Anish Kapoor, le premier artiste vivant à avoir pu exposer seul à la Royal Academy of Art, était vendredi 1er Juillet au micro de France Culture. Celui qui aime les grottes s’est donc confié sur certaines de ses intentions artistiques et réactions face à l’actualité.
En l’espace d’un an, deux scandales ont fait ressortir Anish Kapoor sur la scène des controverses artistiques médiatiques. Le premier est une oeuvre, Dirty Corner, et a fait esclandre à Versailles, ayant été considérée comme un énorme vagin. Le deuxième est une couleur, « l’ultra-noir », qui retient 99,9% de la lumière et qui a fait parler d’elle puisqu’il l’a brevetée.
Dans ces deux controverses on peut noter le fait qu’il y ait une sorte de désir de mener l’art au-delà du physique, du matériel et du construit. En effet, la plupart de ses œuvres sont de forme cylindrique avec de grandes courbes et creux. Dirty Corner en est une parfaite illustration puisque face à la luxure à la dorure aux formes rebondies et minutieusement travaillées de Louis XIV, Kapoor a choisi pour créer un paradoxe mystique de réaliser une grande cave pour mettre du « chaos ». Le chaos a été encore plus grand lorsque sa cavité a été à plusieurs reprises recouverte de graffiti racistes et antisémites. Lui qui voulait aller au-delà des formes a été très factuellement stoppé par le fait que lorsqu’il a voulu laisser sur l’oeuvre les graffitis après les avoir effacés la fois d’avant, sa qualité d’artiste a fait plus autorité que la loi de l’évolution aléatoire de l’oeuvre en le portant responsable d’antisémitisme s’il laissait les inscriptions. Grotesque retournement de situation qui a finalement fait plus d’ombre au Roi Soleil que créé un mystère entre Versailles et l’Art Contemporain. Lui qui fait l’éloge des objets que l’on ne peut pas nommer a fini par faire clairement la une des rubriques culturelles avec des mots clairs nets et précis de vandalisme outrageant et haineux.
Là où le néant ne pourra faire autre chose que d’être, c’est dans son Noir, que dis-je son Ultra-Noir, le « Vantablack », qu’il a créé avec une équipe dans un laboratoire. Créer chimiquement une couleur, avec des matières calibrées au millimètre carré, afin de créer le néant sur une surface. « Un objet de vide », tel est le paradoxe qu’il a réussi à atteindre. Seulement, s’approprier une couleur et finalement empocher les bénéfices des utilisations par d’autres artistes ne fait pas forcément consensus dans l’univers artistique. Un nouveau chaos, certes moindre mais qui a néanmoins son importance puisque cet événement revoie à l’histoire de l’art du 20ème siècle, lorsqu’Yves Klein, dans la même intention, dépose sous enveloppe en 1960 la formule de son invention devenue l’International Klein Blue, visant là aussi à atteindre une couleur dépassant toute dimension en passant par le dépôt d’une formule chimique, matérielle, sachant que l’on ne peut pas posséder une teinte mais une matière, une formule scientifique pour atteindre l’au-delà du monde matériel. Kapoor entre dans le même paradoxe d’avoir breveté une formule chimique pour atteindre une couleur qui absorbe son environ tel un trou noir.
Ainsi, pour renouveler le monde artistique actuel, Kapoor semble être tiraillé entre ses ambitions, ses intuitions artistiques et les aléas d’un monde parfois réticent à l’art et hautement monétisé. Son parcours peut en effet poser la question de l’ancrage de l’art contemporain dans le cercle de la renommée budgétisée, à l’heure où les artistes pour renouveler les idées tentent plus que jamais de dépasser le monde concret et matériel.