La nouvelle exposition du Musée des Beaux-Arts de Nantes propose, du 16 octobre 2020 au 31 janvier 2021, d’explorer les liens étroits entre l’art et l’histoire de l’hypnotisme, de la fin du 18e siècle à aujourd’hui.
Cette exposition propose un discours audacieux et novateur, sur l’influence du discours clinique de l’hypnose, sur l’art moderne de la fin des années XVIIIe à nos jours. Ce propos s’appuie sur la pensée de Pascal Rousseau qui a développé cette idée dans un de ses ouvrages et dans l’exposition, puisqu’il est commissaire de celle-ci.
L »exposition interroge donc les rapports entre l’art et l’hypnose. Elle montre ainsi, comment les artistes se sont servis de ces états psychiques vacillants entre conscience et inconscience, pour trouver de nouvelles inspirations, et créer différemment. Ensuite, elle dévoile les techniques hypnotiques des artistes mises au point dans des œuvres ayant pour objectif de fasciner le spectateur, et le mettre dans un état second.
La petite histoire de l’art de l’hypnose
La pratique hypnotique moderne voit le jour avec la pensée de Franz Anton Mesmer, un médecin allemand, aux approches médicales à rebours de celles de son époque. En effet, il estime que la médecine est en retard. Il s’inspire des théories sur le magnétisme du père jésuite Maximilian Hell et revendique l’existence d’un fluide universel, où toutes les maladies proviendraient d’une mauvaise répartition de ce fluide dans le corps humain. Il suffirait selon lui, de drainer le fluide, pour le répartir de manière saine et guérir les individus. Sa théorie se nomme le « magnétisme animal ».
Dès 1778, il développe sa théorie et pratique des « thérapeutiques de groupe ». Dans une pièce close, il réunit des patients autour d’un baquet (un récipient en bois) rempli d’eau et de lame de fer. Les patients placent les tiges de fer sur certaines parties de leur corps. Le « magnétiseur », lui, touche les malades avec ses mains ou avec une lame de fer aimanté. Il provoque chez ses patients qui sont en majorité des femmes, des crises convulsives qui entraînent des guérisons. Ces pratiques « mesmériques » deviennent un véritable phénomène, et notamment dans les salons parisiens, et les milieux artistiques. Le monde du théâtre s’en inspire et s’empare de sa gestuelle et attitudes. Ces réunions, appelées les « Cérémonie du baquet » trouvent une place importante dans la création artistique de l’époque. Dès 1779, de nombreuses caricatures mettent en scène le mesmérisme et circulent en France, et montrent les déviance et les dérives sensuelles de ces réunions.
Les médecins de la Faculté finissent par obtenir l’interdiction des séances en 1784, toutefois, Mesmer continua ses pratiques en fondant la « Société de l’Harmonie » et en s’accompagnant de nombreux disciples. Un nouvel imaginaire se développe autour du magnétisme et de l’hypnose et notamment dans l’art avec l’impulsion des disciples de Mesmer, comme le Marquis de Puysségur qui développe l’idée du « somnambulisme artificiel ». La figure du somnambule devient ainsi le modèle privilégié du début du XIXe siècle.
La fascination des artistes pour les états semi-conscients
Théophile Bra fréquentait les cercles swedenborgiens et était en proie à des hallucinations qu’il attribuait au mystique, proche de la folie selon les médecins de l’époque. Il a consigné ses expériences mystiques dans des carnets, qui révélèrent les exagérations de l’artiste sur sa folie, puisque ceux-ci étaient écris dans une langue précise, et raisonnées. En 1826, il expérimente la voyance et le somnambulisme et les relate dans L’évangile rouge, sorte de journal intime des sciences occultes.
Cette fascination pour les états semi-conscients coïncide avec l’âge d’or de l’hypnose médicale. Les illustrations, notamment celle du Docteur Jean-Martin Charcot, représentant des crises hystériques se multiplient dès la fin du XIXe siècle. L’hypnose des corps, instinctifs et gouvernés par ses pulsions devient un objet artistique captivant, et se décline sous de nombreuses formes au fil du temps.
Le corps laissé à son expressivité la plus naturelle, et la plus sauvage attise la curiosité. Il est le sujet des premiers films, avec Le Magnétiseur de Méliès, et Une scène d’hypnotisme des Frères Lumières. Auguste Rodin sculpte le corps d’une danseuse. L’hypnose pérennise sa place dans la création artistique et culturelle. Toutefois, elle reste gravement rattachée à la figure féminine depuis ses prémisses, sûrement dans une prolongation des préjugés de l’époque, où la femme souffre d’hystérie, et est associée au mystique, à l’inconnu, et parfois jusqu’à la folie.
Hypnose et immersion.
Le grand intérêt de cette exposition est dû au fait que l’hypnose est quelque chose qui se vit. Et le spectateur va en faire l’objet, à la fin de celle-ci. Il devient le sujet d’expériences à la fois mystiques et artistiques. Il participe à la finitude de l’objet d’art, lui donnant un spectateur, et donc, un but. En effet, dès les années 1960, l’hypnose n’intéresse plus les artistes de la même manière. Avec l’émergence du mouvement hippie, c’est le spectateur sur lequel on veut produire un effet, notamment avec la stimulation du nerf optique et de l’ouïe. L’hypnose change de camp. Brion Gysin et Ian Sommerville confectionne la Dreamachine (machine à rêves), un cylindre rotatif pourvu de fentes et d’une ampoule en son centre. La rotation de la machine plonge l’esprit dans un état de détente et procurerait des visions.
L’hypnose devient alors un médium, pour agir sur le réel, en construisant une œuvre, et en agissant sur les spectateurs.
La Chapelle de l’Oratoire du Musée des Beaux-Arts de Nantes accueille le point culminant de l’exposition, avec la scénographie de l’artiste américain Tony Oursler. Son installation entremêle projections vidéo, écrans, visages, voix, et objets. C’est psychédélique et hypnotisant. Le spectateur ne sait pas bien ce qu’il regarde, mais il le regarde avec attention, reste subjugué un temps, et en sort quelque peu étourdi.