Samedi 2 juillet, Elie Wiesel est décédé à l’âge de 87 ans. Né en 1928 en Roumanie, il fut déporté à l’âge de 15 ans avec sa famille au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, le symbole de la « solution finale » décrété en 1942 par l’Allemagne nazie. Il fut ensuite séparé à jamais de sa mère et de sa sœur et transféré au camp de Buchenwald, où il vit son père se faire abattre par un gardien SS.
A la libération du camp de Buchenwald par les Américains en 1945, il dut se reconstruire, vivre le restant de sa vie sans sa famille et avec des images que personne ne peut imaginer ou concevoir. « Seuls ceux qui ont connu Auschwitz savent ce que c’était. Les autres ne sauront jamais », avait-il dit un jour.
Sa vie, il décida de la dédier à la mémoire des 6 millions de personnes – juifs, tziganes, communistes, résistants, homosexuels, francs-maçons, handicapés mentaux – exterminées au nom d’une idéologie raciste et barbare sans égale dans l’Histoire. Il laisse aujourd’hui une oeuvre riche d’une soixantaine d’ouvrages, dont une quinzaine de romans, de pièces de théâtre et d’essais, sur la Shoah.
Toute sa vie, il fut un inlassable militant des droits de l’homme et reçu le prix Nobel de la paix en 1986. « Sorti de l’abysse des camps de la mort, il est devenu un messager pour l’humanité. Porteur non pas d’un message de haine ou de revanche, mais de fraternité et d’expiation », avait déclaré le comité Nobel lors de la remise du prix.
Que restera-t-il de cette mémoire quand tous les témoins de l’Holocauste comme Elie Wiesel ne seront plus là ? Comment transmettre le flambeau aux générations actuelles et futures ? Ce devoir de mémoire est accompli chaque année en France par nos plus de 1 million d’enseignants. Il est accompli par nous, les journalistes, par des commémorations comme YomHa Shoah en Israël et par d’autres manifestations imitées de ce modèle dans le monde. Il est accompli chaque 27 janvier en France lors de la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité.
Ce devoir de mémoire doit être accompli enfin par chacun de nous, car en tant qu’êtres humains nous sommes tous concernés par ce qu’il s’est passé en Europe il y a sept décennies et par les crimes contre l’humanité commis ces dernières années au Rwanda, en ex-Yougoslavie et aujourd’hui au Darfour et au Proche-Orient.
Un jour, en classe de Terminale L, alors que j’avais 18 ans et que je préparais mon baccalauréat, notre professeure d’Histoire-géographie nous a lu un témoignage poignant d’un juif prisonnier d’un camp d’extermination nazi, juste avant son exécution. Nous étions en 2005 et le monde commémorait les 60 ans de la fin de la seconde guerre mondiale.
Après l’avoir lu, l’enseignante nous a regardés et nous a dit : « En tant qu’êtres humains, nous sommes tous concernés par ce qu’il s’est passé. Certains d’entre vous peuvent peut-être se dire : ‘Moi je m’en fous, je ne suis pas juif.’ Mais rappelez-vous qu’à l’époque les juifs faisaient partie d’une minorité. Et nous sommes tous la minorité de quelque chose. »
En tant que Français, nous sommes tous encore marqués par ce qu’il s’est passé en cette soirée du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Le 30 novembre 2015, l’avocat et chercheur sur les questions humanitaires et non gouvernementales Philippe Ryfman avait qualifié ces attentats de crimes contre l’humanité dans le journal Le Monde. Car les 102 Français morts ce soir-là, ainsi les 28 autres victimes de diverses nationalités, ont été massacrés méthodiquement et délibérément pour ce qu’ils étaient. Des « gens libres et innocents » pour nous, « des mécréants, des adorateurs de la croix, des ennemis de Dieu » pour leurs assassins.
Soyons donc tous unis pour honorer la mémoire d’Elie Wiesel et de ses millions de compagnons d’infortune qui ont souffert ou qui sont morts il y a sept décennies dans cet enfer terrestre. Soyons unis contre les négationnistes de tous bords. Soyons unis pour honorer la mémoire de toutes les victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à travers l’Histoire et de toutes les victimes du totalitarisme.
«L’oubli signifierait danger et insulte. Oublier les morts serait les tuer une deuxième fois», comme l’a dit un jour Elie Wiesel. N’oublions jamais.