L’été est souvent propice au rattrapage de séries. On vous conseille notamment l’excellente série de Amazon, The man in the high castle.
The man in the high castle c’est quoi? 1962 : La guerre a été gagnée par les forces de l’Axe. Les USA sont divisés entre le territoire du Grand Reich et les États Japonnais du Pacifique. Entre eux une petite bande de territoire tampon appelée zone neutre. Nous suivons le destin de 3 personnages : Juliana Crane, Franck Frink et Joe Blake, sur fond de mystérieux films qui montrent une réalité alternative dans laquelle les alliés ont gagné la guerre. [youtube id= »I3d8hUWAoe4″]
Adapté du roman “Le Maître du Haut Château” (The man in the high castle en VO), de Philip K. Dick, la série s’attaque à l’oeuvre du romancier qui fait sans doute partie de ses opus les plus accessibles. En effet, Dick fait partie de ces auteurs qui ont dépassé le genre dans lequel ils s’expriment pour y développer une pensée. Chez Dick, la notion de perception de la réalité et des mensonges qu’elle peut porter sont centraux. Il faut sans doute également rappeler que l’auteur est sans doute un de ceux de sa génération qui est le plus adapté au cinéma. On citeraBladerunner, Total Recall ou encore Minority Report. Pour tout amateur de Dick, The Man in the High Castle, reste une oeuvre majeur, qu’il était bien temps de voir sur écran, petit ou grand.
Reprenant le concept de base de l’univers, la base de la plupart des personnages, des bouts d’intrigue, c’est ensuite une vision modernisée de cette histoire que la série propose. Quelques points majeurs changent et notamment le support sur lequel l’histoire alternative que diffuse le “Maître du Haut Chateau”, qui passe du roman au film. Il faut commencer par saluer le travail remarquable de Franck Spotnitz, icône de l’équipe X-Files, et de sa writer’s room, qui adapte intelligemment l’histoire et l’environnement pour rendre visuelle cette histoire. Un point amusant est la présence de Ridley Scott à la production, qui, rappelons-le, est le réalisateur de Bladerunner (son chef d’oeuvre à mon humble avis), déjà adaptation de Dick et dont il est fait clairement référence dans la série via un personnage qui crée des origamis.
Le casting du show est également pour beaucoup dans la qualité de celui-ci. Le personnage central est sans doute Juliana Crane, interprétée par Alexa Davalos, jeune star montante que l’on a pu voir dans Le Choc des Titans au cinéma et Mob City à la télé. L’actrice nous offre un personnage souvent en réserve mais avec justesse, dont le cœur balance entre un destin qui l’appelle et deux hommes qui lui offrent deux chemins de vie très différents. Ces deux hommes justement sont Rupert Evans, qui interprète Franck Frink et Luke Kleintank dans le rôle de Joe Blake. Le premier, jeune acteur anglais a surtout une carrière au Royaume Uni, le second a pu être vu pas mal dans des séries telles que Gossip Girl, Bones, Pretty Little Liars ou encore Person of Interest. Chacun d’entre eux aura un parcours similaire, un changement de ce qu’ils sont. Pour Frank Frink, confronté à l’horreur, ce sera la redécouverte de sa judaïté dans un monde qui a fait des siens les cibles d’une extermination méthodique. Pour le second, ce sera la remise en question de ce en quoi il croyait, en l’occurrence l’idéologie nazie.
La série faisant perpétuellement des aller-retours entre San Francisco, contrôlé par les japonnais et New-York, contrôlé par les nazis, il faut également parler des personnages qui portent ces deux univers, ces puissances au bord de l’anéantissement commun. Le monde Nippon est essentiellement incarné par deux personnages : Joel de la Fuente qui incarne l’inspecteur Kido et Cary-Hiroyuki Tagawa dans le rôle du Ministre Tagomi. Disons-le clairement, ces deux acteurs sont sans doute une des raisons majeure de regarder la série. Opposés et complémentaires, les deux personnages forment les deux facette d’une même pièce et, à eux seuls, incarnent tout les enjeux de cette société japonaise puissante et fragile. Joel de la Fuente incarne un Kido à la fois hyper discipliné, presque fanatique, et pourtant capable de sacrifice. Tagawa, lui, est à l’inverse un humaniste qui tente de changer les choses de l’intérieur, inconsolable de son amour perdu. Les auteurs du show ne s’y trompent d’ailleurs pas, il n’y a qu’à voir la conclusion de cette première saison.
