Jamais les médias ne se seront autant intéressés à une élection autrichienne. Les enjeux de cette présidentielle dépassaient le cadre national et en faisaient un évènement d’ampleur européenne. L’élection très serrée d’Alexander Van der Bellen face au candidat souverainiste et populiste Herbert Hofer est un succès en trompe-l’oeil.
L’Autriche votait pour remplacer son président depuis 12 ans, le social-démocrate Heinz Fischer.
Cinq candidats se présentaient : outre les ceux des deux grands parti traditionnels, le parti populaire (ÖVP, droite) et le parti social-démocrate (SPÖ, gauche), l’indépendante Irmgard Griss, juriste et ancienne présidente la Cour Suprême, Norbert Hofer du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, nationaliste, souverainiste) et Alexander Van der Bellen, économiste indépendant soutenu par les Verts, dont il fut le président.
Le 24 avril tombaient les résultats du premier tour : Alexander Van der Bellen, avec 21% des voix, se retrouvait second derrière Norbert Hofer qui recueillait 35% des voix. Un coup de théâtre, dont l’importance s’imposa progressivement à la une des médias européens et mondiaux à mesure qu’approchait l’échéance du deuxième tour, le 22 mai. L’Autriche se donnerait-elle un président d’extrême-droite?
Au second tour, c’est finalement l’austère économiste qui l’emporte, de très peu, devant le jeune ingénieur de 45 ans. Après le long suspens du dépouillement final et grâce essentiellement aux voix du vote par correspondance, Van der Bellen est élu avec 50,35% des voix, contre 49,65% pour Hofer. L’écart est de 31 000 voix, pour une population totale de 8,6 millions d’habitants…
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Quelles leçons tirer, à chaud, de ces élections ?
Le nombre élevé de candidats, un record depuis 1951, est le signe d’une diversification de l’offre politique et une preuve de l’effacement des grands partis traditionnels.
Cet effacement a été rendu effectif par les résultats des élections. Pour la première fois depuis 1945, aucun des deux partis qui structurent traditionnellement la vie politique, le SPÖ et l’ÖVP, ne se retrouvent au second tour. C’est un signe de l’éclatement du bipartisme dans les grandes élections nationales, un phénomène que l’on observe dans d’autres pays européens comme la France. Une explication possible à cet effacement : l’alliance des conservateurs et des sociaux-démocrates dans une coalition gouvernementale depuis 2008, où les deux grands partis se seraient annulés mutuellement.
L’ascension fulgurante de Norbert Hofer. En janvier 2016, le candidat souverainiste ne pesait que 8% dans les sondages, tandis que les candidats des partis traditionnels étaient autour de 15% et les indépendants (Alexander Van der Bellen et Irmgard Griss) dominaient la course autour de 30%. Un mois plus tard, on observait un nivellement presque parfait de tous les candidats entre 15% et 25%. Van der Bellen restait malgré tout l’homme fort avec un écart d’au moins 5 points. La veille du second tour, en mars, les favoris étaient Hofer et le candidat de la gauche, au coude à coude à 21%.
Autre signe du bouleversement du champ politique, l’élection de Van der Bellen, à 31 000 voix près, est le résultat le plus serré d’une présidentielle dans l’histoire du pays.
Il y a bien « deux Autriches », comme l’a dit le président élu immédiatement après sa victoire, démissionnant du parti des Verts et affichant sa volonté d’unité.
La moitié des suffrages au second tour se sont exprimés en faveur d’une ligne eurosceptique et souverainiste, là où l’autre moitié soutenait, à travers Van der Bellen, une ligne résolument libérale et proeuropéenne.
On peut s’interroger sur la véritable composition du paysage politique autrichien. Comment se sont effectués les reports de voix? Encore impossible de le savoir avec précision. On peut toutefois affirmer que la victoire très serrée de Van der Bellen a été rendue possible grâce à des pans entiers d’électeurs du SPÖ, de l’ÖVP et d’Irmgard Griss – un glissement qui n’est, en soi, pas surprenant et relativement logique, a fortiori après le choc du premier tour.
Le vrai succès de ces élections se situerait plutôt du côté de Norbert Höfer, qui a réussi à cristalliser autour de lui la moitié des suffrages, et donc à convaincre bien au-delà du champ normal de son parti et de « l’extrême droite ». Les hommes et les ouvriers, par exemple, ont majoritairement voté pour lui.
C’est sous cet angle qu’il faut comprendre l’insistance d’Hofer qui, après avoir concédé sa défaite, a déclaré : « Nous avons gagné, de toute façon ».
Pour Anaïs Voy-Gillis, chercheuse à l’Observatoire européen des extrêmes, « beaucoup de gens qui ont voté pour le candidat Vert l’ont fait par refus de l’extrême droite plus que par adhésion à ce candidat. (…) C’est plus un vote de dépit que d’adhésion, alors que le vote pour l’extrême droite a été un vote d’adhésion beaucoup plus massif« . Un avertissement au pays et à l’Europe.
Reste à savoir si le nouveau président saura trouver une majorité pour gouverner, la vie politique autrichienne se structurant depuis longtemps, au Parlement, autour d’alliances et de coalitions de circonstances.