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Edito : Le jour où ma mère m’a spoilé Game of Thrones

Désormais, tout le monde ou presque regarde des séries TV – y compris nos parents.  Et quand ta mère te spoile Game of Thrones, c’est un choc.

Je m’en souviens comme si c’était hier. En septembre dernier, par une belle journée ensoleillée  égayée par le chant des oiseaux, j’avais rendu visite à ma mère.  Nous prenions un café, à la table de la cuisine, en parlant de choses et d’autres : de la santé de Tata Béatrice, de la nouvelle voiture du voisin, et bien sûr de séries télé. (C’est plus fort que moi : j’ai une très nette propension à orienter la conversation vers ce sujet…) Quand tout à coup : BANG ! Les oiseaux se sont tus, le sol a tremblé, les murs se sont écroulés et la terre a vacillé sur son axe. “La mort de *BIP*, je ne m’y attendais pas. Tu l’avais vue venir, toi ?!” m’a lancé ma mère, pendant que je m’étranglais avec ma tasse à la main. Bin non. Et pour cause : je n’avais pas encore vu l’épisode. Et voilà comment ma mère m’a spoilé Game of Thrones.
Oui, à moi. Moi, l’experte en séries autoproclamée. Moi, qui me précipite sur les épisodes dès qu’ils sont disponibles comme
Dr House sur un cachet de Vicodine, qui ai conseillé Mr Robot à mes amis avant tout le monde, et qui sacrifie une bonne partie de ma vie sociale et de mes heures de sommeil sur l’autel du binge-watching. J’ai pâli sous le choc – j’aurais pu jouer un zombie dans The Walking Dead.

Il y eut un temps, pas si éloigné, où ma mère occupait son temps libre en lisant des bouquins ou en visionnant des films. Son expérience des séries télévisées se limitait à regarder Julie Lescaut le Jeudi soir et – soyons fous –Urgences sur France 2. Elle tenait les séries pour un genre mineur sans grande portée, un  passe-temps distrayant mais dont on ne se vante pas. Lorsque je lui parlais de séries avec l’exaltation de Ross Geller s’enthousiasmant à propos des dinosaures, elle m’écoutait poliment, mais je voyais bien qu’elle avait du mal à suivre. Un peu comme un touriste en pays étranger, qui ne parle pas la langue et affiche un sourire niais (pardon, maman) devant le discours d’un autochtone, dont il ne comprend pas le premier mot. Mais ça, comme dit la pub, c’était avant…

Et puis un jour, ma mère m’a annoncé qu’elle avait commencé à suivre Sherlock, sur France 2. J’ai esquissé un sourire – Sherlock, je l’avais vue bien avant la diffusion en France – mais j’avoue que ça m’a fait plaisir : si quelqu’un pouvait améliorer l’image que ma mère avait des séries TV, c’était bien le détective de Baker Street. Je n’avais pas saisi l’ampleur qu’allait prendre le phénomène. Ma mère venait de mettre le doigt dans un engrenage ; elle était foutue, et elle ne le savait pas encore. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’arrive enfin LE jour qu’attendent tous les fans de séries : celui où l’on vous demande, « Est-ce que tu as une série à me conseiller ? » Évidemment, j’en avais une ! Voire une bonne dizaine. Nous sommes comme ça, les accrocs aux séries : nous avons TOUJOURS une liste impressionnante de recommandations. Je me suis frotté les mains (genre Mr Burns dans Les Simpson) et je me suis creusé les méninges pour trouver une série susceptible de lui plaire, sans violence ni scénario tortueux, un truc classique et bien construit. Mad Men. Succès total : ma mère a adoré, elle a dévoré les 7 saisons d’un coup. La fois suivante, j’ai décidé d’être un peu plus téméraire : pourquoi pas Orange is the new black ? Quand je repense à la discussion qui a suivi, j’en ai encore des palpitations.

« Ah, oui. J’ai commencé, mais je n’arrive pas à accrocher. Ça ne me plaît pas, j’ai laissé tomber. » m’a-t-elle lancé comme si de rien n’était.  Pardon, quoi, comment ?!! J’ai affiché un sourire crispé, mais je n’en menais pas large. Je n’en revenais pas : ma mère s’était émancipée, elle s’était lancée toute seule, comme une grande, dans une série certes médiatisée mais disponible uniquement sur Netflix. Et c’est ça, justement, le truc : désormais, ma mère est abonnée à Netflix, elle n’a plus besoin de moi ou de mes suggestions. La télé s’en charge à ma place. Bon, ma douce mère n’étant pas une délinquante, elle n’a pas encore été pervertie par le streaming ou le téléchargement illégal. Mais à ce rythme là, Hadopi a peut-être du souci à se faire. En attendant, elle me demande désormais ce que je pense de River, Marcella ou d’autres séries dont je n’avais jamais entendu parler avant qu’elle ne les évoque , et c’est moi qui suis ses conseils et  fait des découvertes grâce à elle.

Vous faites quoi, le Samedi soir ?

 

Mais je (re)découvre aussi autre chose : les séries télé, ce n’est pas seulement un divertissement. C’est aussi un lien, un moyen de se rapprocher et de partager quelque chose. Lorsqu’on la regarde seul, bien planqué derrière un écran, la série télévisée est une expérience solitaire ; dès lors qu’on la partage, elle peut créer une nouvelle complicité. Alors bien sûr, on n’a pas besoin des séries pour se sentir proche de quelqu’un ou partager des moments privilégiés ; avant les séries, on avait déjà des sujets de conversation (et pas seulement la santé de Tata Béatrice). Simplement, se sont ajoutés à ces échanges des réflexions sur House of Cards, l’émotion suscitée par Un Village Français,  ou l’insoutenable attente avant la nouvelle saison de Ray Donovan. Saint-Exupéry écrivait : «Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre ; c’est regarder ensemble dans la même direction. »  Vous savez quoi ? Ça marche, même si la direction en question est un écran de télévision. Et finalement, ce n’est pas si grave si ta mère te spoile Game of Thrones : tu l’aimes quand même. Plus que Jon Snow.

Crédit illustrations: HBO / BBC / Time Warner.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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