Depuis plus de 80 ans – période correspondant à l’émergence d’une puissance américaine interventionniste – les bouleversements politiques intérieurs aux États-Unis ont une conséquence directe sur les dynamiques géopolitiques globales. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher quelque peu sur la présidence Reagan, correspondant à l’accession au pouvoir du mouvement néolibéral, a eu pour conséquence un renversement de la guerre froide ainsi qu’un bouleversement des politiques monétaires des institutions économiques internationales. Dès lors, l’étude du comportement des électeurs américains est cruciale afin de tenter une prédiction des phénomènes mondiaux à court et moyen terme. Or, force est de constater que la participation aux élections présidentielles est faible et tend à diminuer. Mais quelles sont les causes de ce phénomène et qui en sont les bénéficiaires?
Une forte mobilité électorale
Pendant très longtemps, les partis républicains et démocrates ont eu des positionnements fort différents de ceux qu’on leur connaît aujourd’hui. L’exemple le plus frappant de cette évolution temporelle est le positionnement vis-à-vis de l’esclavage : nul n’est sans savoir qu’Abraham Lincoln, sous la présidence duquel a été entériné le 13ème amendement abolissant la pratique de l’asservissement était républicain. Dans le même temps, le parti démocrate représentait avant tout ce que d’aucuns appellent le vieux sud, et ses populations rurales. Malgré les bouleversement politiques ultérieurs, cet ancrage du parti iconographié par le symbole de l’âne est demeuré jusqu’aux années 1960.
La présidence Roosevelt (1933-1945) a initié une transition majeure dans le paysage politique américain : le parti démocrate se plaçant dans la lignée du New Deal, s’est approprié la défense des minorités et le combat pour un système social plus étatiste, à contre courant des républicains. C’est ainsi que s’est formée la coalition du New Deal, composée entre autres des minorités ethniques et religieuses, des classes populaires et en général des habitants des grandes villes. Cette coalition a été au centre de l’équilibre politique relatif établi jusqu’à la présidence Carter (1977-1981), tout en étant bouleversé par l’accès accru au vote des afro-américains implémenté dans les années 1960. En effet, plus de 90% des afro-américains ont voté pour Jimmy Carter en 1977.
Toutefois, au crépuscule des années 1970, correspondant à une période de déclin de la puissance américaine aussi bien au niveau économique – fin du système de Bretton-Woods et de l’indexation des valeurs monétaires sur le dollar – que géopolitique – renversement du régime iranien favorable aux intérêts américains durant la révolution islamique – et intérieur – scandale du Watergate, discours du malaise de 1979- le tout corrélé à l’émergence progressive du néo-libéralisme et à la perte de vitesse du parti démocrate dans le sud et suite à la présidence de Jimmy Carter, ont entraîné un déplacement massif de l’électorat. Depuis, l’électorat américain est plus volatile, et se sont reportés chez les Républicains une grande partie des classes moyennes du sud, et chez les démocrates une partie des classes moyennes supérieures.
Le vote des minorités et des jeunes
Pour comprendre l’enjeu du vote des minorités aux États-Unis, il convient de s’intéresser brièvement au processus d’acquisition des droits civiques. Si depuis 1865 la legislation tend à accorder de plus en plus de droits aux afro-américains, moult ressorts ont été utilisés pour les restreindre. C’est ainsi que dès le début du 20ème siècle, des test d’alphabétisme ont été mis en place dans les états du sud pour limiter la participation des populations noires à la vie politique. Ce n’est pas un cas isolé, il est difficile de dénombrer les articles de loi interdisant à certaines communauté d’accéder au droit de vote et à la nationalité – par exemple, en 1882, le Chinese exclusion act empêche les ressortissants chinois d’en disposer.
Si leurs droits civiques n’ont été affirmés que récemment, les minorités ont un rôle important dans l’électorat américain. En réalité, il s’agit plus d’un potentiel électoral : si 28% de la population américaine n’est pas blanche dans certains états, la participation des minorités aux élections demeure faible. On peut ajouter à cela la proportion de sans-papiers dont la régularisation est un enjeu politique bien plus qu’idéologique. En outre, cela constitue un désavantage avant tout les démocrates, pour lesquels la mobilisation des minorités peut constituer un levier politique important notamment dans les États-pivots. C’est ce qu’on peut constater en Arizona, où la mobilisation de la communauté Latino semble faire basculer l’État du côté du billet Biden-Harris.
De plus, l’un des enjeux majeurs des élections depuis plusieurs années est la mobilisation des jeunes. Ainsi, si l’accès à la vie publique a été facilité par l’émergence des réseaux sociaux, le nombre de jeunes participant aux élections demeure faible . Or, force est de constater que de par sa sensibilisation à des enjeux nouveaux tels que le réchauffement climatique ou la justice sociale, la jeunesse peut constituer une force électorale notable, d’autant plus qu’elle est nombreuse.
Présidence Trump : vers un renouveau de la mobilisation politique?
Il semble que la présidence Trump a entraîné un bouleversement inédit du paysage électoral américain, aussi bien en amplifiant sa polarisation de par la consolidation des fractions idéologiques extrémistes, que par l’émergence de figures politiques nouvelles. Ainsi, au cours des élections de mi-mandat (en 2018) au cours desquelles la moitié de la chambre des représentants ainsi qu’un tiers du sénat ont été renouvelés, on a pu remarquer de nouveaux personnages. C’est le cas de la fameuse représentante Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) ou Rashida Tlaib, de jeunes femmes issues de minorités et au positionnement politique radical. Si elles sont l’objet d’attaques de la part du camp Trump, elles contribuent à mobiliser les minorités et les jeunes en s’adressant directement à elles via les réseaux sociaux et en s’attaquant aux problématiques auxquelles sont plus sensibles les nouvelles générations – Green New Deal porté par AOC.
Le plus surprenant est que cette « vague » ne semble pas être ponctuelle. Ça avait été le cas dans les années 1980 au cours desquelles les Démocrates, en quête d’une nouvelle idéologie politique, avaient présenté aux élections un candidat radical – Walter Mondale en 1984 – avant de se tourner vers des positions plus modérées, aboutissant à l’élection du coalitionnaire Bill Clinton. Ici, on peut en outre constater que l’apparition de figures progressistes dans le paysage politique américain ne s’est pas arrêtée, caractérisée par la défaite de candidats dits du sérail au profit de candidats nouveaux et plus subversifs. De plus, les inscriptions sur les listes électorales et les votes par correspondance sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant. Ainsi, 27,5% des votes ont déjà été exprimés par ce biais.
Toutefois, si un renouveau est possible, il s’accompagne nécessairement d’une crispation des plus réfractaires. Le climat politique est plus tendu que jamais et nul ne sait si les résultats seront comptabilisés, et si la situation se stabilisera.