Avec cinq Etats en jeu, le mardi 15 mars était une journée importante pour les Républicains. Elle a été décisive pour Marco Rubio, qui a quitté la course, et John Kasich, qui a remporté sa première victoire. Les cartes ont été redistribuées.
Ce mardi 15 mars, alors que les primaires américaines arrivent à mi-chemin, l’enjeu était particulièrement élevé pour deux candidats : Marco Rubio, sénateur de Floride, et John Kasich, gouverneur de l’Ohio. Impossible pour ceux-là de rester dans la course s’ils ne remportaient pas « leur » Etat. Aux Etats-Unis, l’Etat d’origine compte beaucoup, surtout pour un politique, et encore davantage dans une élection nationale. Représenter son Etat et le gagner est une question de cohérence et de fierté personnelle.
Mardi soir, Kasich a remporté l’Ohio soir 47% des voix — 36% pour Trump.
Quant à Rubio, c’est avec une marge de presque 20% qu’il a perdu la Floride : 27% pour le jeune sénateur hispanophone, contre 46% pour Trump.
Marco Rubio, chronique d’une fin annoncée
Le fils d’immigrés cubains avait profité du départ de Jeb Bush en février pour s’imposer comme le candidat officiel du GOP, soutenu par les élites dirigeantes et un grand nombre d’élus locaux ou nationaux. Mais depuis 3 semaines, les sondages le donnaient perdant en Floride, avec un écart qui ne cessait de s’élargir.
Dans les derniers jours, il n’y avait plus que la Floride qui comptait. 10 millions de dollars avaient été dépensés dans des publicités anti-Trump. Rubio ne faisait même plus campagne dans les autres Etats, autrement que par les réseaux sociaux ou par personnes interposées. Samedi 12 mars, à trois jours du scrutin, lors d’une rapide conférence de presse, Rubio apparaissait le visage défait, la voix éteinte. Il savait sans doute que c’était plié.
Quand on lui demanda s’il comptait soutenir Trump au cas où celui-ci remporterait la nomination, il avait lâché dans un filet de voix : « Je ne sais pas… Je veux dire… J’ai déjà dit qu’Hillary Clinton serait très néfaste pour ce pays… le simple fait que vous me posiez cette question… Pour l’instant je compte toujours soutenir le nominé républicain…. mais… chaque jour c’est de plus en plus dur… »
Marco Rubio a annoncé jeudi 17 mars vouloir quitter la vie politique une fois son mandat de sénateur terminé, en 2017.
Kasich, l’homme d’expérience en embuscade
Trump visait une victoire dans chaque Etat pour cimenter davantage son assise en nombre de délégués, et le porter jusqu’à la nomination. Encore une fois, il y a eu victoire, mais elle n’était pas totale. Le businessman a remporté la Caroline du Nord, l’Illinois, le Missouri, la Floride (99 délégués d’un coup), et a perdu l’Ohio. Dans ces quatre premiers Etats, Ted Cruz est second — loin en Floride, mais extrêmement proche dans le Missouri où Trump ne l’a emporté qu’avec une fraction de pourcentage.
Le vrai coup d’éclat de la soirée : John Kasich. Il a remporté son Etat, ce qui lui d’abord permis de se maintenir, puis d’acquérir un nouveau momentum. Il est arrivé troisième dans l’Illinois, la Caroline du Nord et le Missouri, devant Rubio.
En début d’année, personne ne songeait un instant voir Kasich parmi les trois derniers finalistes. C’est un candidat discret mais un excellent homme de terrain et un fin stratège. Pas le plus médiatique, mais certainement le meilleur politicien d’entre tous. Les médias américains et les réseaux sociaux ont manifesté leur surprise mardi soir de le voir continuer sur sa lancée au moment où Rubio s’éloignait pour de bon. Les médias français l’ont en grande partie ignoré. Il n’y a guère qu’ici que l’analyse était juste.
