Une grande mobilisation a eu lieu à Paris et partout en France pour protester contre la nouvelle loi du travail portée par Myriam El-Khomri. En première ligne de cette manifestation : les jeunes, qui ont répondu à l’appel de l’UNEF.
Antonin se tient debout, sur un banc, au côté de son amie Nina. Tous les deux reprennent en chœur ce que les autres manifestants scandent depuis le début de l’après-midi. Ces étudiants en histoire-sciences politiques à Paris VIII sont en colère et bien décidés à en découdre avec cette loi du travail, ultime trahison d’un gouvernement élu sur un programme de gauche et qui cristallise désormais tous les mécontentements accumulés au fil du quinquennat.
Le gouvernement, nous disent-ils, « se fout de la gueule du monde ». C’est un « ras le bol général de tous ces mensonges, ces tromperies », qui a poussé les jeunes et leurs aînés dans la rue – ils ont été 100 000 à se mobiliser selon les syndicats, 30 000 selon la police.
Ainsi c’est dans une ambiance détendue et festive que étudiants et syndicalistes ont défilé de la place de la République à celle de la Nation, au rythme des slogans revendicatifs et des chansons de l’Internationale. Le peuple de gauche est rassemblé, donc, heureux de se retrouver autour d’une cause commune, et remonté à bloc contre le gouvernement, avec en ligne de mire Valls qui « joue les matadors », selon Antonin.
Selon le jeune militant, la loi du travail est la « goutte d’eau qui fait déborder le vase » et qui attise la colère de ceux qui ont accumulé déceptions et rancœurs à l’égard d’un gouvernement qui, depuis janvier 2014 notamment, a pris un tournant « social-libéral ».
A vingt ans, les deux amis ne sont pas syndiqués, mais Antonin lui, a sa carte au Front de gauche. La loi, il l’a décortiquée, et aucune mesure ne trouve grâce à ses yeux : il faut une abrogation totale. Pas question donc, de suivre la ligne de la CFDT, syndicat présenté comme « réformiste » et qui ne réclame qu’une modification de la loi, sur la base de ses revendications. Pour Antonin, ce syndicat conduit par Laurent Berger mène une stratégie opportuniste, et cherche à se positionner en acteur incontournable du dialogue social.
Cette loi, c’est « la galerie des horreurs » : le plafonnement des indemnités prud’homales est « scandaleux » dans son principe et néfaste pour la jeunesse : un jeune qui par définition aura peu d’ancienneté dans l’entreprise se verra attribuer de ridicules indemnités et son patron aura tôt fait de calculer les coûts/avantages d’un tel licenciement.
« La colonne vertébrale de cette réforme, c’est l’inversion de la hiérarchie des normes », dit-il, en se référant aux accords d’entreprise qui permettront de moduler certaines conditions de travail. Or, pour lui, « le code du travail doit rester le minimum vital ».
Les étudiants en sont persuadés : la réforme du travail ne pourra déboucher que sur plus de précarité.
Le droit du travail est une matière technique, complexe, mais semble prendre un tour de plus en plus passionné dans la société. Antonin et Nina l’admettent : « beaucoup de jeunes ne comprennent pas tout ». « Mais ils savent pourquoi ils sont là, ils ont saisi l’esprit de la loi », s’empressent-ils de rajouter.
Un peu plus loin, trois jeunes filles de 18 ans, moins techniques dans leurs discours, affirment néanmoins: « c’est pas parce qu’on est jeunes qu’on n’est pas concernées par ce qui se passe ». Elles disent, elles aussi, être choquées par le plafonnement des indemnités prud’homales. Moins radicales aussi, elles assurent que, dans cette loi, tout n’est pas à jeter, mais qu’il aurait fallu conduire de telles réformes d’une manière plus progressive. Et n’excluent pas, en outre, de voter François Hollande en 2017 – « tout dépend de qui se présente en face ».
Toutes les personnes présentes, en ce 9 mars en sont persuadées : ce mouvement de contestation n’est pas fini. D’autres manifestations sont à prévoir notamment le 12 et le 31 mars. Ainsi, cette vague de colère ne serait pas qu’un feu de paille, « mais peut-être un mouvement plus général, une révolte ». « Pourquoi pas Mai 68 », rêve Antonin.