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En immersion avec Morgan Bourc'his, champion du Monde d'apnée

C’est un cauchemar pour beaucoup d’entre nous. Pour lui c’est une passion : Morgan Bourc’his est l’un des apnéistes les plus reconnus aujourd’hui, pour avoir notamment remporté le titre de champion du monde en 2013. De cette discipline hybride, à mi-chemin entre sport extrème et expérience philosophique, Morgan Bourc’his en parle avec passion et érudition. Car l’idée qu’il se fait de ce sport combine amour du challenge, expérience sensorielle avec volonté de savoir, de comprendre, d’étudier les mécanismes physiologiques qui permettent à l’homme de pouvoir s’adapter en milieu aquatique. Ce fou de sport – il est passé par la natation mais aussi le basket avant de revenir à ses premières amours, l’eau – se place en effet en scientifique du corps humain. Tout en restant un challenger qui lui a permis de battre des records défiant les lois de la nature. Rencontre.

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L’apnée s’exerce de manière diverse : avec palmes, sans palmes, de manière dynamique, statique… Comment est-ce que cela fonctionne exactement ?

Tout d’abord, il existe trois grands principes directeurs dans l’apnée : le temps, la distance, la profondeur. La dimension temporelle, c’est l’apnée statique : cela s’effectue généralement en bassin, et il s’agit de rester sous l’eau le plus longtemps possible. (son record personnel est de 7’01 ndlr). Les champions du monde en cette discipline peuvent tenir jusqu’à plus d’une dizaine de minutes. Pour ce qui est de la distance ou de la profondeur, on parle d’apnée dynamique, ou à poids constant, avec ou sans palme. A poids constant, c’est ce que je préfère –là où je prends le plus de plaisir, ou je suis le plus performant : il s’agit de se fixer une profondeur à l’avance, que l’on mesure au moyen d’une corde tendue qui nous sert de guide.

En 2003, vous intégrez le plus haut niveau sportif et participez à des compétitions internationales. Vous êtes devenu champion de Monde en 2013 (en descendant à poids constant et sans palmes à 87 mètres de profondeur). Vous êtes également recordman de France de manière non-stop depuis 2011 (-90 mètres) après l’avoir été une fois en 2007 et en 2009. Est-ce que la compétition vous est apparue comme une voie à suivre naturelle ?

 Je me suis mis à l’apnée assez tard, vers 21 ans. Auparavant j’ai exercé plusieurs sports comme le basket et la natation. Donc j’ai toujours été très sportif. Les compétitions c’est quelque chose de naturel chez moi. Même si au départ, une autre approche m’a animé : l’approche scientifique… En effet, je voulais me spécialiser dans ce domaine, travailler sur les mécanismes physiologiques. Et puis les choses se sont passées ainsi, et participer à des compétitions était une suite logique, qui est venue assez rapidement.

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Quelle vision avez-vous de l’apnée ? Quelles vertus lui prêtez-vous, notamment si vous la comparez à la natation que vous avez également exercée ?

En terme d’expérience sensorielle, ce n’est évidemment pas la même chose. L’apnée vous plonge quasiment dans un état second, vous procure une sensation d’apaisement. Et cela est prouvé scientifiquement : bloquer sa respiration induit une diminution des hormones du stress (comme le cortisol). Physiologiquement donc, l’apnée présente des vertus thérapeutiques. Cela est un peu différent lorsqu’on exerce l’activité en tant que champion : on est plus concentré, les sensations ne sont pas les mêmes. Et nous emmenons le corps proche de ses limites. Lorsque l’on parle de performance, il y a clairement une lutte contre l’envie de respirer.

Et l’environnement – que l’on soit en piscine ou en mer – change beaucoup de choses ?

La mer est l’environnement naturel par excellence : c’est là où j’aime pratiquer ce sport. Descendre dans l’océan, fendre la mer, comporte une dimension magique. C’est un milieu fascinant, et psychologiquement très impactant. Les symboles sont forts, c’est presqu’une expérience philosophique. L’océan, cela évoque les monstres, les divinités, le désir, il y a une notion de passage, de renaissance, c’est presqu’un parallèle avec la mort, mais aussi avec la naissance, la renaissance. C’est une expérience sensorielle bouleversante.

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Lorsque l’on est comme vous, que l’on cherche à dépasser ses limites en permanence, comme justement parvient-on à identifier ces mêmes limites ?

