Longtemps, la question a fait lever des sourcils et rougir des joues : « Peut-on être féministe et regarder du porno ? » Aujourd’hui encore, le débat allume des étincelles tant les réponses varient d’une femme à l’autre. Pour certaines, la pornographie reste le symbole d’une industrie pensée par et pour les hommes. Pour d’autres, elle peut devenir un formidable outil d’émancipation… si on la remet entre de bonnes mains. Autrement dit, il n’existe pas une vision féministe du porno, mais une constellation d’opinions, d’expériences et de revendications.
Un constat de départ : le porno mainstream, grand champion du male gaze
Les féministes qui critiquent la pornographie traditionnelle lui reprochent à peu près les mêmes choses : un regard centré sur l’homme, des scénarios où le plaisir féminin n’est qu’un prétexte visuel, une diversité corporelle inexistante, et une industrie où les abus, les inégalités et les pratiques non consenties ont longtemps fait partie du décor.
Pour le comprendre, il suffit de regarder comment sont construits la plupart des films : gros plans sur les corps féminins, domination masculine omniprésente, scripts taillés pour l’ego masculin… Rien de très étonnant quand on sait que ce sont majoritairement des hommes qui tiennent la caméra, décident des scènes et imaginent les fantasmes.
C’est ce que la théoricienne Laura Mulvey a théorisé sous le nom de male gaze : la vision du monde — et du plaisir — à travers les yeux d’un homme. Mais alors… est-ce incompatible avec le féminisme ? Pas si vite.
Les féministes qui aiment le porno : liberté, plaisir et contradictions assumées
Car voilà : dans la vraie vie, certaines femmes adorent regarder du porno, y compris des scènes « hard », dominantes ou violentes dans leur mise en scène. Et ces femmes… sont parfois féministes.
Elles défendent une idée simple, presque radicale dans sa simplicité : être féministe, c’est aussi être libre d’aimer ce qui vous excite, sans avoir à s’en excuser.
L’actrice Nikita Bellucci, par exemple, revendique haut et fort qu’on peut aimer le sexe intense, rugueux, parfois brutal — et rester pleinement féministe. Parce que le cœur du féminisme, pour elles, ne réside pas dans un style de pornographie, mais dans le consentement et l’autonomie.
Une autre militante du porno feministe et ethique, Maria Riot, le dit sans détour : si une femme aime être giflée, dominée ou participer à un gangbang, pourquoi devrait-elle s’en priver ? Le désir n’est pas un problème tant qu’il est choisi, négocié et respecté.
En somme : ce n’est pas ce que vous regardez qui fait de vous une féministe. C’est la manière dont vous vivez votre plaisir.
L’autre camp : celles qui veulent réinventer le porno de l’intérieur
Face à cette vision individuelle, un autre courant féministe propose quelque chose de plus ambitieux : changer le porno, pas s’en accommoder.
Ici entrent en scène les réalisatrices et théoriciennes du porno éthique ou féministe. Et leurs critères ne sont pas seulement esthétiques : ils sont politiques. Pour Olivia Tarplin, par exemple, un porno peut être considéré comme féministe s’il remplit quatre conditions :
- la femme doit être au centre de l’action,
- le plaisir féminin doit être réel — pas un simulacre chorégraphié,
- la représentation des genres doit être équilibrée,
- le film doit questionner la pornographie traditionnelle, pas l’imiter.
Sophie Bramly, fondatrice de Second Sexe, ajoute un élément essentiel : le porno devient féministe quand la caméra change de mains, quand les femmes deviennent celles qui racontent l’histoire.
Erika Lust, Paulita Pappel, Olympe de G… Chaque réalisatrice apporte sa vision, ses valeurs, ses limites. Certaines rejettent le porno mainstream. D’autres brouillent volontairement les frontières. D’autres encore refusent l’étiquette « féministe », qu’elles jugent trop marketing. Mais toutes ont un point commun : remettre de l’humain, de la diversité et de la transparence dans une industrie qui en manquait cruellement.
Le porno féministe : une catégorie utile… ou un piège marketing ?
Ici encore, les féministes ne sont pas d’accord. Certaines voient dans cette nouvelle vague un souffle indispensable, une alternative pour un public qui n’en pouvait plus des clichés misogynes. Une façon de montrer le vrai désir féminin, multiple, complexe, créatif.
D’autres dénoncent au contraire un terme fourre-tout, parfois utilisé pour vendre la même chose sous une étiquette plus glamour. Comme toujours dans les luttes culturelles, une révolution peut facilement être récupérée.
Et pourtant, malgré les débats, une chose reste indiscutable : le porno féministe introduit une question fondamentale que tout le monde devrait se poser avant de cliquer sur « play » : Dans quelles conditions ce film a-t-il été tourné ? Ambiance sur le plateau, égalité salariale, consentement, rémunération, diversité des corps, limites respectées… Ce qui se passe derrière la caméra devient aussi important que ce qu’on voit à l’écran.
Alors… que pensent les féministes du porno ?
Eh bien, tout et son contraire. Et c’est précisément ce qui rend la question passionnante. Voici ce qui ressort du débat :
• Certaines féministes rejettent le porno mainstream, jugé violent, masculiniste et dégradant.
• D’autres défendent le porno féministe comme outil de réappropriation du plaisir et du regard.
• D’autres encore affirment qu’on peut aimer n’importe quel type de porno tant que c’est consenti, assumé et respectueux des travailleurs du sexe.
• Et beaucoup estiment que la véritable question n’est pas « que regarder ? » mais « comment les films sont faits ? ».
Finalement, le féminisme n’est pas un logiciel qui impose des règles fixes. C’est un mouvement qui questionne, bouscule, réinvente… et la sexualité fait partie de ce terrain mouvant.