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Black Panther, une noblesse sans majesté

Black Panther, une noblesse sans majesté

Chantre d’un renouveau du blockbuster, Black Panther dessine des horizons enthousiasmants mais manque son rendez-vous avec le cinéma.

Ce (déjà !) 18ème film estampillé Marvel Studios nous catapulte au Wakanda, Eldorado africain isolationniste dont les réserves inépuisables de vibranium ont fait la prospérité. Tout juste nommé roi après la mort de son père, le jeune T’Challa reçoit les pouvoirs de Black Panther. C’est alors qu’Eric Killmonger, soldat d’élite afro-américain aux origines troubles, lui conteste le trône…

Avant le vrai-faux terminus Avengers: Infinity War, Marvel Studios s’offre une escale dépaysante. Il suffit de voir le trailer pour s’en convaincre : ce Black Panther promet quelque chose de différent, une ribambelle de nouveaux personnages et de nouveaux décors, le tout porté par le jeune talent Ryan Coogler qui avait déjà créé la surprise sur Fruitvale Station et Creed. Cette « première » super-tête d’affiche noire sur grand écran (omission faite des vieillissants Blade, Spawn et Catwoman) avait donc beaucoup de choses à prouver.

C’est dans la gestion de son univers que Black Panther épate le plus. Bien loin de la grisaille qui se faisait encore sentir dans Thor Ragnarok, le long-métrage propose un univers foisonnant qui assume jusqu’au bout son envie de dépayser. Réactualisant avec déférence le Wakanda de Jack Kirby, la chef décoratrice Hannah Beachler (Creed, Moonlight) donne à l’afrofuturisme de Sun Ra et Drexciya son premier film grand public. Chaque élément de décor, chaque costume, chaque maquillage fait l’objet d’une inventivité rafraîchissante, et met un joli coup de pied dans la fourmilière ronflante des canons SF et fantasy des deux dernières décennies. Usant et abusant de son statut de blockbuster, Black Panther tourne la page de la déconstruction pour incarner une vraie force de proposition esthétique. Promesse tenue !

Black Panther

Hardman Wakanda

Passé ce grand ravalement, Black Panther reste un film Marvel. Déjà éprouvée par Avengers et Civil War, l’écriture chorale tourne ici à plein régime quitte à négliger son héros. Qu’il s’agisse de la générale Okoye (Danai Gurira), de Shuri (Letitia Wright) l’ingénieure espiègle ou de Nakia (Lupita Nyong’o) qui veut éveiller sa moitié à l’appel du monde, cet ensemble fait avancer l’histoire et présente à chaque fois une nouvelle facette des enjeux auxquels leur roi doit faire face. Ce fourmillement de personnages forts et féminins est réjouissant mais dilue hélas les enjeux, à tel point que le T’Challa placide et réfléchi de Chadwick Boseman peine parfois à imposer sa présence.

A contrario, Eric Killmonger se hisse sur le podium des méchants les plus charismatiques du MCU. Michael B. Jordan, muse de Coogler, porte le film tant par son énergie débordante que par son arc narratif inattendu. Ses motivations, clairement exposées et loin du manichéisme cosmique habituel, permettent au réalisateur d’Oakland de se frayer un chemin dans les interlignes du cahier des charges de la production. Prévisible dans son déroulé, Black Panther n’en est pas moins le film Marvel le plus politique.

Black Panther

Sans paternalisme, l’engagement du réalisateur sur le mouvement Black Lives Matter met la diaspora noire face à ses contradictions, entre l’émancipation par la violence et l’intégration dans un équilibre des peuples et des puissances par la prise de conscience d’un destin partagé. La dualité entre l’universalisme de Luther King et l’internationalisme communautaire de Malcolm X, déjà explorée dans la saga X-Men à travers les figures de Charles Xavier et Magneto, gagne ici en lisibilité ce qu’elle perd en force de suggestion. La querelle se télescoperait presque dans un parallèle géopolitique entre le Wakanda et les États-Unis : la tentation isolationniste est ainsi abordée au détour d’un échange inattendu et osé sur les flux migratoires. Du haut de ses 2h15, on regrette néanmoins que Black Panther n’ait pas l’honnêteté d’aller au bout d’un dilemme qu’il touche pourtant du doigt : la défense d’un système de valeurs justifie-t-elle qu’une superpuissance s’autoproclame gendarme du monde ? Peut-être n’était-ce pas le sujet, sans doute en verrons-nous le bout dans une suite… à moins que les exécutifs de l’empire Disney n’aient déjà eu le dernier mot.

Ce n’est pas qu’une question de moyens…

Enfin, et puisqu’il faut bien aborder les questions qui fâchent : Black Panther accuse un retard technique certain, la faute à un budget qu’on devine très tendu. Au regard du casting all-star et du production design ambitieux, difficile de s’engager davantage quand les ressources de Marvel Studios sont déjà toute entières consacrées au mastodonte Infinity War, dont on estime le budget record à 480 millions de dollars.

Principale victime : le mouvement. Les impératifs budgétaires pèsent sur l’image, et refusent à certaines scènes le souffle épique qu’elles méritaient. Il faudra donc se contenter d’incrustations sur fond vert particulièrement grossières, dont l’utilisation défie parfois les perspectives et les échelles au détour de faux raccords hélas assez visibles. La faiblesse des effets visuels est d’autant plus criante que la post-production abuse d’un flou cinétique qu’on croyait réservé aux productions vidéoludiques plafonnées à 30 images par seconde. Exception faite d’une échauffourée à la James Bond en Corée du Sud, Black Panther pèche donc par des scènes d’action imprécises dont le découpage charcuté et les plans resserrés peinent à sublimer les mouvements et les paysages. Un comble, quand on sait la souplesse avec laquelle Coogler avait réveillé la boxe dans Creed !

Dans un MCU par trop d’aspects aseptisé, reconnaissons à Ryan Coogler ses partis-pris audacieux, son volontarisme louable et son regard lucide. Force de proposition esthétique par une réappropriation de sa propre histoire, Black Panther fait enfin justice à des représentations trop longtemps écartées du paysage hollywoodien. L’entreprise aurait fait date si elle n’avait pas délaissé en route la grammaire du mouvement : minée par des concessions formelles qu’on devine plus nombreuses que prévu, la mise en scène donne laborieusement vie à un univers qui avait pourtant tout pour nous faire vibrer. Partie remise donc… en attendant le deuxième round ?

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Animateur de HyperLink et Rédacteur-en-chef Pop Culture, spécialiste en univers virtuels et jukebox itinérant.
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