Aphex Twin revient dans la course avec Syro, tour de force musical où le cerveau reprend ses droits.
C’est peu de le dire, le nouvel album d’Aphex Twin a fait couler beaucoup d’encre. Porté par une communication audacieuse voire déconcertante à grand coups de Kickstarter, de zeppelin et de deep web, Syro devait avant tout voir revenir sur le devant de la scène Richard D. James après son dernier album en date Drukqs sorti en 2001. Un exercice risqué pour le producteur britannique qui a ni plus ni moins donné naissance à l’IDM (Intelligent Dance Music) dans les années 1990, des cieux éthérés de l’ambient aux confins les plus obscurs de la drum & bass.
L’IDM plus vivante que jamais
Le premier constat à l’écoute de l’album est son étonnante sobriété. Là où Aphex Twin avait su manier le sens de l’outrance et de la démesure dans les 90s sur l’inoubliable Richard D. James Album et ses EPs Come To Daddy et Windowlicker, le maître a décidé de prendre du recul sur sa musique en en conservant l’essentiel. Aphex Twin livre un son dépouillé et clair, sans jamais renoncer à son sens aigu de la complexité et de la construction sur des morceaux comme « 4 bit 9d api+e+6 [126.26] » ou le très progressif « XMAS_EVET10 (thanaton3 mix) [120] ».
L’aura mystique de ses compositions les plus ambiantes est paradoxalement sublimée par des percussions de plus en plus soutenues, notamment sur les très réussis « CIRCLONT14 (shrymoming mix) [152.97] » et « s950tx16wasr10 (earth portal mix) [163.97] » qui parachèvent une montée en puissance parfaitement négociée sur les 65 minutes. Cette ambivalence du son, portée par des variations toujours bienvenues avec une précision quasi-mathématique, donne à Syro toute sa place dans la discographie déjà bien complète d’Aphex Twin, et tient en respect bon nombre de productions actuelles par la qualité ses arrangements.
Un compendium révolutionnaire ?
Les nostalgiques auraient tort de reprocher à Syro son manque de surprise. Chaque album d’Aphex Twin bouillonnait d’inspirations révolutionnaires, On retrouve certes tout ce qui a fait le succès de son label Rephlex ces deux dernières décennies. Mais quelque part, Aphex Twin n’a pas grand chose à prouver à un genre qui lui doit déjà à peu près tout. Qu’on ne s’y trompe pas : Richard n’a rien perdu de l’inquiétante étrangeté inhérente à son univers, bien au contraire.
L’électrochoc nerveux des raves londoniennes a tout simplement laissé la place à une introspection mesurée, à l’exploration minutieuse d’un spectre musical gigantesque. Si révolution il y a, elle se trouve bien plutôt dans cet étonnant « aisatsana [102] », où le piano minimaliste semble tourner le dos à l’obscurité urbaine pour revenir aux sonorités illuminées du dyptique Selected Ambient Works, enrichies par deux décennies d’expérience. La boucle est bouclée.
Nombreux sont les vieux briscards qui surfent sur des formules vues et revues, sans rien ajouter à leur répertoire. D’autres, par peur d’être dépassés par une pop culture en perpétuelle évolution, s’égarent en croyant mettre la main sur un public nouveau. Ce sont ces deux impasses qu’Aphex Twin a su éviter avec brio en livrant un opus extrêmement travaillé, approfondissant avec humilité les champs déjà ouverts par ses expérimentations passées.
Rétrospective d’une rare intelligence, à la fois accessible et captivant, Syro s’annonce comme le premier opus d’une longue série de nouveaux travaux. On trépigne déjà d’impatience à l’idée d’écouter ces futures merveilles.