La France a battu l’Albanie, ce mercredi 15 juin sur le score de 2-0 après un intenable suspense, puisque les deux buts tricolores ont été inscrits aux 90e et 95e minutes permettant à la France d’être la première nation à assurer sa qualification pour les 8e de finale. Seulement voilà, la pelouse du Vélodrome glissait tellement que cela aurait poussé Pogba à déraper bien plus loin que sur le pré marseillais…
Cela nous évoque inéluctablement l’affaire Nasri et le fameux « ferme ta gueule » assorti à un « chut » avec son doigt en direction de la tribune de presse lors du match France – Angleterre (1- 1) (but égalisateur de Nasri) à l’Euro 2012. Ce qui lui a valu un véritable déferlement médiatique. Après avoir vu les images polémiques concernant Paul Pogba, nous supposons dans cet article que le geste est assumé, afin de comparer les deux situations.
Tout d’abord, il faut impérativement marquer la similitude dans les cas. Nasri et Pogba ont souhaité répondre aux critiques appuyées de certains journalistes à leur encontre. C’est vrai que cela ne fait jamais plaisir de lire un article où sa légitimité est remise en question, et ce bras d’honneur en dit long sur l’état des nerfs de notre jeune joueur.
Dans le cas de Nasri, la situation est plus explicite que jamais. Il est au centre de l’attention puisque c’est lui qui inscrit le but égalisateur, donc toutes les caméras du direct sont centrées sur lui à ce moment-là. En plus de sa gestuelle, le « chut » avec son doigt, il prononce le fatidique « ferme ta gueule » qui scelle son avenir en Bleu, et qui surtout ne laissait plus aucun doute sur l’animosité du geste. Le contexte n’arrange pas les affaires de Nasri ; à l’époque, le sélectionneur Laurent Blanc était venu avec un slogan qui aurait pu s’apparenter à « Le changement c’est maintenant ». Avec le même succès, il faut croire que ce slogan n’est pas vecteur de réussite. Blanc devait enterrer définitivement le fiasco sous l’ère Domenech, il l’a effectivement fait avec un fiasco, certes moindre. Ce fâcheux épisode fait tache dans le processus de rédemption de l’équipe de France, et va de nouveau fragiliser le groupe en interne (Lloris et Koscielny notamment ont demandé à ne plus sélectionner Nasri), sans parler de l’énième fracture avec le public tricolore.
Didier Deschamps a profité des fondations installées par son prédécesseur et ancien coéquipier en équipe de France, Laurent Blanc, qui était reparti de zéro pour reconstruire l’équipe de France et l’image qu’elle dégage. C’est donc dans un climat propice au bon déroulement sportif et extra-sportif que Deschamps travaille depuis 2012. À l’instar de Nasri, Pogba n’était pas aux centres des caméras aux moments de son probable « bras d’honneur » car ce n’est pas lui, mais Dimitri Payet qui marque. À priori, Pogba pouvait glisser son tacle dans la discrétion, car il se retrouvait seul face à la tribune de presse. Mais il y a un hic : depuis l’Euro 2012, un nouveau media sportif – très puissant – est apparu, beIN Sport. Il est vrai que depuis que la chaîne est arrivée en France, la couverture des événements sportifs et notamment le football est de bien meilleure qualité. Le dispositif mis en place par beIN Sport est tout simplement inédit et sensationnel. Manque de chance pour Paul Pogba, au moment où il effectue son geste, une caméra isolée (sur lui) filme son geste, et les journalistes ont pu récupérer une image plutôt floue qui laisse sous-entendre que Pogba faisait ce geste déplacé. La vidéo n’est pas disponible, plusieurs versions coexistent sur le fait de ne pas pouvoir obtenir les images – il se peut que BeIn Sport ait décidé de ne pas fournir l’image pour éviter une polémique et favoriser la pérennité du groupe France pour la suite de la compétition, qui est plutôt bien partie. Autre fait probable, beIN n’a tout simplement plus accès aux images.
Jeunes têtes de Turc
Au moment des faits, Nasri avait 24 ans, Pogba en a actuellement 23. Deux joueurs très talentueux à qui il manque encore un soupçon de sagesse. Cependant, si Nasri s’est fait littéralement fustiger, puis mettre au ban de l’équipe de France, le traitement médiatique semble plus clément en faveur de Paul Pogba – qui, rappelons-le, profite du bénéfice du doute, car les faits ne sont pas avérés avec certitude. Pogba profite également de la bonne dynamique des Bleus. Avec deux victoires en deux matches, la France entame la compétition avec brio et une telle polémique pourrait entacher la marche en avant. Les médias prendront peut-être la posture de « l’union sacrée », car la France peut prétendre à la victoire à domicile, et pour l’intérêt commun de tous les Français, il serait plus judicieux de faire l’impasse sur ce mauvais geste – au moins le temps de la compétition. Et si les Bleus sont sacrés champions d’Europe, le bras d’honneur ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
«Les gens les attendent au tournant. Je les ai prévenus : il n’y a plus Karim, si les choses se passent mal, c’est eux qui prendront. Il faut faire attention. Ils ont un talent inouï. Mais le foot, c’est 10% de talent, 90% de mental.» Patrice Evra a parlé, et si Pogba peut passer entre les mailles du filet cette fois, il devra faire attention à l’avenir. Ce mini-incident lui prouve qu’il n’est pas intouchable, et même avec un statut de joueur de classe mondiale, aucun joueur n’est intouchable. Son agent Mino Riaolo, défend logiquement bec et ongle son protégé. Et pour cause, la cote de son joueur (évalué par certains à 100 millions d’euros sur le marché) pourrait en pâtir. Autant tuer la polémique dans l’œuf.
Pour preuve, les déboires du Portugal contre l’Islande (1-1) sont mis au crédit du joueur phare de l’équipe, Cristiano Ronaldo. Si Pogba souhaite devenir une légende du football moderne, les critiques incessantes restent un passage obligatoire. Puisque après tout, dans le football tout va vite, parfois trop vite.
Saïd Amdaa