A la fin des années 1960, la série Papa Schultz se paye la tête des nazis dans une comédie hilarante, mais qui a fait polémique.
C’est quoi, Papa Schultz ? Pendant la seconde guerre mondiale, des soldats capturés par les Allemands sont prisonniers au Stalag 13. Parmi eux, le britannique Newkirk (Richard Dawson), les Américains Kinch (Ivan Dixon) et Carter (Larry Hovis) et le français LeBeau (Robert Clary) obéissent aux ordres du colonel d’aviation américain Robert Hogan (Bob Crane). Depuis le camp, la petite bande lance des missions secrètes pour soutenir les alliés, au nez et à la barbe du commandant du camp, le colonel Wilhelm Klink (Werner Klemperer) et de son subordonné le sergent Schultz (John Banner).
« Si vous avez aimé la deuxième guerre mondiale, vous adorerez Hogan’s Heroes ! » C’est du moins ce qu’annonçait le slogan promotionnel de cette sitcom diffusée sur CBS de 1965 à 1971, qui raconte les aventures de cinq prisonniers de guerre enfermés dans un camp nazi en Allemagne, pendant la seconde guerre mondiale. La description peut décontenancer, mais c’est pourtant la meilleure façon de résumer cette série, diffusée chez nous sous le titre Papa Schultz. Cette comédie (car c’en est une) sournoisement subversive et totalement hilarante a suscité bien des polémiques, sur lesquelles nous reviendrons.
Lorsqu’ils décident d’écrire une sitcom, Bernard Fein et Albert Ruddy n’ont aucune expérience en la matière. Leur première idée consiste à raconter l’histoire des détenus d’une prison américaine qui dament le pion au directeur et aux gardiens. Mais considérant que le public ne sympathisera pas avec des criminels, toutes les chaînes refusent leur synopsis. C’est en entendant parler de Campo 44, un projet de comédie sur un camp de prisonniers de guerre en Italie pendant la seconde guerre mondiale, que le duo remanie l’histoire pour la déplacer dans un stalag allemand. Ironie de l’histoire, lorsque Campo 44 sera diffusé en 1967, les critiques y verront un plagiat de Papa Schultz – alors que c’est précisément l’inverse ! D’abord réticent, le patron de CBS finit par se laisser convaincre et commande la série, dont le premier épisode (le seul en noir et blanc) est diffusé le 17 septembre 1965.
L’histoire raconte les exploits du colonel Robert Hogan, recruté pour diriger un groupe de soldats alliés capturés par les Allemands et enfermés dans un camp de prisonniers, le Stalag 13. Le camp est réputé pour sa sévérité et sa sécurité, puisque aucun prisonnier n’a (apparemment) jamais réussi à s’en échapper. En réalité, les prisonniers y restent… parce qu’ils le veulent bien ! A l’insu du colonel Klink, qui dirige le stalag, et du sergent Schultz, le camp sert d’avant-poste aux alliés : grâce à un réseau de tunnels et des installations radios, les hommes de Hogan en ont fait une base à partir de laquelle ils lancent des missions secrètes, sabotent les installations allemandes, fabriquent des faux-papiers et exfiltrent d’autres prisonniers… au nez et à la barbe des nazis. Les prisonniers font absolument ce qu’ils veulent : ils ont caché un émetteur radio dans une cafetière, ont creusé des tunnels un peu partout, ont apprivoisé les féroces bergers allemands de leurs geôliers, se moquent joyeusement de Klink et de Schultz (notamment du surpoids de celui-ci), et ils vont et viennent à l’extérieur du camp comme ils l’entendent.
Imbu de lui-même, persuadé d’être un séducteur et un excellent violoniste alors qu’il en joue comme un pied (en réalité, Klemperer était un musicien accompli) le colonel Klink ne cesse de se vanter : « Personne n’a jamais réussi à s’échapper du Stalag 13 ». Toute la classe dirigeante nazie (dont le major Hochstetter et le général Burkhalter) est consciente de l’incompétence de Klink, qui n’est jamais promu… mais en même temps, personne ne s’explique pourquoi son camp de prisonniers est le plus sûr d’Allemagne. De son côté, le sergent Hans Schultz est un bonhomme paresseux dont la principale préoccupation est d’éviter les ennuis, et notamment d’être envoyé à une mort certaine sur le front russe. De sorte qu’il ferme les yeux sur les agissements de Hogan et sa bande, répétant à l’envi «Je ne vois rrrrrrien, je ne sais rrrrrien » – quand les prisonniers sortent d’un tunnel sous son nez ou qu’un aviateur britannique recherché dans toute l’Allemagne se balade tranquillement dans le stalag.
