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The night of, le procès d’un système judiciaire

« Tout le monde peut dire qu’il ne commettra aucun crime, mais cela ne veut pas dire que vous ne serez jamais accusé de l’avoir fait. » The Night Of.

“We can all say that we’re never going to commit a crime, but that doesn’t mean you won’t be accused of one.” The Night Of

Sublime et poignante adaptation de la série télévisée britannique Criminal Justice, The night of est une mini-série américaine de 8 épisodes. Elle a été diffusé en France le 11 juillet 2016 sur OCS City.
The night of date d’il y a presque 20 ans. Le premier pilote a été tourné avec James Gandolfini, incarnant Jack Stone, un avocat défenseur peu reluisant. Mais la mort de l’acteur a mis le projet sous les verrous. The night of réapparaît bien plus tard avec John Turturro – en 2013 il avait été question de Robert de Niro.   

On parle de Nasir « Naz » Khan (Riz Ahmed), un anti-héros américano-pakistanais. C’est un garçon calme, bien élevé, choyé par sa famille. Mais une nuit, tout dérape à son insu. Il se retrouve chez une hypnotique fille, Andrea (Sofia Black D’Elia), croisée au hasard dans la rue. Ils prennent de la MDMA, de la ketamine… Nasir s’endort. A son réveil, il trouve Andrea baignant dans son sang, percée de 22 coups de couteaux. Toutes les preuves l’accablent. Pourtant, au cours de ces 8 épisodes, il ne cesse de clamer son innocence face à tout un pays qui l’accuse sans vergogne. La série commence dans ce bouillard patibulaire. Naz est incarcéré à Rikers. On assiste au combat de ce jeune homme, écrasé non seulement par un système judiciaire criblé d’imperfections mais également par ce nouvel univers carcéral horrifiant.

Richard Price et Steven Zaillian, les créateurs de la série, explicitent Criminal Justice et apportent une jolie nuance. En effet les deux séries se répondent. Elles ont leurs propres singularités, issue de la conjoncture et de la vision de leurs créateurs, soit américains, soit britanniques. The night of met en scène l’ultime crime, le crime parfait, si parfait d’ailleurs, qu’il en est irréaliste. Mais la fiction nourrit le propos de la série et met son méta-discours en exergue.

Le héros de Criminal Justice est un jeune homme, Ben, blanc tandis que sa victime est une femme noire. The night of s’émancipe ainsi de son tuteur. La couleur de peau est un vecteur essentiel d’accusation. Elle met en évidence la stigmatisation et le racisme au cœur de la prétendue Justice. On pointe l’extrémisme, le terrorisme, les Islamo-américains. La frontière est mince. Tout ce cauchemar repose sur des amalgames populaires.  Les créateurs forcent le spectateur à regarder Naz avec de nouveaux yeux, s’identifier à lui, décider intimement s’il est coupable ou non. En effet, le seul moyen de regarder le show est de compatir avec lui, coincé dans l’interstice d’un système qui déraille.

La série rend compte de l’échec en espèce de ce système judiciaire, médical, éducatif… Elle montre de quelle manière un jeune garçon timide et probe peut dégringoler, le couperet implacable s’abattant sur sa nuque. En effet, la série dénonce cette culture de jury typiquement américaine assimilée à la parodie d’un vaste concours d’éloquence. Cette vision brutale amène à s’interroger sur des questions profondes.

En outre, les deux scènes de crime ne sont pas présentées de la même manière. En effet celle de The night of est outrancière, ne nous épargne aucun détail, fleuretant avec la brutalité sexualisée. C’est du show-off, c’est bien ricain. Et la culture populaire se pourlèche encore et toujours les babines de ces belles jeunes femmes blanches correctement mortes. Dès son apparition, Andrea est fantomatique, mystérieuse. Une fatale marraine-la-bonne-fée pour un Naz un peu trop Cendrillon. Pour sa part Criminal Justice se concentre sur la corruption et l’absence d’éthique qui vicient le système judiciaire britannique. Tous les systèmes se font donc taper sur les doigts, on dira que dénoncer les failles aide à exfolier.  

Les protagonistes ne semblent pas s’intéresser à ce qu’il est réellement arrivé à Andrea. Ils essaient férocement de prouver à tout prix la culpabilité de Naz. La famille Khan se retrouve cernée, incapable d’assumer les honoraires faramineux des deux avocats à la défense. Dans tout ce chaos, le père de Nasir – joué par Peyman Moaadi – est un emblème de douceur, résistant solidement contre vent et marées, aux menaces, aux intimidations.

Puis il y a Jack Stone. Turturro livre là une formidable performance. Un avocat looser, doucement véreux mais profondément humain. Le déroulé de la série s’introduit par son biais. On assiste à son combat face à la vie à l’instar de son client, Naz. Sujet à un sévère eczéma, on le voit aux prises avec sa maladie, sa condition de pestiféré, ses limites mais surtout son incroyable volonté…malgré lui. Peu à peu il apprivoise le spectateur, gagne son respect. L’eczéma a une importante composante émotionnelle : c’est l’expression d’un conflit mal géré que le corps cherche à résoudre. Voilà le système judiciaire qui érode Jack comme il dévore Nasir.

On peut dire que le monde a décidé de rouler sur Naz cette nuit-là. L’agneau se retrouve en prison, à Rikers, véritable jungle originale. Pour survivre, il doit trouver un puissant protecteur mais tout a un prix… Nasir se transforme au fur et à mesure des épisodes en un authentique criminel, évoluant étonnamment comme un poisson dans l’eau dans cet univers…Tatouages, crâne rasé, musculature, drogue… On fait le deuil avec lui de son innocence, sa candeur, sa vie d’avant… Rien ne pourra plus jamais être pareil.

Lors de son procès, Chandra Kapoor, son avocate, accuse la Cour de lui avoir fait endosser cet habit. Cette-dernière avait refusé de lui reconnaître la présomption d’innocence dont chaque citoyen doit pouvoir bénéficier. Elle l’avait condamné derechef à être incarcéré dans l’attente de son jugement. On assiste à une déshumanisation déchirante sous le joug de ces procédures aseptisées, tout en scrutant avec désolation les grands yeux de biches apeurés de Nasir.

On s’en remet alors quand même à lui, ce fameux système judiciaire tant décrié. Parce que, spectateurs que nous sommes, impuissants derrière notre écran, nous n’avons pas le choix. Parce que nous la recherchons également cette maudite vérité, exigeant la réponse, tôt ou tard. Nous faisons partie du jury, nouveaux magistrats, confortablement blottis dans les couettes de l’obédience de la Justice et de sa justesse.

Crédit: HBO

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