Quatre hommes comparaissent depuis mardi devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour le braquage d’un restaurant Quick en septembre 2013. Mais c’est surtout le but de l’opération qui soulève des inquiétudes : l’argent récolté devait servir à financer le départ de l’un d’entre eux vers la Syrie.
Mains derrière le dos et tête baissée, Karim (1) parle dans sa barbe. Depuis le box des prévenus, le principal instigateur du braquage du fast-food répond aux questions avec peu d’entrain. Depuis mardi, il est jugé avec trois autres personnes pour “vol à main armée aggravé”. Mais compte tenu des circonstances du vol, ce chef d’accusation est complété par celui de “participation à une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste”. Les braqueurs poursuivaient un objectif un objectif assumé : financer le voyage de Karim vers la Syrie.
Des braqueurs suivis par les services de renseignement
Le 4 septembre 2013 à 22 heures, trois hommes cagoulés, munis d’armes de poing factices, entrent dans un fast-food situé en bordure de la Nationale 10, près de Coignères dans les Yvelines. Un transporteur de fonds vient de récolter la recette de la semaine du restaurant. Malgré cet imprévu, les braqueurs parviennent à dérober un butin de 4000 euros avant de s’enfuir dans une voiture conduite par le quatrième prévenu. Surveillés par les services de renseignement pour leur appartenance supposée à la mouvance radicale, ils sont rapidement identifiés et retrouvés par les policiers. Ils sont ensuite arrêtés le lendemain des faits à leurs domiciles respectifs.
Si les prévenus reconnaissent les faits de vol, ils nient toute intention terroriste. En particulier, les motivations de Karim sont troubles et il peine à convaincre. A la barre, il explique poursuivre un objectif « humanitaire ». Il souhaite aller en Syrie pour « reconstruire des maisons et aider des orphelins ». Sceptique, le juge le pousse dans ses retranchements : « Vous savez que la Syrie est un pays en guerre ? ». Karim persiste mais son parcours ne plaide pas en sa faveur.
Des liens avec la mouvance djihadiste
Sunnite pratiquant depuis toujours, il veut faire son hijra avec sa femme et ses deux enfants, c’est-à-dire s’installer dans un pays musulman et pratiquer un idéal de vie islamique. Il part en 2012 faire un repérage dans le village tunisien de Tataouine, village où le penseur islamiste Sheikh Imran Hosein prône l’instauration d’une « résistance islamique armée ». Face à des juges impassibles, Karim soutient que Tataouine « n’a vraiment rien à voir avec tout ça ».
D’autres éléments s’ajoutent au dossier. Certaines noms connus des services antiterroristes reviennent à plusieurs reprises dans l’affaire. Dans un premier temps, celui de Samy Amimour, l’un des kamikazes du Bataclan. Omar l’aurait rencontré la veille des faits à Porte de Pantin pour « discuter du trajet vers la Syrie ». Le nom d’Abdoul M’Bodji, détenu incarcéré pour avoir tenté de partir en Syrie, apparaît également. Enfin, l’un des prévenu connaissait Charraffe El Mouadan, franco-marocain qui a rejoint l’Etat islamique et a été tué le 24 décembre dernier. De plus, un drapeau de l’Etat islamique a été retrouvé lors que la perquisition chez Karim.
Une tension palpable
De son côté, Eric est suspecté de radicalisation depuis son premier séjour en prison. Il y avait été placé en isolement pendant trois semaines pour prosélytisme. Le prévenu dément tout soutien à une entreprise terroriste et assure que ce braquage était motivé par la volonté d’ « aider la cause syrienne ».
Le troisième prévenu, Kevin, nie toute implication avec le projet de départ en Syrie. Il affirme qu’il a simplement voulu aider son ami Karim qui demandait de l’aide. Alors que l’audience dure depuis plusieurs heures et que la tension est palpable, Kevin hausse le ton : « Je suis dans une sale situation. C’est parti d’un braquage et maintenant on me colle une étiquette de terroriste ». Le juge ne détend pas l’atmosphère lorsqu’il rétorque froidement : « C’est exactement ce que déclaraient les terroristes du Bataclan ».
1. Les noms ont été modifiés.
Article co-écrit avec Raphaël Couderc