« Apprendre, lire, compter », nous le savons tous, sont les bases de l’enseignement. Pourtant, il se pourrait bien que ce triptyque fasse alliance avec un quatrième élément : « coder ». Depuis l’annonce de son « plan numérique » en novembre et son engagement d’un milliard d’euros sur ce projet, le président Hollande va miser sur 500 écoles et collèges dès la rentrée 2015 afin de mettre à bien la première étape d’un nouvel enseignement « connecté ». Une nouvelle conception de l’Ecole va-t-elle se dessiner ?
Alors, apprendre à « coder », c’est quoi ?
Pour la première fois, l’éducation nationale donnera aux élèves le B.A-BA d’un langage codé informatiquement, langage qui, par ailleurs, échappe souvent aux plus grands. En effet, ne soyons pas naïfs, cette maîtrise codée fait déjà partie, dans une grande majorité, du quotidien des enfants.
D’après le rapport « Jules Ferry 3.0 » (nom qui est de l’ordre de l’oxymore !), publié en octobre 2014, le numérique est désormais le nouvel enjeu éducatif, et doit passer par un cadre participatif. Au sein d’une même classe, il serait alors judicieux que l’apprentissage passe par les élèves entre eux, qu’ils puissent piloter leur propre apprentissage. Alors que l’enseignement Ferry revendiquait un apprentissage descendant, le rapport « Jules Ferry 3.0 » veut réinventer le web des connaissances, où le savoir des élèves pourrait rencontrer les données du numérique.
Pour Sophie Pène, pilote du rapport, professeur à l’Université Paris Descartes et chargée du groupe de travail « éducation et numérique » au Conseil national du Numérique, il faut arrêter de croire que l’apprentissage du numérique se résume à trente élèves assis devant trente ordinateurs dans une classe. Au contraire, le Conseil national du Numérique revendique un enseignement qui permettrait aux élèves de travailler ensemble, accompagnés d’outils tels que l’ordinateur et le dictionnaire.
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— Eric Debray (@ericdebray) 8 Juillet 2015
L’innovation passe aussi par la formation des enseignants
Un des problèmes de l’éducation nationale est la formation des enseignants. On a tendance à penser l’apprentissage de l’informatique comme l’apprentissage d’un domaine au 19ème siècle. La richesse des enseignants doit non seulement passer par le savoir, mais aussi par la connaissance de l’outil. Il faut arrêter de dire que l’informatique se résume à de l’industrie lourde. En fait, l’informatique ne devrait pas rester sur le prisme du matériel, mais sur celui de la pratique et de la réflexion innovante. Les professeurs d’informatique doivent avoir une connaissance à la fois structurante et théorique, de la même manière qu’un professeur d’anglais ou d’histoire.
Nous sommes actuellement en train de passer du verbe « programmer » à celui de « coder » soi-même, afin d’apprendre l’informatique. Le problème du « programme » est qu’il ne permet pas aux élèves d’apprendre à utiliser eux-mêmes les ordinateurs, étant donné que cette tâche est laissée aux mains de l’enseignant. Désormais, il est nécessaire que le professeur prenne le rôle de « passeur » afin d’apprendre aux enfants comment pensent les machines. Ainsi, ils pourront jouer, expérimenter, apprendre (en se trompant), commander une machine et créer toutes les séquences qui amèneront au résultat souhaité.
Une nouvelle « culture informatique »
En 1967, alors qu’internet a été inventé en 1969, Jacques Arsac, membre de l’Académie des sciences, déclarait qu’il serait très utile d’apprendre aux gens les méthodes algorithmiques et habituer à la mentalité informatique. Visionnaire ? Il le semble, étant donné que ce qu’il proposait est aujourd’hui les nouvelles valeurs d’apprentissage au sein des écoles et collèges. Peut-être que si on l’avait écouté un peu plus tôt, les taxis auraient inventé Uber et que le chômage soit moindre.
Pour Benoit Hamon, ancien ministre de l’éducation, cette nouvelle méthode d’apprentissage permettrait de découvrir de nouveaux talents, et peut-être le Marc Zuckerberg français ! Ce qui est sûr, c’est qu’elle permettrait que tout le monde ait le même rapport à l’informatique, de même, par exemple, que les élèves allemands et la musique classique. Il est nécessaire, aujourd’hui, que chacun de nous ait une culture informatique vaste, et qu’il en fasse ce qu’il veut.
Selon Sophie Pen, ce qui est non négligeable, c’est d’apprendre aujourd’hui les compétences nécessaires pour le monde de demain. Avec d’autres membres du Conseil national du Numérique, elle propose même la création d’un bac humanité numérique. Cette section serait en quelque sorte, une sorte de laboratoire au cœur du lycée, un lieu de rencontre pour enseignants et élèves, où toutes les disciplines seraient innervées autour de l’informatique, d’une initiation à la robotique, au design, d’une nouvelle vision des arts et des sciences, de la recherche, d’un environnement ouvert et d’une discussion critique.
De nouveaux élèves maîtres de soi?
Doit-on y voir une révolution copernicienne et une redéfinition des références de l’Ecole républicaine ? Pas forcément, car déjà énormément de professeurs travaillent de cette manière, étant donné qu’ils se sont rendus compte que les élèves ne les écoutaient plus lors des cours magistraux, mais qu’au contraire ils cherchaient à apprendre des choses avec internet.
Nous sommes arrivés à un stade où l’enfant est en mesure d’initier ses parents à la « littératie » de l’âge numérique, et où le numérique devient un levier d’apprentissage, une autre clé d’accès dans la société, dans la relation à l’autre. Un autre paradigme pour l’apprentissage ? L’enseignement par projet, où les enfants pourraient construire ensemble et avec persévérance, où ils pourraient donner forme à leur connaissance. Ainsi, les élèves changent de statut, étant donné qu’ils ont la possibilité d’éditer, publier, d’exposer leur travaux sur la toile. L’élève devient contributeur de savoir et la classe un lieu de design ouvert.
La question est donc de se demander si le professeur risque de descendre de son estrade. A vrai dire, il prend plutôt le rôle de guide en donnant des solutions aux problèmes de ses élèves, ce qui n’est pas si récent que cela pour lui, même s’il n’en prenait pas forcément conscience. Aussi, arrêtons de penser qu’à chaque révolution technologique, le savoir devient obsolète et qu’il n’y a plus que le web qui compte. L’objectif à l’heure actuelle est de pouvoir allier les deux.