Le 12 janvier dernier, Martin Scorsese était à Paris pour présenter à la presse son nouveau film, Silence, qui sort le 8 février. Nous étions dans la salle.
Silence, le nouveau film du maître Martin Scorsese sera en salles le 8 février. Ce nouvel opus s’inscrit dans la veine minimaliste et religieuse que compte sa prestigieuse filmographie au même titre que La dernière tentation du Christ et de Kundun. Visuellement impressionnant, puissant et aride jusqu’ à un climax proprement étourdissant avec un phénoménal Andrew Garfield en figure de proue, le Silence de Scorsese, totalement envoûtant, en dit long sur la foi! Le réalisateur américain était à Paris le 12 janvier dernier et donnait une conférence de presse dans un palace parisien. Radio VL était présent pour l’écouter parler de la genèse d’un projet qu’il portait depuis plusieurs décennies et qui est enfin devenu réalité. Morceaux choisis.
« J’étais plus qu’attiré et je dirais même obsédé par ce livre et l’histoire qu’il raconte parce que pour moi il parlait évidemment d’accepter la spiritualité qui est en nous. De nos jours avec les changements qui se passent dans le monde, la technologie et ses progrès, les faits horribles qui se passent en ce moment et que nous sommes en train de vivre dans notre propre histoire, d’une certaine façon le sens de l’ordre établi, d’une superficielle spiritualité, n’est plus accepté aujourd’hui par la société. Il y a une forme de questionnement par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui donc j’espérais que cette histoire et donc ce film allait ouvrir un dialogue avec, in fine, non pas forcément une forme de réponse mais montrer à quel point la spiritualité est une partie intégrante de l’homme. Certains disent que ce n’est pas certain que la spiritualité existe, bien sûr qu’elle existe et puisqu’elle existe, comment est-ce qu’on la nourrit, comme on se nourrit d’elle aussi et je crois que les changements dans le monde d’aujourd’hui nous amènent nécessairement à nous questionner sur le spirituel qui est une partie intrinsèque de nous en tant qu’être humain et de notre humanité profonde. »
« C’est vrai que c’est un projet que je souhaite faire depuis des années mais pendant les 15 premières années où je l’ai porté, j’ignorais comment transposer réellement le livre au cinéma. Ensuite il y a eu des problèmes monumentaux, légaux et financiers et puis parallèlement on me décourageait sans arrêt. Dans ma tête aujourd’hui je suis encore en train de le tourner, pour moi il n’est pas vraiment fini, attention le film lui l’est, mais dans ma tête ce film là continue, parce que je crois qu’il ne ressemble à aucun autre de mes films. En un sens, j’ai fait un film qui m’appartient aujourd’hui. Selon mes films, je les adorais une fois qu’ils étaient finis, je les présentais, je voyageais avec, à d’autres moments au contraire je me disais » Assez, je m’en vais, je ne veux plus parler de ce film », mais ce film là Silence, je vis toujours avec. »
« Avec les années qui sont passées, plus je visualisais le film et plus je travaillais sur le scénario que j’ai co-écrit, cela a permis en un sens de vivre en quelque sorte un processus simplificateur, car je voulais absolument toucher l’essence de ce que je voulais exprimer à travers ce film. Finalement dans le processus même du tournage, du montage et puis évidemment de la mise en images, du cadre lui-même, je me suis dit que je n’avais certainement plus à prouver que je savais comment manier une caméra juste pour faire des effets de caméra. »
« C’est vrai que le fait de tourner en extérieurs, d’être entouré par cette nature m’a transformé. Vous savez je suis un new-yorkais, allergique à tout, j’ai grandi dans des couloirs sombres, dans des petites maisons pauvres, je regardais finalement la vie derrière la fenêtre, c’était un petit peu Fenêtre sur Cour (d’Alfred Hitchcock, NDLR). Pour moi d’être au sommet de cette montagne, ça a été presque une expérience mystique. En plus de tourner dans ces lieux-là, parfois c’était extrêmement difficile d’accès, donc chaque fois que j’arrivais dans un lieu où j’allais tourner et bien c’était une véritable épreuve. Je trouvais ça extrêmement difficile, mais de toute façon je devais y arriver mais je ne me plaignais pas parce que c’était ce que je voulais faire et j’étais exactement là où je voulais être. »
