A l’occasion de la sortie du livre The Newsroom ou le syndrome de Don Quichotte, nous revenons sur la série The Newsroom son producteur éxécutif Alan Pool, rencontré au Festival de télévision de Monte-Carlo.
The Newsroom nous raconte l’histoire d’une rédaction de JT du cable, News Night sur Atlantic Cable News, dont le présentateur principal est devenu un “fonctionnaire”, plus intéressé par son audience et sa popularité que par son métier de journaliste. Ce présentateur, Will McAvoy (Jeff Daniels, juste parfait dans le rôle), pète un cable durant une conférence dans une université, et dans le même temps, le patron de l’info de la chaîne, Charlie Skinner (Sam Waterston), embauche comme producteur exécutif de l’émission l’ex de Will McAvoy, McKenzie McHale (Emily Mortimer). A partir de là, ce petit monde va tenter de créer “News Night 2.0”, une émission d’info éthique et fondée sur la véracité des faits, plutôt que la polémique, le débat plutôt que la propagande.
Etes-vous accro aux infos ?
Alan Poul : Je suis accro aux infos, mais, et c’est un peu gênant à avouer pour quelqu’un qui a produit une série sur les infos télé pendant 3 ans, je suis plus amateur d’info sur papier et radio. Je ne suis pas particulièrement fan des chaines d’info. Cela est d’ailleurs une partie des critiques que nous faisons à l’information dans The Newsroom. Donc j’obtient mes informations de trois sources : le New-York Times, la Radio Nationale Publique (NPR), et le Daily Show avec Jon Stewart. Et d’ailleurs vous trouverez beaucoup de gens aux USA qui prennent leurs informations du Daily Show, car si l’on a les fait depuis les médias traditionnels, c’est dans le Daily Show que l’on trouve les motifs derrière les faits. Le Daily Show apporte des éléments qui devraient être dans les informations traditionnelles, mais ne s’y trouve pas. Et c’est parce que dans les infos télé personne ne travaille en profondeur.
The Newsroom est censé être une série, et donc du divertissement. Pourtant il y a une de nombreuses critiques, et notamment des médias d’info. D’ou cela vient-il ?
Alan Poul : C’est intéressant parce que, lorsqu’une information (ou un sentiment) devient virale, vous ne pouvez plus jamais la changer, et certaines histoire ressortent d’une certaine façon. Pourtant The Newsroom était une série adorée par celles et ceux qui sont des vrai journalistes, ceux qui travaillent sur les grandes chaînes ont aimé la série, pratiquement tous les journalistes devant une caméra ou sans caméra sont venu nous voir en nous disant : “On adore la série, on veut être consultant pour vous !”. Et nous avons employé nombre d’entre eux comme consultants. Le seul groupe qui n’a pas aimé le show a été celui des critiques télé. Ils ne sont pas experts sur la façon de diffuser de l’information à la télévision. Ils ont donc pris sur eux de dire que nous ne le faisions pas bien et que nous essayions d’expliquer aux journalistes comment faire leur travail. Premièrement, nous ne sommes pas intéressé à leur expliquer comment faire leur travail, ils sont critiques télé, et leur travail n’a rien à voir avec ce dont on fait la critique dans la série. Et deuxièmement, on a montré de manière très précises comment l’information télé était faite et les problèmes qui en découlent. La seule distorsion est qu’Aaron (Sorkin), comme il le fait toujours – c’était le cas dans A la Maison Blanche, c’était le cas dans Studio 60 (on the Sunset Strip) – présente une version idéalisée et romanesque de cet univers. Quand il présente une version idéalisée de la Maison Blanche dans A la Maison Blanche, ce n’est pas une critique de Clinton, c’est même totalement l’inverse ! C’est une façon de monter son adoration pour Clinton. Donc je pense que les critiques ont pris la série du mauvais sens, et de ce que j’en comprends, on ne peut jamais prévoir quand quelque chose devient viral. Il y a eu un petit nombre, mais bruyants, et dans un cas particulier avec de l’influence, de journalistes qui ont commencé à écrire sur la série avant sa diffusion, car ils avaient eu leurs copies de presse, et ils ont commencé a diffuser des critiques qui n’étaient pas seulement négatives mais aussi violentes. C’était les premiers retours sur la série, et ca a donné a tous la permission d’en faire autant. Comme vous le savez les critiques télé, et je m’excuse si vous vous sentez visés, je ne veux surtout pas paraître insultant, adorent avoir “la permission” de haïr la série. Ils se disent “Super, c’est un coup gratuit !”. Cela crée une atmosphère dans laquelle on a l’impression que la série est faite pour qu’on se lâche dessus. Une personne était critique pour le Huffington Post, l’autre pour le New-Yorker Magazine, et ils ont écrit très tôt et très négativement sur la série. Ils ont sous-entendu que la série était sexiste, et c’est également une forme de “coup gratuit”, car si vous sous-entendez qu’une série est sexiste ou raciste, tout le monde se sent obligé d’en faire autant. C’est ce qui s’est passé, et il n’est pas possible de renverser la vapeur. Et même au moment de la seconde saison, ou de nombreux critiques ont dit a quel point la série s’était amélioré, certains qui avaient négativement jugé la première saison disant qu’il fallait revenir à The Newsroom, même comme ça, on ne peut jamais vraiment effacer la vague négative du début.
Concernant les histoires quels sont les principaux changements entre les saisons un, deux et trois ?