Le côté allemand, lui, peut trouver son incarnation également dans deux personnages, également opposés et pourtant anciens amis dans la narration. Tout d’abords, citons Rufus Sewel, dont la filmo parle d’elle-même, interprétant l’Obergruppenfuhrer John Smith, nazi convaincu, patron du nazisme New-Yorkais, dont le parcours mettra à l’épreuve ses propres convictions. A l’opposé, l’acteur danois Carsten Norgaard incarne Rudolph Wegener, personnage en quête de rédemption qui fera tout pour éviter un conflit qui assurerait une destruction commune des deux puissances dominantes, mais également, et sans ce que soit mentionné frontalement, tente de trouver une forme de pardon à sa participation aux camps de la mort.
Killing in the name (Rage against the machine)
Avant de parler un peu du fond, il faut commencer par dire que The Man in the High Castle, est une série d’aventure qui s’inspire très largement dans sa forme des films de résistance tels que L’Armée des ombres ou plus récemment le Black Book de Paul Verhoeven (qui d’ailleurs a déjà adapté Dick avec Total Recall). Tous les ingrédients sont bien là, rencontres secrètes et messages codées, tentatives de sabotage ou d’assassinat, étaux qui se resserrent sur les personnages, arrestations, torture, plans, fuite ou encore mensonge et trahison. Il faut reconnaître à Spotnitz et son équipe une réelle maîtrise du rythme, ayant pour mission à la fois de nous montrer cette réalité alternative, de raconter une histoire qui soit narrativement efficace et enfin, d’adapter tout cela dans un format de série avec un vrai découpage d’épisodes, chapitres de cette épopée.
Toujours sur la forme il faut évidemment mentionner la qualité de la restitution de ces années 60 uchroniques. De l’appartement en sous-sol de Crane et Frink en passant par l’impressionnante tour du centre Nazi de New-York ou encore la maison bourgeoise de John Smith. Dans le cas précis de la série, il y a une donnée supplémentaire à gérer qui est d’imaginer cette Amérique soumises aux puissances de l’Axe, et la façon dont les gens vivent 15 ans après la victoire. Là encore, mission accomplie.
Sur le fond, on explore bien entendu les sujets fondamentalement liés aux idéologies dominantes : Un japon dont la société est encore emprunte de comportements presque féodaux, on assistera à une scène de Sepuku (le suicide rituel) notamment, et un ogre nazi qui, après avoir été victorieux avec ses alliés commence à envisager la domination totale contre eux, avec à sa tête un Adolf Hitler vieillissant et malade. Une chose amusante dans ce contexte est la façon dont la relation entre le Reich et l’Empire Nippon font écho à celle entre le monde occidental et le monde soviétique à la même époque, anciens alliés de guerre également. La question de l’extermination des juifs est également abordée, avec une certaine pudeur, mais sans rien enlever de la monstruosité de celle-ci. Toute l’intelligence de l’écriture de la série est de proposer une galerie de personnages suffisamment variée, et bien incarnée, pour proposer au spectateur un arc-en-ciel de points de vue qui, collectivement, constituent une vision de cette société imaginaire.
Enfin, il faut mentionner ce “Maître du Haut Château” et ses films. Essentiellement ressort dramatique plus que cœur réel de la série, cette partie qui est la plus fantastique reste, pendant toute la saison, un instrument utilisé par petites touches pour rappeler l’enjeu de cette uchronie : Un monde dont la réalité admise pourrait être différente. Nous l’avons évoqué, le sujet est au cœur de l’oeuvre de Philip K. Dick, et trouve ici sa traduction visuelle via quelques séquences parcimonieuses tout au long des épisodes. A l’approche du final de la saison, cette présence est plus prégnante, mais reste un “deus ex machina” plus qu’un sujet.
The Man in the High Castle est définitivement une réussite, tant sur le fond que sur la forme. Abordant avec subtilité des sujets complexes, des idéologies dont il est compliqué aujourd’hui encore de parler sans déclencher des passions, le tout dans un monde en teinte de gris, la série reste avant tout une histoire d’aventure et de personnages en quête de mieux et en quête d’eux-mêmes. Un must see.
Crédits: Amazon