Le 24 janvier dernier, Shaimaa el-Sabbagh, militante du Parti Socialiste de l’Alliance Populaire, était assassinée par un membre des forces de l’ordre égyptiennes alors qu’elle participait à une manifestation pacifique en hommage à la révolution de 2011 au Caire. Depuis cette lourde bavure policière, le climat du pays ne semble pas s’être apaisé. En effet, on accuse le président Abdel Fattah Al-Sissi de laxisme envers la police, trop souvent liée à des affaires criminelles…
Des violations à tout point de vue…
Dans son rapport annuel, publié en mai, le Conseil national pour les droits de l’homme (CNDH) déclarait que « le droit à la vie avait connu une terrible détérioration » depuis la prise de pouvoir par l’armée en juillet 2013. Des milliers de personnes se sont retrouvés en détention préventive dans des prisons et centres illégaux surpeuplés, et 124 d’entre elles y ont trouvé la mort, suite à des négligences médicales, tortures et violences sexuelles. On observe que depuis 2013, les agressions sexuelles perpétrées par les forces de l’ordre n’ont cessé de croître. A l’échelle de l’ensemble de la société égyptienne, les accusations et les rapports liés aux violences psychologiques et physiques s’empilent sans que les policiers responsables ne soient punis véritablement.
Mais depuis le 19 avril, date de la publication d’une accusation contre le ministère de l’intérieur par le quotidien Al-Masry Al-Youm, les affaires de mœurs des forces de l’ordre sont au centre des débats. En pointant du doigt les nombreuses bavures policières, le journal privé affirme que le pays peut aujourd’hui être considéré comme un véritable « Etat policier », semblable à celui dirigé par le président Hosni Moubarak, dont le mandat n’avait cessé de se prolonger de 1981 à 2011. Aussi, lundi 1 juin, l’ONG Human Right Watch (HRW) dénonçait, à l’occasion du premier anniversaire de l’investiture du président M.Sissi, « l’impunité quasi-totale » accordée aux forces de sécurité du pays.
Des témoignages sidérants
La médiatisation des faits permet de mettre en lumière la situation invraisemblable du pays… Deux d’entres eux ont particulièrement défrayé la chronique. La torture à mort de l’avocat Karim Hamdi après que ce dernier soit venu déposer plainte pour son client au poste de police de Matareya, surnommé « l’abattoir » dans cette banlieue populaire du Caire. « L’autopsie révèle qu’il a eu la langue coupée, des blessures aux parties génitales et des côtes cassées » déclare l’avocat Montasser Al-Zayat. En attente de leur procès, les deux officiers accusés de ce crime sont libres sous caution…
Aussi, le 31 mars, un autre rapport du CNDH donne à voir une enquête sur les conditions inhumaines dans les prisons. Le photojournaliste Ahmed Gamal Ziada a notamment dénoncé les violences que subissent les détenus lors des placements à l’isolement, qu’on a coutume d’appeler « la tombe des vivants« . Le journaliste raconte qu’il y est allé plusieurs fois, qu' »il y a des gens qui ont passé des mois là-bas dont vous n’entendez plus jamais parler« . Lui-même enfermé 496 jours en détention provisoire, il évoque la volonté des officiers de faire disparaître les détenus au moyen d’une « mort lente« .
Les forces de l’ordre égyptiennes ne cessent de recevoir des accusations concernant des crimes sexuelles depuis juillet 2013, et des rapports sont là pour l’attester. C’est notamment le cas du rapport rendu le 19 mai 2015 par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), affirmant que les violences à caractère sexuel visent tout individu – femme, enfant, étudiant, militant – appréhendé par la police, quel que soit les raison de son arrestation : » Nous avons été attaqués lors d’une attaque menée par le Chef des Renseignements Criminels d’Alexandrie (Mabahith)… Ils nous ont dit de nous mettre à genoux, les mains derrière la tête. (…) Ensuite ils ont pris les jeunes femmes à part et ils nous ont fouillées en nous collant le visage contre le mur, ils nous ont agressées sexuellement en nous insultant . (…) J’ai essayé de retirer la main de l’un des soldats de la Sécurité Centrale de mon pantalon, alors qu’ils me battaient à coup de crosse, jusqu’à ce que je ne puisse plus lutter. » (K. militant d’une ONG égyptienne en faveur des droits humains)
Égypte : les forces de sécurité responsables d’une vague de (…) https://t.co/21mdajaVhD
— L’avocat Égyptien (@amir_avocat) 2 Juin 2015
Les accusations à l’égard du ministère de l’intérieur ont finalement porté leurs fruits et ont conduit à des changements, comme le remplacement de Mohammed Ibrahim, chef du ministère depuis décembre 2011, par Magdy Abdel Ghaffar, et la nomination d’un conseiller aux droits de l’homme pour recueillir les plaintes. Cependant, ces évolutions semblent insuffisantes selon les organisations des droits de l’homme.