Lors du Festival de Musique Ancienne d’Innsbruck, la Rédaction a pu s’entretenir avec Eitan Sorek. Directeur Général de l’Agence Artistique Sorek Artists, Eitan faisait partie du Jury du Concours International de Chant pour l’Opera Baroque. Son parcours très singulier rend évidente son orientation vers le management artistique. Il lui confère en outre un recul précieux, tant sur l’univers professionnel de la musique, que sur la place des jeunes interprètes aujourd’hui. Pour comprendre son engagement musical, il est important de savoir d’où il vient.
Né en Israel, Eitan a, de fait, une conception des carrières musicale très pragmatique. Dans le pays, encore de nos jours, il est rare que des musiciens n’exercent pas de profession annexe. Surprenant? Non, assez logique puisque l’Israel alloue un énorme budget à la défense ce qui lèse le milieu culturel. Et plus particulièrement la scène artistique. Ainsi, il est commun que les interprètes, en plus de leurs activités en orchestre soient enseignants.
Dans cette perspective, Eitan a commencé à étudier le piano au conservatoire de Tel Aviv. Lors d’un cours de solfège, à l’âge de 15 ans, son professeur l’entend chanter et repère en lui une jolie voix de ténor. Assez surpris, il n’y prête pas grande attention. Mais sur les conseils de son enseignant, il va tout de même assister à des répétitions d’ensembles. Cette expérience en chant l’émeut tant, qu’il part en tournée en Scandinavie avec le choeur. Il décide alors d’être chanteur et intègre un choeur mixte de 25 musiciens âgés de 12 à 18 ans. Mais à sa majorité, un problème s’impose à lui: le devoir civique… Il est obligatoire pour les jeunes israéliens d’effectuer leur service militaire. Encore aujourd’hui.Pour une période de 3 ans, travaille ainsi dans un bureau du Ministère de la Défense, à côté de son travail de chanteur dans un choeur professionnel à Tel-Aviv.
Puis à 21 ans, il passe les concours de différentes académies musicales prestigieuses en Europe. Il entre alors, au Conservatoire Royal de la Haye. Il y étudie le chant et passe par une classe d’opéra. Dans la même période que ses études, il trouve assez vite du travail dans des ensembles. Ce qui lui permet de gagner un peu sa vie. Un aléas de la vie change cependant son orientation professionnel. Quelques mois avant de passer son diplôme de fin d’études, il est pris d’une dysphonie spasmodique. Ce qui lui paralyse la voix pendant des périodes relativement longues. Il ne peut donc plus compter sur sa voix dans l’exercice professionnel. Après avoir renoncé à sa carrière musicale, il réfléchit à une profession qui pourrait rassembler ses différentes passions. Comme il aimait aider les gens, Eitan Sorek a naturellement décidé d’accompagner la carrière de jeunes artistes.
» J’ai créé ma propre agence il y a 12 ans, et voir l’évolution des jeunes musiciens que j’ai accompagné en grands artistes… C’est le plus beau cadeau qui m’est fait en retour de mon travail! »
Le premier conseil qu’il donne aux jeunes voulant faire carrière dans la musique est le suivant:
» Il faut être dévoué entièrement à son métier pour être artiste… Car cela demande tellement de concessions, de travail, de difficultés financières pendant des années… Si l’on s’imagine exercer un autre métier, en tant que chanteur en tout cas, c’est que ce n’est peut être pas la voie à suivre. »
Son objectif dans le management d’artistes, est de les accompagner le mieux possible. Pour qu’ils puissent durer 40 ans et non pas 5 ou 10 ans comme souvent. Dans son rôle de membre du Jury, en plus d’évaluer les candidats à chaque tour, il a eu à coeur de partager son expérience. Il précise bien, qu’il n’est pas là dans une logique de recrutement, mais comme il le dit avec humour:
« Comme un enfant dans un magasin de chocolat fâce à toutes ces voix différentes! »
Selon lui, la particularité du concours est que les chanteurs qui ne sont pas finalistes, sont parfois repérés. Il s’agit d’une énorme opportunité pour eux. Nous lui faisons remarquer lors de l’interview, qu’il est intéressant de voir un agent artistique dans le Jury d’une compétition musicale… Très pertinemment, Eitan nous fait remarquer que cela lui permet d’apporter une dimension pratique du marché musical qui attend les candidats après.
Nous concluons notre entretien sur une réflexion quasi-philosophique sur la différence fondamentale qu’il fait entre un musicien et un artiste:
« Le musicien maîtrise les aspects techniques et théoriques ainsi qu’ émotionnels de la musique… Mais ce n’est pas nécessairement quelqu’un destiné à la scène.
Un artiste lui est au premier plan sur scène, il le souhaite, doit pouvoir l’assumer et avoir ce charisme qui n’est pas forcément celui de tous les musiciens. »
Témoignage recueilli par Victoire Chevreul.