« C’est un complot. Ce n’est pas simplement l’annulation du contrat des sous-marins », ce sont les mots de François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), suite au renoncement de l’Australie à sa commande de 12 sous-marins français. On vous explique aujourd’hui les enjeux stratégique de cette crise diplomatique, surnommée, « la crise des sous-marins », séparant la France de trois pays « alliés », l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni.
1. Une rupture de contrat et de confiance
C’était le contrat du siècle, une vente de 12 sous-marins à l’Australie pour une somme de 34 milliards d’euros. Le gouvernement australien a finalement décidé de rompre ce contrat « un coup dans le dos » selon Jean Yves Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de la République française.
Face à ce revirement de situation, les politiques français demeurent choqués. “Une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée. En matière de géopolitique et de politique internationale, c’est grave” a commenté Florence Parly, ministre des armés en France.
On parle également de rupture de confiance étant donné que le gouvernement américain a décidé de remplacer ce contrat par un autre d’autant plus stratégique avec les États-Unis et le Royaume-Uni, pour se fournir en sous-marins à propulsion nucléaire. Ces pays ont mis de côté l’hexagone avec qui la France pensait entretenir une intimité stratégique… Ce nouveau projet, prénommé AUKUS, tenu dans le secret absolu ont fait l’effet d’une bombe et ont plongé ces pays dans une crise diplomatique importante.
2. Les relations entre la France et ses compères américains et australiens dégradées
Ce nouveau partenariat tenu secret a été révélé à la France en même temps qu’au reste du monde. Au-delà d’une rupture de contrat sortant les Français du jeu, cette nouvelle a provoqué une véritable crise diplomatique entre ces pays.
Bien que Washington et Londres cherchent l’apaisement, la France, en représailles a rappelé vendredi ses ambassadeurs aux États-Unis et en Australie, décision sans précédent signe de dégradation des relations avec ces alliés historiques. Jean-Yves Le Drian, le ministre des affaires étrangères a même comparé l’attitude imprévisible de Joe Biden à celle de son prédécesseur Donald Trump. Du côté britannique, une rencontre prévue cette semaine entre les ministres des Armées français et britannique a été annulée à la demande de Paris…
« Ce partenariat n’est en aucun cas destiné à être une somme nulle, il n’est pas destiné à être excluant » déclare Boris Johnson qui essaye de rassurer la France face à sa fureur. En attendant, le président américain Joe Biden a demandé un entretien à Emmanuel Macron après la rupture de ce mégacontrat. « Il y aura un échange téléphonique dans les tout prochains jours« , a annoncé dimanche le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal.
3. La perte d’un enjeu stratégique pour la France et Naval Group
Il s’agit d’une perte d’un enjeu stratégique important dans la région indopacifique. En effet, Emmanuel Macron tentait avec cette opération de renforcer la présence française dans cette même zone, à travers des partenariats avec l’Inde et l’Australie. Ce contrat était l’un des éléments principaux pour contrer ambitions chinoises dans la région.
En collaborant plutôt avec les États-Unis et le Royaume-Uni, l’Australie écarte la France d’une force d’influence collective sur le territoire. Car en effet, la France demeure présente physiquement, politiquement et militairement dans cette région, mais se retrouve écartée d’une importante alliance de démocraties occidentales. « On a voulu vraiment nous maintenir dans l’opacité et faire passer le message que la France ne fait pas partie de l’anglosphère même si elle a des territoires dans cette région » explique François Hesbourg.
Le coup est également rude pour Naval Group qui devait fournir les sous-marins commandés. 650 personnes travaillaient sur le contrat australien en France et cela représentait 10% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Sa rupture a un effet conséquent mais ne remet pas en cause l’avenir de Naval Group.
4. L’Australie justifie ce revirement de situation par un intérêt stratégique national
L’Australie a justifié ce revirement à travers un changement de besoin. Il semble que des discordes entre Naval Group et l’Australie aient poussé le gouvernement à chercher d’autres alternatives, d’autant plus que le pays veut désormais s’équiper de sous-marins à propulsion nucléaire, équipements que Naval Group ne fabrique pas.
Pour les États-Unis et le Royaume-Uni, il s’agit d’un moyen de défendre leurs intérêts indo-pacifiques, en affirmant d’autant plus leur présence dans la région tout en constituant un barrage à l’influence chinoise. Ce partenariat entre les trois forces anglophones vise à contenir l’appétit de la Chine dans la zone indo-pacifique. Le gouvernement de Pékin a réagi jeudi par la voix d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères qui a déclaré que le nouveau pacte « menace de porter gravement atteinte à la paix régionale et d’intensifier la course aux armements« .
5. Une crise diplomatique ?
Ce coup de tonnerre diplomatique risque de laisser des traces, mais jusqu’à quand durera ce froid ? Pour l’instant les représailles françaises demeurent symboliques, notamment avec le retirement de ses diplomates à Washington et Canberra. Seulement, le ministre des affaires étrangères va un peu plus loin en assurant sur France 2 que cet événement pourrait peser sur la définition du nouveau concept stratégique de l’Otan. La France pourrait-elle quitter l’Otan ? On doute qu’une menace aussi importante puisse venir à se réaliser, le président de la République ayant des intérêts à préserver une bonne relation avec les États-Unis, mais aussi avec les autres pays européens également membres de l’Otan.
Ce n’est cependant pas le première fois que la France se retrouve écartée des opérations américaines. Le retrait des forces américaines de Kaboul avait eu lieu sans que les Européens soient mis au courant. Ces tensions pourraient d’autant plus pousser la France à entreprendre une émancipation stratégique de l’influence et du pouvoir américain.