L’apnée est pour moi un outil d’exploration. Et les limites se construisent par l’expérience. Je suis quelqu’un de très prudent, je mets un point d’honneur à respecter le protocole, à ne pas me mettre en danger. Dans le milieu, on m’appelle même « Mister Perfect » ! Lorsqu’un apnéiste sort de l’eau et reprend enfin sa respiration, par exemple, il a 15 secondes pour accomplir certains gestes, pas une de plus : enlever l’équipement facial, faire un signe, dire « Im ok ». C’est un protocole qu’il faut respecter : c’est autant un rite qu’une mesure de sécurité – cela sert à montrer qu’on n’est pas étourdi par l’effort, qu’on est maitre de soi.

A quoi pense-t-on une fois sous l’eau ? Est-ce que l’esprit s’évade ?

Il peut s’évader, mais il s’agit de rester très concentré. Lorsqu’on fait de l’apnée dynamique à poids constant, on pense à chacun de ses gestes, à la manière dont le corps doit glisser, on pense à son effort. On fait en sorte que le mouvement ne se dégrade pas. Et puis lorsque la deuxième phase s’enclenche, c’est-à-dire lorsque le corps manifeste le besoin de respirer, il faut lutter. Il faut tout faire pour ne pas avoir mal. On est donc focalisé sur des choses très techniques. En statique, il faut faire le vide absolu, et lutter contre l’envie très pénible de respirer. On relâche totalement ses muscles.

Les choses sont différentes quand je fais de l’apnée pour mon plaisir, en mer : là, il se passe une vraie interaction avec les éléments, on ressent du plaisir, on se sent bien, au milieu de l’eau.

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Comment le corps humain, qui n’est pas fait pour vivre dans l’eau, s’adapte-il au milieu aquatique ?

L’homme est une espèce qui a évolué, et il lui reste des réflexes archaiques. Cela a été étudié chez les mammifères marins, puis chez l’homme dans les années 1960. Ainsi il existe chez l’homme ce qu’on appelle le « diving reflex », ou réflexe de l’immersion.

D’abord s’opère une chute du rythme cardiaque, le corps passe au ralenti. Ensuite, il y a ce qu’on appelle la vasconstriction, c’est à dire la fermeture du système artériel : le sang n’afflue plus vers les parties du corps non vitales, celles qui ne sont pas essentielles à la survie. Le phénomène s’effectue alors au profit d’une vasodilatation, où les vaisseaux sanguins s’ouvrent pour prioriser le cœur et le cerveau, qui doivent être sur-perfusés.

De plus, au bout de quelques temps, une contraction de la rate s’opère, qui est l’organe de production des globules rouges. La contraction de cet espace stratégique permet la libération d’une certain nombre de globules rouges supplémentaires qui va transporter l’oxygène : cela va servir au cœur et au cerveau. Parallèlement, le corps va tendre à préserver au maximum ses réserves d’oxygène, et fonctionner en anaérobie : il va produire son énergie en consommant le moins possible ce gaz vital.

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La compréhension des mécanismes physiologiques vous paraît-elle constituer une élément nécessaire dans votre manière d’exercer ce sport ?

Je pense en effet qu’il est nécessaire de comprendre tout ça. J’aborde ce sport en partie d’une manière scientifique. Et c’est ce qui fait de moi un autodidacte en la matière. Parmi les apnéistes, tout le monde n’a pas cette culture, or pour moi c’est essentiel. Il faut rappeler que l’apnée est un sport jeune, il reste empirique, et tout ça fait partie du développement de ce sport.

Quels évènements sportifs vous attendent cette année ?

Plusieurs compétitions m’attendent en ce début d’année, notamment en Egypte, pour s’entrainer à l’acclimatation en profondeur. Car en avril, l’eau là-bas est à 24 degrés. A Marseille, où j’habite, elle n’est qu’à 13… En parallèle, je m’adonne à d’autres sports, comme le trailrunning.

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Vous proposez des stages et vous intervenez aussi beaucoup dans le monde de l’entreprise. Qu’est-ce que ce monde a à apprendre de l’apnée ?

Beaucoup de situations sont transposables d’un milieu à un autre : ainsi mes interventions doivent pouvoir permettre aux employés de mieux gérer leur stress, et leur motivation. Ils y apprennent à ne pas perdre leurs moyens.

De plus, rappelons que, à l’inverse des autres sports, les apnéistes ne sont pas salariés d’un club. Pour vivre de votre passion, il faut donc trouver des moyens alternatifs, et cela repose notamment par la communication, la vente d’une image. J’ai créé aujourd’hui ma société qui me permet d’honorer des contrats d’ambassadeurs avec des marques, de donner des conférences ou d’organiser des stages d’apnée.

Enfin, il y a évidemment la dimension de la transmission. Et c’est important pour moi. Jusqu’à encore récemment, j’exerçais auprès d’un public d’enfants atteints de troubles du comportement. En tant que professeur, cette volonté de transmettre reste gravée.

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