et authentique d’une autre guerre du Vietnam, celle que les livres d’histoire ne racontent pas.

Maximilien Le Roy explique sa démarche lors d’une interview accordée au journal Mediapart à l’occasion du festival de bande dessinée d’Angoulême : « J’essaie de traduire ce qui m’intéresse dans le passé, dans l’histoire, ce qui a des résonnances avec l’actualité. […] J’ai fait des recherches et je suis tombé sur l’histoire d’Albert Clavier (dans L’Humanité, NDLR), j’ai lu son livre, j’ai été attiré par son histoire, je l’ai contacté et il m’a donné carte blanche pour écrire et dessiner cet album. »

En vente sur le site de l’éditeur par ici 

Une si jolie petite guerre, de Marcelino Truong, récit de sa propre vie en tant que fils d’Ambassadeur à Saigon entre 1961 et 1963 (2012, éditions Denoël Graphic, 290 pages)

L’histoire s’ouvre peu de temps avant le départ de la famille Truong, franco-vietnamienne pour la ville de Saigon, après la mutation de Truong Buu kahn le père de famille à l’ambassade ; la guerre en trame de fond.

Les accords de Genève de 1954 ont partagé le pays en deux après la victoire d’Hô Chi Minh au Nord du pays sur les forces françaises. Kennedy, alors élu président décide de faire de la guerre du Vietnam le fer de lance de son programme politique « We shall oppose any foe, in order to assure the survival and the success of liberty. » (Nous nous opposerons à tout adversaire afin d’assurer la survie et le triomphe de la liberté). Oncle Sam contre l’Oncle Hô comme le résume Marcelino Truong.

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Le récit imagé raconte du point de vue enfantin de petit dernier de la famille, Marcelino, les années 1961 à 1963 dans la ville de Saigon, entre coups d’Etat, attentats, les crises de panique de sa mère, le travail de son père à l’ambassade… l’innocence de l’enfance se mêle aux analyses politiques que l’auteur apporte avec le recul et l’apport historique des nouvelles données. Malgré son appartenance à l’ « Occident bourgeois », le ton de Marcelino Truong reste teinté de scepticisme à l’égard des politiques du régime du président Ngô Dinh Diêm et du climat de colonisation de l’époque. « Que savais-je moi en 1962, de la guerre chimique ? Rien. Au fond, notre propagande entretenait la peur de l’ennemi invisible – le Viêt-Cong – mais nous étions très peu informés sur ce que faisait réellement notre gouvernement. »

A mesure que le récit avance, le point de vue critique apparait plus clairement, et le lecteur ne se laisse pas berner par la naïveté feinte du récit, qui vient dénoncer l’aspect vicieux du conflit. Les attentats à l’encontre du gouvernement en place sont fréquents, les opérations très meurtrières des américains à destination des vietminh au mépris des populations civiles sont pointées du doigt…. Mais les vietminh ne sont pas innocents non plus, la répression et les crimes ne sont pas l’apanage du régime de Diêm. Le point de vue y est plus nuancé que dans le récit tiré de l’histoire d’Albert Clavier, car moins engagé politiquement: « décidément au Vietnam, tous nos « libérateurs » qu’ils soient de gauche ou de droite, préféraient la voie des armes à celle des urnes. »

Une scène de jeux classique...

Une scène de jeux classique…

Le trait est fin et simple. Les couleurs, tantôt assez rares, tantôt très vives et variées, rouge et bleu principalement, c’est-à-dire politiques. Le récit, ici encore, est largement agrémenté de documents en tous genres : prospectus de propagande, dessins d’enfant, lettres d’Yvette (la mère) à ses parents, timbres célébrant les grandes opérations des deux camps…

Marcelino Truong explique sa démarche en détail et le long travail nécessaire à l’élaboration de celle-ci dans une interview accordée au site internet actuabd en juillet 2013.  « Pour traiter d’un sujet aussi délicat, il fallait de la maturité. Il fallait des heures passées à discuter avec les protagonistes de cette affaire sanglante qui a fâché le monde et divisé les sociétés. Entendre tous les points de vue et pas seulement notre son de cloche à nous. Lire beaucoup et retourner une bonne dizaine de fois au Vietnam. Sortir du manichéisme, surtout, que tout conflit armé fabrique à grande vitesse. »

A se procurer ici

Albert Clavier et Marcelino, Truong, l’un au Nord, l’autre au Sud, à quelques années d’intervalle, tombent d’accord sur un point. Le Nord comme le Sud, le communisme comme le régime de Diêm, ont tous les deux leurs torts dans la Guerre du Vietnam qui a fait des milliers de victimes et ravagé le pays pendant des années. Le communisme, idéalisé par les intellectuels qui fermaient les yeux sur les exactions des régimes de Mao ou de Staline, et le régime autoritaire du Sud, meurtrier et colonialiste tantôt aux mains des Français, tantôt des Américains sont ici dépeints du point de vue des vaincus, de ceux qui ont vécu cette « si jolie petite guerre ».

Lire aussi: http:« L’homme-fumée » nous rappelle d’où nous venons 

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