Le groupe de prisonniers est très hétéroclite, tant en termes de nationalités (française, américaine et anglaise), de grades militaires que de compétences professionnelles. C’est un peu L’Agence tout risques chez les nazis. Leur chef, le charmant colonel Robert Hogan est redoutablement intelligent et manipule Klink et Schultz à sa guise. Volontiers narquois, avec des répliques délicieusement sarcastiques, c’est aussi un coureur de jupons qui séduit à peu près tous les personnages féminins qui passent à sa portée – à commencer par Hilda, la jolie secrétaire de Klink. L’acteur qui l’interprète, Bob Crane, est devenu extrêmement populaire grâce à ce personnage ; mais son nom a aussi fait les gros titres de la presse suite à son assassinat dans des circonstances sordides en 1978. Son meurtre a été relaté dans le film de Paul Schrader intitulé Auto Focus, où son rôle est joué par Greg Kinnear.
L’Anglais, le caporal Newkirk, est un maître du déguisement, du vol à la tire et des imitations – il contrefait régulièrement la voix de Klink, voire de Churchill dans des communications radio clandestines. Le caporal Louis LeBeau a dressé les chiens de garde du camp et c’est aussi un fin cuisinier (n’oubliez pas, il est Français) qui organise de grands dîners chez Klink pour que Hogan puisse espionner les Allemands, ou qui soudoie Schultz avec un strudel. Le sergent Kinch est un afro-américain chargé des transmissions radio. Enfin, le sergent Carter, un grand dadais naïf, est un précieux rouage de l’équipe puisqu’il est spécialiste des explosifs (ou des « trucs qui font boum », selon ses mots) et un excellent imitateur de… Adolf Hitler, pour lequel il se fait passer à plusieurs reprises !
Papa Schultz est une farce. Une comédie sans violence (excepté quelques explosions), pleine de gags visuels et de quiproquos, de situations outrancières et ridicules, de personnages caricaturaux et de rires enregistrés. Parodie des films de guerre comme Stalag 17 ou La grande évasion, c’est une sitcom certes formatée et parfois répétitive dans sa mécanique ou dans certaines intrigues, mais dont la formule redoutable (le héros américain débrouillard face à des bouffons nazis incompétents mais sûrs de leur supériorité) a admirablement bien fonctionné auprès du public. Papa Schultz s’est régulièrement imposée dans le top 20 des audiences annuelles et a été nominée plusieurs fois aux Emmy Awards (Werner Klemperer décrochera deux fois la récompense du meilleur second rôle dans une comédie.)
Pour autant, Papa Schultz a toujours suscité des polémiques, l’idée même d’une sitcom se déroulant dans un stalag de la seconde guerre mondiale soulevant les critiques et les controverses que l’on devine. Peut-on rire des nazis, dépeints comme des abrutis incapables et donc inoffensifs ? Est-il moralement acceptable de tourner en dérision une période aussi sombre que celle-ci ? D’occulter les persécutions dont ont été victimes les prisonniers de guerre ? Jugée au mieux de mauvais goût et au pire immorale, la série a notamment été accusée de banaliser les tragédies de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Un critique écrivait par exemple : «La série est drôle et bien jouée, mais rien ne justifie de transformer la sombre réalité des atrocités nazies en une vaste blague. » Un autre était encore plus lapidaire «Quelle est la prochaine étape ? Une sitcom familiale sur Auschwitz?! » Et en 2002, TV Line décernait à Papa Schultz le titre peu enviable de « pire série de tous les temps. »
Contre toute attente, les meilleurs défenseurs de la série appartenaient précisément à la communauté juive – en particulier plusieurs de ses acteurs. Werner Klemperer était le fils du chef d’orchestre Otto Klemperer, un juif qui a quitté l’Allemagne lorsque Hitler est arrivé au pouvoir. Leon Askin (le général Burkhalter) était acteur lorsque Hitler est devenu chancelier : renvoyé du théâtre où il jouait, arrêté et torturé par la Gestapo, il est parvenu à s’enfuir à Paris. Quant à Robert Clary, il a été interné trois ans dans un camp de concentration (on distingue dans la série le numéro tatoué sur son bras) où sont morts ses parents. Ou encore John Banner, un Juif autrichien qui a émigré aux États-Unis lors de l’Anschluss en 1938, expliquait dans une interview: «Qui de mieux que nous, les Juifs, pour jouer des nazis ?» Pour ces acteurs, jouer dans Papa Schultz était un geste important, quelque chose de symbolique qui leur a permis de se réapproprier leur histoire et de surmonter la tragédie. Farce bouffonne de mauvais goût ? Peut-être, mais on connaît les vertus cathartiques de l’humour : rire, c’est parfois continuer à vivre.
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Improbable sitcom sur des prisonniers de guerre alliés qui humilient joyeusement leurs ridicules geôliers nazis, Papa Schultz est une farce outrancière réjouissante, souvent drôle, qui a été aussi populaire que décriée. Rappelons qu’une suite de la série serait en préparation : on y suivrait les descendants des héros, parcourant le monde à la recherche de trésors. En attendant ce revival éventuel, il est toujours possible de (re)découvrir cette série qui a fait… Führer. (Attention, les blagues de mauvais goût sont apparemment contagieuses.)
Papa Schultz (CBS)
6 saisons – 168 épisodes de 22′ environ.
Disponible en intégrale DVD – Kollection Kommandant.