Alan Poul : Il y a trois éléments. La saison un est la saison “des infos du jour”. On suit les personnages, leurs histoires, et à un moment une info arrive et c’est à ce moment là qu’une date arrive à l’écran. Le public se dit alors : “C’est donc cette histoire dont on va parler dans l’épisode de cette semaine”. C’est comme ça que vous saviez où vous en étiez dans le temps, et on a fait cela la plupart du temps sur la première saison. On l’a fait avec Fukushima, avec Osama Ben Laden. Et à la fin de la saison on s’est que l’on avait assez joué avec, que ça devenait prévisible. Donc en saison deux on s’est dit qu’il nous fallait une histoire qui se déroulerait tout le long de la saison, c’était une histoire fictionnelle, l’histoire de Genoa, mais basée sur une histoire vraie qui s’est passée sur CNN, dans laquelle la chaîne a perdu sa crédibilité. Et la saison trois, qui est la dernière, était autours du fait que la chaîne était vendue. C’était aussi une façon de revenir au début, et également nous voulions tuer un personnage. On ne savait pas qui, et toute les semaines on désignait un nouveau personnage. On se disait “on va tuer Mac” et puis finalement non, “on va tuer Will”, et non, “On va tuer Charlie”, et là “Oui, on va tuer Charlie”.
Ça n’a pas été trop difficile de boucler la série en six épisodes ?
Alan Poul : C’était l’accord que nous avions avec Aaron Sorkin. Après la saison deux qui a été si difficile, il n’était pas certain de vouloir revenir pour la saison 3. HBO voulait désespérément le retour de la série, et surtout une conclusion digne de ce nom. Nous avons donc négocié avec Aaron (Sorkin), et nous lui avons proposé de ne faire que six épisodes, et d’avoir la possibilité de conclure cette histoire. C’était mon idée d’ailleurs. HBO a été d’accord.
Policy of truth : pourquoi The Newsroom est une grande série
Aaron Sorkin qui s’attaque à la question des médias, ou plus précisément de l’information, ce n’est pas n’importe qui, qui s’attaque à n’importe quoi. La note d’intention est données dès l’épisode pilote : Un citoyen bien informé, en démocratie, est un citoyen à même de décider.
La série s’ouvre par un long monologue du personnage principal qui répond à une jeune étudiante (“Sorority Girl”) en quoi l’Amérique n’est pas le plus grand pays du monde (cf vidéo en une de cet article). Cette scène, magistrale, donne le ton de la série, montre un personnage en proie à une véritable crise de convictions, mais surtout pose, là encore, l’intention du show : une histoire dans laquelle on examinera l’ensemble des questions à la fois sur l’angle des faits mais également sur l’angle humain, et donc politique. Sur trois saisons de nombreux grands moments de l’histoire contemporaine seront, directement ou indirectement, abordés : l’Accident de la plate-forme Deepwater Horizon, la mort de Ben Laden, les Attentats de Boston ou encore la diffusion des documents de la NSA par Edward Snowden, en passant par les élections présidentielles américaines de 2012. Pourtant, au fil des 3 saisons, 3 traitements différents seront abordés dans la série : En première saison c’est un traitement réaliste des faits, utilisant des faits vieux de presque deux ans au moment de la diffusion. En saison deux, c’est principalement une histoire imaginaire (Opération Genoa), qui sert de fil rouge à la série, mais évoque des questions comme le comportement du gouvernement américain dans ses opérations extérieures, ou encore, et surtout, la question des hoax (informations fausses). Enfin, la saison 3 est un hybride, avec un fil rouge totalement fictif parsemé de faits réels comme la question du plafond de la dette de l’état.
Ensuite, il y a un réel engagement politique de la série (qui s’estompe un peu en saison 3) sur lequel il faut s’attarder. Sorkin fait de son héros, Will McAvoy, un républicain engagé. On nous explique qu’il a rédigé des discours pour Georges W. Bush, et lui-même s’affirme comme tel à de nombreuses reprises. Ce faisant, il fait partir son héros en croisade contre le Tea Party, qui est aux USA la droite de la droite. En gros, c’est un peu comme si en France on avait fait un personnage de droite qui passe son temps à taper sur le FN. Et la comparaison n’est pas totalement dénuée de fondement. En effet, il y a fort à parier que, si Sorkin a fait le choix de rendre son héros républicain, alors que lui-même a des sympathies démocrate, et que d’ailleurs, l’administration Bartlet était démocrate dans The West Wing, c’est sans doute parce qu’il a voulu toucher les électeurs républicains plus que les démocrates. A de nombreuses reprises, McAvoy affirme qu’il poursuit une “mission de civilisation”, on peut raisonnablement penser que ces mots traduisent l’intention de l’auteur : il poursuit également une mission de civilisation.
On a fait mille reproches à la série, parmi lesquels celle de vouloir faire la leçon, et en particulier aux médias. Ce qui a valu à Sorkin l’ire des reporters d’infos durant toute la premières saison. Il aura fallu une interview avec Dan Rather (un des papes de l’info américaine) et une seconde saison moins polémique pour que cela se calme. Au final, The Newsroom c’est un total de 25 épisodes, répartis sur 3 saisons (10 épisodes, puis 9; puis 6), qui constituent aujourd’hui une des séries les plus élégantes et contemporaines sur la question des médias, mais plus généralement sur le monde dans lequel on vit.
Crédit : HBO