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Théâtre. La frustrante lecture de Depardieu

Au théâtre Antoine, dans le 10ème arrondissement de Paris, jusqu’au 15 janvier, Gérard Depardieu lit les lettres qu’Andy écrit à Melissa (Anouk Aimée) dans Love Letters de A. R. Gurney. Lors de l’une de ces représentations, Radio VL a assisté pour vous au retour exceptionnel de Gérard Depardieu sur les planches.

Le rideau se lève. Dispositif minimal. Sur la scène, seulement un bureau devant lequel sont assis Anouk Aimée (interprète de Melissa), et Gérard Depardieu (Andy). Les applaudissement fusent. Et les comédiens commencent à lire.

Cette lecture, c’est celle des lettres que Melissa et Andy s’écrivent depuis l’enfance. Tout au long de leur vie, ils se cherchent, et s’aiment, mais presque jamais au même moment. Dans un jeu de « je t’aime, moi non plus », ou de « je te suis, tu me fuis ; je te fuis, tu me suis », ils s’écrivent des lettres jusqu’à la mort de Melissa, se racontent leur American life d’enfant aux conditions sociales opposées, d’adolescent, d’adulte, de parent, et d’amant. Andy aime écrire. Il aime Melissa. Mais surtout, il aime écrire à Melissa. C’est fou comme cela rappelle le Depardieu qui, dans Cyrano de Bergerac, ne pouvait dévoiler ses sentiments que par écrit…

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On connaît le Gérard Depardieu monumental capable d’incarner les plus grands rôles, de la plus ridicule comédie au plus beau chef-d’œuvre du 7ème Art. Il y a le Vatel, le Dumas, le Cyrano, et tant d’autre personnages historiques ; il y a le mythique Obélix ; il y a le flic sombre du 36, Quai des Orfèvres ; il y a le SDF de Boudu sauvé des eaux. Il y a le Depardieu drôle, touchant, ou même méchant. Il y a le Depardieu au rôle principal, et le Depardieu au minuscule rôle secondaire. Il y a le Depardieu boulimique de travail qui semble accepter tous les rôles qu’on lui propose. Il y a le Depardieu talentueux quel que soit le personnage qu’il interprète.

Il y a l’acteur, le comédien, le producteur, le réalisateur, le viticulteur, et l’homme d’affaires. Alors bien sûr, il y a aussi le Depardieu scandaleux, qui fait la une des journaux lorsqu’il urine dans un avion. Evidemment, il y a le Depardieu ivrogne qui cause des accidents de la route et ne se présente pas devant les tribunaux. Il y a le Depardieu politique, qui affiche son soutien à Nicolas Sarkozy. Et plus que jamais, il y a le Depardieu exilé fiscal et sans frontières.

Mais même Russe, Gérard Depardieu demeure dans le cœur des Français. La preuve en est : ce jeudi 9 janvier 2014, à 19h, au théâtre Antoine, plus un seul strapontin n’est libre. Le public qui vient assister au spectacle de Love Letters est hétéroclite, même s’il faut bien avouer que les premiers rangs sont majoritairement occupés par des neuilléens sexagénaires. Nicolas Sarkozy et Carla Bruni sont dans la salle, eux aussi.

Depardieu : l’ombre de lui-même ?

Le public est comblé. Standing ovation à la fin du spectacle. Comment ne pas acclamer le Grand Gérard Depardieu ? Oui mais voilà, c’est un peu facile, d’applaudir un monument quand son seul nom suffit à remplir la salle. Tout le monde n’est venu que pour lui, après tout. Mais dans les faits, cette simple lecture n’est-elle pas frustrante ? Gérard Depardieu ne nous a-t-il pas habitué à mieux que ça ?

La lecture sur scène est à la mode. Elle ne coûte pas cher en décor. L’interprète suffit. Prenez Fabrice Luchini par exemple. La différence entre Luchini et Depardieu est pourtant réelle : quand Luchini lit Céline ou La Fontaine, il vit Céline ou La Fontaine. Quand Depardieu lit Gurney, il sait que sa seule présence sur scène satisfait amplement le public. Conséquence : il se repose sur ses lauriers.

Mais où est donc l’Exceptionnel Gérard Depardieu habité par ses personnages ? Allez Gégé, réveille-toi, enflamme-toi, montre à ceux qui sont venus te voir « en vrai » ce dont tu es capable. Mais non, Gérard Depardieu ne quittera pas son texte du regard. Il lit. Il ne fait que lire. Il ne joue pas. On a presque l’impression qu’il s’ennuie, qu’il est las… Mais est-ce une interprétation volontaire ?

Une exception cependant : lorsqu’il écrit une lettre pleine de rancœur à Melissa. Et là, tout à coup, on le voit, le vrai Depardieu qui fait frissonner. Et puis à la fin aussi, après la mort de son aimée. Toujours est-il que pendant près d’une heure et demie, on ressent comme de la frustration de ne pas voir le Depardieu animé par la rage qu’on lui connaît et qui lui insuffle tout son brio.

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