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CINEMA : L’Écume des Jours, trop-plein de fidélité

Quand on rêve de voir Boris Vian sur grand écran, depuis nos premiers balbutiements de littéraire, apprendre que le projet est mené par Michel Gondry rassure, apaise. Peut-être trop ?

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L’union des deux univers semble parfaite : le premier touchait à une littérature expérimentale tout en étant passionné de jazz ; le second s’est construit un univers visuel en papier mâché et trucages grossièrement vivants, hautement poétiques et pourtant très bordéliques. Pourquoi donc ce sentiment doux-amer d’en avoir trop vu ?

Colin (Romain Duris), jeune Parisien nanti, ne veut plus être célibataire. Son meilleur ami Chick (Gad Elmaleh), qui dépense tout son salaire d’ingénieur en produits dérivés de Jean-Sol Partre (Philippe Torreton), s’est trouvé une compagne. Même son chef cuisinier Alexandre (Omar Sy) n’est pas seul. Entre une session de pianocktail et de biglemoi, il tombe sur Chloé (Audrey Tautou), au sens propre du terme.

ecume-des-jours-afficheComme il s’agit d’une adaptation fidèle du texte, avons-nous le droit d’être tatillon sur les éléments de l’adaptation ? Comme à son habitude, Gondry mêle à ses prises de vues réelles des effets spéciaux cheap (Alain Chabat dans un frigo), en stop-motion (les repas aux couleurs et saveurs bariolées) ou créatifs (les acteurs dans l’eau donnent l’illusion qu’ils volent). La bande-annonce avait semé le doute en ajoutant des mélodies pop à l’ensemble. Hérésie ! Fort heureusement, le jazz est bien présent dans la version longue. Un Duke Ellington fantomatique y fait même une apparition.

Certains passages sont donc d’une beauté et d’une créativité débordante, tout en respectant les lignes de Boris Vian. Ici une scène de campagne coupée en deux avec un grand soleil à gauche et une pluie torrentielle à droite. Pourquoi de telles réticences à admettre de très bons passages ? Peut-être dû au casting. Choisir des têtes d’affiches est à double-tranchant : si les noms peuvent ameuter un certain nombre de personnes dans les salles obscures, il est difficile de se dépêtrer de leurs filmographies pour autant.

Pourquoi avoir choisi Romain Duris en rôle principal ? Non pas parce que Colin est blond, mais surtout parce que sa psychologie est un miroir inversé de ce qu’a pu interpréter Duris. Colin est naïf au sens noble du terme, curieux, innocent, interchangeable. Là où son interprétation aurait pu changer, Romain Duris fait du Romain Duris, et transforme l’arrache-cœur en arnacœur. Pourtant, ses acolytes essaient de se fondre dans le moule étrange de Boris Vian, avec plus ou moins d’efficacité, mais au moins avec une certaine volonté. Nous passerons sur le rôle de Charlotte Le Bon, qui est totalement taillé pour l’actrice entre miaulements de fillette et léchouilles canines.

ecume2Ce qui manque peut-être, pour un acide féru de jazz, c’est le côté capharnaüm organisé. Les patineurs écrasés et évacués par tractopelle, peu de personnes s’en soucient. En fait, le passage au grand écran suggère au moins que chaque image ou jeu de mot est traduit spécifiquement, et est appuyé (peu de personnes se coupent le coin des paupières quand elles poussent trop vite le matin). Le fait d’appuyer sur ces images qui émaillent le texte de-ci-de-là font perdre au récit son rythme léger et rendent le final encore plus cruel.

D’ailleurs, Michel Gondry fait lui-même une apparition, bien étrange. Là où Tarantino préfère jouer un tortionnaire, un accélérateur de trame qui fait bouger ses personnages, Gondry joue un médecin inutile, qui assiste passivement au décès des siens. Quelle étrange expérience cinématographique, que de lâcher ses héros, et les voir se débattre sous éprouvette. Un Boris Vian sans cœur ? Peste diable bouffre !

Crédits photos : Studio Canal

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