« Ce minimalisme, cette mise à nu, cette histoire s’y prête et au fond c’est là où j’en suis aujourd’hui dans ma vie. Je me sens très proche de cette histoire, je n’ai rien à cacher, ce film c’est qui je suis aujourd’hui. Je ne suis pas quelqu’un à la mode, j’aimerais parfois…. Quoique. »
« Dès le premier plan c’est une façon d’attirer l’attention du spectateur mais c’est aussi une forme de méditation intime L’autre jour je discutais de ça et je disais « nous venons tous du silence et nous allons tous y retourner donc autant s’habituer au silence et se sentir bien dans le silence ». Et puis bien sûr, ce film, Silence exige une concentration du public. »
« J’ai vu plusieurs générations d’acteurs et certains des acteurs pressentis sont devenus trop vieux au fil des années. D’ailleurs, trois voire quatre merveilleux acteurs ont refusé ce rôle parce qu’ils ne croyaient pas en ce type de film et la religion ne faisait pas partie de leur vie et ils ne se voyaient pas en réalité incarner un personnage qui traverse cette crise et ces conditions particulières et ils ne voulaient pas participer à ce conflit et ne voulaient surtout pas participer à une forme de questionnement religieux. A leurs yeux, il y avait l’aspect négatif du terme « religion ». Alors je me suis dit, allons plus loin, plus profond, effaçons tout cela et à ce moment-là, Andrew (Garfield NDLR) faisait partie d’à peu près une dizaine d’acteurs qui étaient pressentis et que je voyais, mais ça changeait à peu près tous les six, sept mois. J’ai compris qu’il était vraiment l’acteur qu’il me fallait parce qu’il a passé une incroyable audition avec moi qui a duré trois heures. D’abord il a exécuté une scène pour moi, je lui ai donné quelques directions et j’ai tout de suite vu qu’il comprenait ce que je recherchais donc il l’a rejouée et ensuite dans cette toute petite pièce nous avons fait plusieurs scènes et à ce moment là j’ai été totalement convaincu que j’avais trouvé mon personnage. Et une autre chose qui était fondamentale pour moi, c’était qu’il voulait vraiment, vraiment interpréter ce personnage. Il n’avait absolument pas peur de rentrer dans la peau de ce prêtre jésuite, dans ce monde, il était prêt aussi à entrer dans cet état d’esprit et surtout il était prêt au doute et au questionnement. Souvent il y a aussi le problème des financiers qui veulent des acteurs bankable et on se retrouve dans des situations un peu étrange où on doit diriger des acteurs qui ne croient pas forcément au projet. Ici ça n’a heureusement pas été le cas parce que nos financiers étaient vraiment très ouverts et comprenaient parfaitement le processus. »
« En un sens ce film est de tous ceux que j’ai réalisé, celui qui a le plus de connexions avec ma propre vie personnelle. J’ai dû faire des choix, réévaluer des valeurs et j’ai dû comprendre ce qu’était l’acceptation au sens philosophique du terme, ce qu’était la vie, que les choses ou les êtres pouvaient changer et que parfois il fallait, si on pouvait ou si on y était obligé, repenser ses valeurs et être là pour les autres ou pour soi et je crois que c’est pour cela que ce film m’habite encore. »
« Au fil des années, j’ai dû me défaire de mon impression initiale du Japon justement à travers le cinéma japonais. Bien sûr, j’aurais aimé filmé les toits comme Kobayashi le fait dans la scène d’ouverture d’Harakiri ou Kurosawa bien sûr ou bien encore Mizoguchi dans Les Contes de la lune vague après la pluie et de certaines façons qu’ils avaient de placer la caméra, mais j’ai dû me défaire de tout cela pour trouver mon propre regard, ma propre vision. Alors oui, il y a encore des fantômes qui planent ici et là mais je me souviens évidemment encore des Contes de la lune vague après la pluie que j’ai vu à la télévision pour la première fois en 1954 et j’étais absolument émerveillé et les scènes dans Silence du bateau avec la brume viennent directement de ce film qui m’a marqué, mais j’ai dû digérer mon image du Japon depuis 40/50 ans pour me trouver moi et trouver ma signature et mon cinéma. »
Merci à Mensch Agency.
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