Mercredi 31 octobre 2012, le film indépendant de Marcos Prado devait sortir dans 15 salles françaises. 12 d’entre elles ont annulé leur projection devant le non-respect de la chronologie des médias.
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Qu’a pu bien faire ce film libertin et électro-dub pour être retiré des salles de projection ? Ce n’est pas son sujet licencieux qui a été puni, mais la politique de communication de son distributeur : deux jours avant sa sortie officielle, Les Paradis Artificiels était diffusé gratuitement sur la chaîne Damned de Dailymotion, pour attirer son public underground et connecté.
Que les choses soient claires : le cinéma indépendant n’a jamais été florissant. Il n’a jamais présenté un chiffre d’affaire monstrueusement lucratif. Cependant, il arrivait à survivre. Le cas des Paradis Artificiels semble sonner l’alarme d’une période révolue. L’écart se creuse entre producteurs de majors et indépendants.
Au-delà des considérations financières, ce fait-divers éclabousse la grande question de la chronologie des médias. Qu’est-ce que la chronologie des médias ? Instauré par le Conseil National Cinématographique (CNC pour les intimes), il s’agit d’une règle qui régit l’ordre et les délais de diffusion d’une œuvre cinématographique. Ceci explique pourquoi, entre autres, vous devez attendre Noël avant d’acheter fébrilement l’édition Blu-ray-couscous-collector de La Vérité si je Mens 5, si le destin veut qu’il sorte en septembre.
À l’époque, cette règle devait assurer l’exclusivité des salles de cinéma face à la télévision, fraîchement arrivée dans les foyers français. Aujourd’hui, avec Internet et le téléchargement illégal qui ne faiblit pas, elle paraît obsolète. Preuve est que ce texte n’a pas pu être réformé en 2009, faute d’accord entre les parties.
Que doit-on faire, donc, du modèle français ? L’intention initiale de sauver les projectionnistes est louable, mais quel intérêt y a-t-il à bloquer tout système de publicité ? Si Dailymotion assume ce coup publicitaire pour Les Paradis Artificiels et Nuit #1 (diffusé mardi 5 novembre de 18h à 6h), il n’est pas le seul.
Par exemple, Christophe Honoré a contourné cette règle avec La Belle Personne. Sorti en salles le 17 septembre 2008, il a été diffusé intégralement sur Arte le 12 septembre. Arte France Cinéma, coproducteur de l’adaptation de La Princesse de Clèves, a profité du fait que ce projet était au départ un téléfilm pour l’ajouter à sa grille de programmes et servir sa communication.
Les majors ont également trouvé la faille de ce système avec l’exploitation du placement de produit. À la base, il s’agissait seulement d’équiper les personnages principaux d’une certaine marque, avec ou sans compensation de cette-dernière. Ce type de publicité a beaucoup profité à Apple, entre autres. Aujourd’hui, non seulement James Bond siffle des Heineken à longueur de journée dans Skyfall, mais il est également la star du spot publicitaire de la bière. Les publicités passent à travers les mailles du filet de la censure, et réussissent à attirer le public dans les salles et les supermarchés.
Reste que les attachés de presse s’arrachent les cheveux pour respecter une exception française qui a besoin de se connecter à nouveau avec le monde culturel, un peu trop foisonnant et beaucoup trop rapide. En attendant, Nuit #1 a réuni pour l’instant 92 participants sur son événement Facebook. Côté politique, Pierre Lescure, ex-président de Canal +, a été chargé du dossier de la chronologie des médias avec plusieurs autres dont… le dossier HADOPI. Bon courage, Pierre.
Matière à réflexion :
Le texte original de la chronologie des médias (site officiel du gouvernement français)
Le communiqué du diffuseur Damned, suite au retrait des Paradis Artificiels
Crédit photo : Damned Diffusion