Huit saisons de The Walking Dead n’ont pas entamé le succès du post-apocalyptique. Bien au contraire : l’année 2018 a été riche en post-apo, particulièrement du côté des films et des séries, et 2019 s’annonce dans la même lignée, avec un nombre notable de jeux attendus. Dès la fin du mois de janvier, Resident Evil 2 fera son grand retour sur consoles, et il est difficile de ne pas voir dans ce remake la confirmation d’une évidence : la fin du monde a la cote.
Une fascination pour la fin du monde
On pourrait s’attendre à ce que le sujet soit épuisé, et pourtant. Cette année, ce sont encore plusieurs dizaines de séries, films et jeux vidéo qui ont fait le choix du post-apo, et il en sera autant en 2019. L’apocalypse et ses conséquences ne sont pourtant pas un sujet nouveau, et on a pris l’habitude de voir zombies et autres extraterrestres sur nos écrans. Mais il est fascinant de voir à quel point le post-apo se vend encore si bien, peut-être mieux que jamais. Fin décembre, on parlait beaucoup de Bird Box, le film de Netflix avec Sandra Bullock, sorti quelques jours avant Noël, et de ses monstres invisibles. Peut-être faut-il y voir un symptôme : pour faire peur, nul besoin de tomber dans la surenchère de CGI, et, surtout, le monstre n’a pas nécessairement besoin de prendre le pas sur la fin du monde.
C’est donc bien elle, en soit, qui passionne. C’est sans doute ce qui explique la variété des thématiques, depuis la catastrophe nucléaire de Far Cry : New Dawn, attendu en 2019, jusqu’aux zombies de World War Z, initialement prévu en 2018 mais finalement retardé, en passant par l’astéroïde de Rage 2, qui sortira au printemps. Mais alors, pourquoi cette obsession ?
Ce n’est pas un hasard si le post-apocalyptique a si bien marché à partir des années 1950, avec, à l’époque, une grande majorité de films traitant d’une apocalypse nucléaire : en plein contexte de Guerre Froide, et quelques années après Hiroshima et Nagasaki, le cinéma traduisait une peur latente. Mais de quoi avons-nous peur en 2018-2019, si longtemps après la dernière guerre mondiale ? Le succès du post-apo est toujours lié au monde contemporain : loin de se réduire à des attaques d’extraterrestres et à beaucoup de testostérone, il regorge de virus créés par l’homme, de catastrophes nucléaires et politiques, ou encore de désastres climatiques. En somme, des échos des préoccupations et des craintes de notre société.
Quand l’apocalypse devient possible…
En 2018, la nouvelle série danoise de Netflix, The Rain, et son désastre à la fois sanitaire et écologique ont suffisamment convaincu pour qu’elle soit renouvelée pour une saison 2 en 2019. Parallèlement, Netflix fera également le pari du zombie avec Daybreak. Les zombies et créatures nées de divers virus et pandémies fonctionnent toujours aussi bien, et seront donc de la partie dans plusieurs jeux vidéo attendus cette année, depuis Dying Light 2 jusqu’à Days Gone.
Mais les créatures imaginaires ne seront pas les seuls ennemis de l’année 2019 : Metro Exodus, le nouveau jeu de la franchise Metro, sortira en février, et il faudra se livrer à une guerre de ressources sans merci contre… d’autres humains. À ce titre, le post-apo fait presque systématiquement le triste tableau d’une humanité qui se déchire pour des ressources et n’hésite pas à s’entretuer, ce qui, au fond, est un peu un reflet de notre société.
Peut-être cette résurgence du post-apo est-elle donc également due au fait que toutes ces craintes sont entrées dans le domaine du possible. Non, nous n’en sommes pas encore à voir des zombies errer dans nos rues, mais depuis les désastres politiques jusqu’aux catastrophes climatiques, il est difficile de ne pas voir un triste écho de la réalité dans ce qui n’était auparavant que des mondes imaginaires. Il est frappant notamment de voir à quel point le post-apocalyptique fonctionne auprès des adolescents et jeunes adultes, jusque dans la littérature à succès de ces dernières années.
Et pourtant, peut-être faut-il aussi voir quelque chose de désespérément optimiste dans le post-apo. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de la destruction du monde ; il s’agit également de ce qui y survit. Le propre du post-apocalyptique, comme son nom l’indique, c’est de raconter l’après. Car il y a un Après, un Après la fin du monde, avec des survivants, un semblant d’humanité, voire, parfois, une esquisse de société. Dans A quiet place, c’est l’espoir d’une solution contre les monstres ; dans Bird Box, c’est celui d’un sanctuaire ; et, dans la série des Fallout, dont le dernier volet, Fallout 76, est sorti en 2018, ce sont les bunkers – mais, toujours, c’est une question de survie.
Un genre idéologique
Alors, oui, le post-apo dépeint toujours une société dangereuse et violente, compromise, mais il raconte aussi qu’il perdure quelque chose. Tandis que dans les films il est souvent difficile de ne pas avoir envie de voir les héros survivre, dans les jeux, le joueur devient lui-même l’acteur de la survie. C’est lui qui se bat, cherche à reconstituer une communauté, comme ce sera le cas dans Far Cry : New Dawn, ou à restaurer l’ordre, comme il le fera dans The Division 2 dès mars prochain. Une survie qui a, toujours, un biais politique.
C’est que, par son essence même, le post-apo est le genre parfait pour se livrer à ce genre d’exercice, consciemment… ou non. Avec son synopsis de post-fin de l’humanité, le post-apocalyptique revisite des valeurs, posant la question de l’évolution de la société et de l’humanité – dans tous les sens du terme – avec ces nouvelles normes. En livrant une civilisation en perte de repères, le post-apo dépeint un monde où la survie et les besoins primaires deviennent la priorité, au risque d’en perdre ses valeurs sociales, familiales, politiques et économiques.
C’est la raison pour laquelle tant d’œuvres post-apocalyptiques tournent précisément autour d’une tentative de sauvegarde de ces valeurs, depuis la préservation désespérée de la cellule familiale jusqu’à la restauration de l’ordre moral, militaire et politique. Alors le directeur artistique de The Division 2, Terry Spier, a beau jurer qu’il « ne s’agit pas d’un message politique », rien à faire : le post-apo est un genre idéologique par excellence. Mais, au final, c’est bien le joueur qui a les clefs de l’histoire en main – et c’est peut-être ce qu’il faut pour contrer le sentiment d’impuissance d’une génération.