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Sur CNN il se décrit comme « le petit moteur qui peut ». A condition que l’argent ne vienne pas à manquer. Mais mardi soir l’heure était à l’euphorie. Des tombereaux de confettis se déversaient sur la scène. S’adressant au public dans son discours de victoire, il ouvre sa veste et montre sa chemise : « C’est tout ce que j’ai. Merci du fond du coeur. » Derrière lui, sa femme et ses deux filles. Après l’annonce de l’abandon de Rubio il déclare : « On n’est plus que trois. C’est plutôt cool. »
Trois challengers, au mitan des primaires. Rapidement, il est devenu clair que Ted Cruz était de facto, avec le départ de Rubio, le candidat de l’establishment républicain. Des élus l’ont rejoint, à l’instar de Nikki Haley, gouverneur de Caroline du Sud et puissant soutien de Rubio. Rubio, dit « modéré » dans les médias français, est lui-même idéologiquement plus proche de Cruz que de Kasich. Un soutien officiel de Rubio pour Cruz n’est pas à exclure. La vraie rivalité, après ce mardi 15 mars, est entre Ted Cruz et John Kasich.
Trump, une affaire qui marche
C’est peut-être pour cette raison que Kasich a annoncé qu’il ne participerait pas au débat devant avoir lieu le 21 mars à Salt Lake City. Trump s’était déjà désisté. Un duel télévisé Cruz-Kasich de deux heures aurait été dangereux pour Kasich. Trump lui-même, qui s’est jusque là concentré sur Jeb Bush, Marco Rubio et Ted Cruz, a commencé à s’en prendre à Kasich sur les réseaux sociaux.
Depuis sa luxueuse bâtisse de Mar-a-Lago en Floride, Trump a appelé une nouvelle fois à l’union du parti républicain autour de sa candidature — une tendance que nous avions déjà discernée il y a deux semaines. Le milliardaire se veut unificateur et triomphateur, balayant du revers de la main les efforts du parti contre lui. Ses prises de parole sont comme du free-jazz, sa voix est stable, le discours serpente de sujet à sujet sans trop de lien logique, atterrit sur une blague, une insulte, repart ; il y a des phrases courtes, des mots simples et hyperboliques. Il prévient : « Un jour, quand on va tout prendre, ils vont comprendre. » La foule adore ça.
Vers une convention négociée
Dans le champ républicain, les candidatures multiples ont provoqué depuis le début une dispersion des voix et des délégués. Un contexte propice à une convention négociée, situation de plus en plus probable.
Trump a 693 délégués, Cruz 422, Kasich 144. Il faut 1 134 délégués pour obtenir une majorité et espérer se faire nominer en douceur. Mathématiquement, il parait de plus en plus difficile pour chaque candidat d’arriver à un tel nombre. Seul Donald Trump peut y arriver : il lui faudrait gagner 52% de tous les délégués restants.
John Kasich ira chercher l’électorat modéré et, pour cela, se concentrera sur la Californie, le Connecticut, le Delaware. Il va faire des remous dans le Wisconsin, dans le Maryland. En Californie, le 7 juin, il sera dans de bonnes conditions — mais Trump tout autant.
Plein centre
Ces primaires — et cette élection présidentielle — vont se jouer sur l’immense champ des modérés, dans la silent majority. C’est l’ouvrier, le cadre, le petit entrepreneur d’une ville grande, moyenne, petite ; il ne se politise que tous les 4 ans, il veut l’ordre, la sécurité et que les usines cessent de fermer près de chez lui, que l’Amérique soit forte parce que ce n’est pas tant son destin que son identité et que sans cette puissance il n’y rien d’autre. Il ressent le politiquement correct comme un vrombissement sourd et ça l’irrite, ça l’agace, mais il ne pense par qu’Obama soit l’antéchrist venu sur terre pour confisquer ses armes, ni que les gays sont tous pécheurs.
Les primaires se joueront au centre, dans l’immense centre qu’est la classe moyenne américaine dévastée par 15 ans de crise économique, minée par le déclassement social, lestée par la nostalgie et la honte — embrasée maintenant par la colère.
C’est cette silent majority qui avait amené Nixon au pouvoir en 1968. L’expression date d’ailleurs de cette époque. Dans les discours outre-atlantique, 1968 est de plus en plus une référence ; les similitudes avec 2016 sont bien là, même climat de violence, de tension, de colère. Mais en 1968, le pays avait 20 ans de prospérité derrière lui.
Aujourd’hui la fracture est bien plus grave, plus profonde, et le corps social est moins poli. C’est cela et rien d’autre qui explique le succès de Trump jusqu’à maintenant. Si quelqu’un veut gagner, il lui faut capter ce vote-là, savoir lui parler, en faire sa base politique. Et puis incarner cette base et la porter jusqu’à Washington pour éviter qu’elle n’explose. Ils sont deux à l’avoir compris depuis le début : Trump et Kasich.