Chaque année, le département d’Etat américain émet un rapport « trafficking in persons » sur la traite d’êtres humains. Cette année, sa publication a été retardée pour protéger un allié: Oman.
En juin 2015, l’Office de surveillance et de lutte contre la traite des êtres humains (Office to monitor and combat trafficking in persons) boucle le rapport. Mais celui-ci n’est publié que le 27 juillet. Deux diplomates américains ont rapporté à l’agence Reuters (sous couvert d’anonymat) que John Kerry aurait gelé sa publication. Contre l’avis des experts, des hauts conseillers du secrétaire d’Etat John Kerry auraient demandé à ce que la note d’Oman reste inchangée.
Et pour cause, le rapport aggravait la note du sultanat, la faisant passer de 2 à « 2 à surveiller ». Le niveau 2 correspond à des « Etats dont le gouvernement ne se conforme pas totalement au trafficking victims protection act mais font des efforts considérables pour se conformer à ses standards ». Le niveau « 2 à surveiller » se rapporte à un Etat où le « nombre de victimes de formes sévères de traite est très important, et qui n’apporte pas de preuves d’efforts faits dans le combat contre cette traite ».
« Trafficking in persons » dénonce l’existence à Oman de phénomènes tels que travaux forcés (notamment d’immigrés d’Afrique de l’Est et d’Asie du sud), confiscations de passeports, violences physiques et psychologiques, prostitution forcée, etc. Le pays ferait « des efforts inadéquats pour identifier et protéger les victimes » : les cas de travail forcé sont traités comme de simples litiges de travail, les victimes doivent s’identifier elles-mêmes, les procédures sont peu claires. De plus, « les femmes travaillant à Oman qui viennent de pays n’ayant pas de présence diplomatique à Oman, comme l’Ethiopie ou le Vietnam, sont particulièrement exposées au travail forcé ».
Des relations à conserver
Les Etats-Unis ont tout intérêt à perpétuer une bonne entente avec le sultanat. Sa place hautement stratégique au Proche-Orient en fait un allié de taille. Une position conciliante vis-à-vis de ses éventuelles violations des droits de l’Homme peut s’expliquer par une volonté de ne pas briser d’utiles relations économiques.
Le détroit d’Ormuz, contrôlé par Oman, est l’une des routes d’acheminement principale d’hydrocarbures de la péninsule arabique vers l’océan Indien, et donc vers l’Asie. De plus, la construction du port du Duqm est en cours. Ce projet lancé en 2008 vise l’installation d’un aéroport, d’une zone industrielle, de dépôts importants de minerais, ainsi que d’un port en eau très profonde qui pourrait concurrencer par sa taille les détroits d’Ormuz et de Bab el Mandeb (voir carte). Comme l’explique Pierre Razoux, directeur de recherche à l’IRSEM (institut de recherche stratégique de l’école militaire): « les bases américaines en Oman permettent à l’US Navy de surveiller plus étroitement les détroits stratégiques d’Ormuz et de Bab el-Mandeb ».
Contrôler pour mieux régner, telle est la devise américaine dans ce triangle géostratégique. Les concurrents chinois et indien comptent bien étendre leur influence, mais les Etats-Unis manoeuvrent afin de faire barrage aux deux puissances. Cette présence renforcée dans la région pourrait permettre de mieux surveiller aussi « les flux maritimes en océan Indien et les bases navales que la Chine et l’Inde ont établies dans la région », ainsi que l’Iran, le Yémen, l’Irak ou encore l’Arabie-Saoudite.
Les Etats-Unis entretiennent des relations cordiales avec le sultan Qabus Ibn Saïd et son ministre des Affaires étrangères Yousuf bin Alawi bin Abdallah, qui a notamment joué le rôle de médiateur lors des négociations concernant l’accord sur le nucléaire iranien.
On comprend alors mieux pourquoi les Etats-Unis ne souhaitent pas contrarier leur ami omani.
Maïlys Khider