Alors que les feuilletons quotidiens français connaissent un vrai succès, les soaps américains sont en pleine relance avec l’arrivée de Beyond the gates.
Le plus ancien soap américain encore à l’antenne a un peu plus de 60 ans et c’est General Hospital ; du côté de La France, c’est Plus belle la vie avec 20 ans en 2024. Faut-il regarder dans leurs différences pour comprendre la clé de la longévité américaine ?
Les soaps américains : une tradition américaine
En 2025, CBS va lancer Beyond the gates. Ce sera le premier soap à être lancé à la télévision américaine depuis 1999 et l’arrivée sur NBC de Passions. Mieux, le plus ancien soap encore à l’antenne a été lancé en 1987 : Amour gloire et beauté.
S’ils ont connu une grave crise dans les années 2010, les soaps sont constitutifs non seulement de la télévision américaine, mais de la culture audiovisuelle dans son ensemble puisqu’ils sont nés à la radio au début des années 30. Ils ont permis de fidéliser à la radio puis à la télévision le public qui ne connaissait pas ou peu ce médium grâce à des recettes scénaristiques à la fois simples et complexes.
« Simples » car on pourrait résumer ainsi leur mode de fonctionnement : y rentrer facilement, en ressortir difficilement. On y entre facilement car un spectateur lambda qui n’a jamais vu un épisode doit pouvoir prendre un épisode en cours de route, comprendre l’intrigue en cours ainsi que les éléments passés nécessaires, mais aussi les connexions entre les personnages, pour finalement rejoindre la série. Comme la tradition du soap est « orale » par la radio, c’est un genre bavard. Si on y utilise les mêmes mots que dans la vie, on y parle différemment car on ne cesse de rappeler ce que les personnages traversent afin de faciliter l’arriver de nouveaux spectateurs. Par exemple, quand le bébé de Hope a été volé dans Amour gloire et beauté et a été donné, à l’insu de tous, à sa rivale Steffy, les dialogues ne cesseront de rappeler le drame vécu par la jeune femme.
Si grâce à ces éléments, on comprend assez vite ce dont il s’agit, les éléments qui fédèrent le public sont là pour le rendre addict en posant des questions ou soulevant des dilemmes à l’infini.
« Complexes » car les histoires soaps sont en réalité des « mondes sans fin » qui s’étirent à l’infini. Si il y a bien des arches pour segmenter la narration, ces arches sont connectées entre elles, l’une entraînant l’autre et ainsi de suite pour ne jamais s’arrêter. Toujours dans Amour gloire et beauté, la rivalité entre Brooke et Stephanie, née quand Brooke a volé son mari à la matriarche dans les années 90 connaîtra des soubresauts très longtemps jusqu’au départ de la comédienne entre 2012. La boucle sera bouclée car elle va mourir dans les bras de sa rivale lors d’un épisode absolument bouleversant.
Les feuilletons quotidiens français : un modèle hybride
Sur des bien des aspects, nos feuilletons quotidiens ressemblent beaucoup dans le fond à leurs homologues américains dans les mécanismes enclanchés pour fédérer le spectateur et le garder. Ils ne différent pas dans le type d’intrigues mais dans la manière de les mettre en marche. Et cela s’explique par le fait que le genre soit « jeune ».
Tous les feuilletons quotidiens français ont été lancés à une époque où la télévision va vite, la concurrence bien plus nombreuse. On doit fédérer presque immédiatement le public sous peine de ne jamais le faire. Cela donne donc des séries qui sont plus nerveuses, plus rythmées dans leur composition. Les intrigues des feuilletons quotidiens se rapprochent même plus des intrigues des séries de prime time. Il se passe quelque chose dans chaque épisode, chaque épisode doit rebondir et on ne doit jamais lasser le spectateur donc les intrigues changent très souvent. Et c’est là la différence avec les soaps américains dans lesquels les intriguent évoluent souvent mais changent moins. Cette différence entre évoluer » et « changer » est ce qui marque la différence entre les deux pays.
Dans un soap américain, une arche peut durer des mois voire des années. Gardons l’exemple du vol du bébé de Hope mentionné plus haut. L’arche commence en janvier avec le vol du bébé et se terminera à la fin de l’été suivant quand le bébé sera rendu à sa mère. Entre les deux, la série connaîtra soit des rebondissements autour de cette arche (pas forcément tous les jours), soit des réactions des personnages. Pelle mêle, on apprendra par exemple au gré de cette histoire, que l’une des responsables du vol est une enfant cachée du clan Forrester ; que l’un des personnages découvrira « ce secret » mais ne dira rien pour garder le contrôle sur celle qu’il aime ; une jeune femme qui voudra révéler ce secret sera même victime d’un accident de voiture , … Mais dans l’absolu, les auteurs auront à travailler les personnages, à faire évoluer / rebondir l’intrigue sans passer d’une arche à l’autre.
A l’inverse, nos arches en France durent environ 4 – 5 semaines. Et il faut un twist à la fin de chaque épisode pour garder le spectateur tout s’arrangeant pour que l’arche se finisse rapidement pour passer à une autre car sinon le spectateur trouvera que ça traîne trop. En se focalisant davantage sur les personnages que sur des mécaniques de thriller ou de polar, Ici tout commence échappe un peu à ce modèle, se permettant de lancer un événement qui connaîtra des rebondissements sur de multiples arches (comme l’accident de train) et est sans doute la série qui se rapproche le plus des soaps américains.
Mais la finalité est la même : les auteurs français éclusent une dizaine d’arches par an quand les auteurs américains en passent une ou deux grandes (auxquelles on ajoute des arches plus petites et qui durent moins longtemps). Si le nombre d’épisodes à produire est le même, les capacités de renouvellement dans les soaps américains semblent plus grandes. Et les auteurs sans doute « rincés » moins vite.
Réalisme vs crédibilité
La France ne jure que par le réalisme dans ses séries quand la télévision américaine pense plus en crédibilité. C’est ce qui permet à l’un de pouvoir tenter plus de choses. Tant que les personnages sont crédibles, réagissent de manière crédible, les auteurs américains peuvent tout tenter dans les soaps. Car les sentiments humains, les réactions humaines face à une situation donnée doivent être identiques selon que l’on évolue dans un univers conforme au nôtre ou pas.
Dans Passions, le soap lancée en 1999, la méchante de l’histoire est … une sorcière rescapée du bucher de Salem et dont le complique est un pantin à qui elle a donné la vie. Un soap peut donc partir de ce postulat sans pour autant oublier que face à un danger, que ce soit une sorcière ou un assassin, une personne devra réagir de manière crédible.
En France, comme tout doit être réaliste, on s’empêche de vraies folies scénaristiques similaires car on ne doit pas sortir des clous du réalisme. on se retrouve forcément à reproduire encore plus souvent les mêmes histoires. Et on ne parle pas seulement de fantastique. On parle de tout ce qui sort des rails du réalisme. On a parlé de la disparition il y a quelques jours de Drake Hogestyn, acteur iconique de Des jours et des vies dans le rôle de John Black qui a été tour à tour espion, mercenaire ou prêtre exorciste dans la série (Plus belle la vie l’avait tenté avec l’arrivée du Diable dans la série, mais sans maintenir ce côté fantastique). Ce mantra « tout est possible » des soaps américains, tant que leur personnage adopte un semblant de crédibilité dans leur réaction, leur permet de davantage se renouveler dans le temps et donc de durer plus longtemps. Car le but d’un soap est bien d’être comme un roman à suspense : un page turner « infini » dans lequel l’intrigue passe au dessus de tout.