Le samedi 23 avril 2016 se tiendra, dans les 480 librairies indépendantes participantes de France, la Sant Jordi. La Sant Jordi, c’est la Saint-Valentin des libraires, des lecteurs, des auteurs, et de tous les amoureux des mots et des livres. D’origine catalane, cette fête est l’occasion pour les libraires de sortir les armes et de défendre corps et âme leur métier, pour en montrer toute la force et la vigueur. L’opération est simple : 23 000 exemplaires, d’un livre d’art unique édité par la prestigieuse maison d’édition de Diane de Selliers, distribués gratuitement et accompagnés d’une rose.
Pour cette 18ème édition, Marie-Rose Guarnieri, initiatrice de la Sant Jordi Française avec son association « Verbes », a choisi de promouvoir le livre d’art, écrin de choix qui recèle en lui toutes les techniques, tous les savoir-faire, et tous les métiers du livre, « un livre qui rassemble tous les livres » comme elle le dit si bien.
Elle avait déjà emmené les fidèles lecteurs des librairies indépendantes sur les pistes des auteurs et de leurs voisins d’étagères (illustré par Christian Lacroix). Le projet avait, l’année dernière, mis en image les expressions et gestes dont les libraires sont témoins au quotidien, par ces « fugitifs » que sont les illustrateurs contemporains. Nous voilà cette année partis sur la piste des dieux grecs et de Psyché, tentatrice de Cupidon et victime des foudres de Vénus, avec une préface de Pascal Quignard. Le projet ne faiblit pas, mué par un désir d’innovation constante pour « Chaque année : étudier et offrir un aspect de la culture intérieur du métier de la librairie ». Bien sûr, cette fête, ces livres uniques, doivent aussi être l’occasion de « parler du métier [de libraire] sans clichés et sans condescendance ».
Cette fête humaine n’a, en réalité, d’autre objectif que de transformer, entre les mains du lecteur, un amas inerte de feuilles de papier en un livre vivant. L’objectif final de ce travail de titan : réincarner le livre. La Sant-Jordi, ce sera, certes, un livre et une rose, mais aussi, surtout, des rencontres et des échanges.
Tours d’horizons de quelques librairies qui valent le détour :
La librairie des Abbesses : le cabinet de curiosités de Marie-Rose Guarnieri
Lorsque je pénètre dans la petite libraire des Abbesses, dont les étagères rouges courent jusqu’au plafond, remplies de livres aux couvertures bigarrées, auxquels on accède par quelques échelles coulissantes, je surprends Marie-Rose en pleine conversation. Elle papillonne d’une étagère à l’autre, lance des titres les uns après les autres, s’extasie sur chacun… A l’écouter, il faudrait là, dans la minute, lire de toute urgence une quinzaine de chefs-d’œuvre qu’elle seule semble pouvoir dénicher pour nous les conseiller.
Marie-Rose Garnieri est une femme de lettres à bien des égards : fondatrice du prestigieux prix littéraire Wepler, directrice de l’association « Verbes », libraire, organisatrice de la fête de la libraire indépendante… la liste est longue. Elle défend avant tout la place unique de la libraire dans la chaîne du livre, « un espace où l’on pense différemment le livre », un lieu de convivialité et de contact unique pour transmettre un objet qui l’est tout autant. « Le meilleur, et le plus beau moyen de transmettre un livre, c’est toujours d’une personne à une personne ».
L’objectif pour Marie-Rose Guarnieri est donc bien d’incarner la librairie comme lieu singulier de rassemblement, « un mouvement de la librairie vers les lecteurs », une relation particulière et un savoir-faire inégalable par toutes les nouvelles technologies et par le phénomène de dématérialisation contemporain. « Je veux montrer comment les livres vivent dans ce lieu. […] Il ne faut pas déflorer le mystère du livre mais travailler entre les liens qui existent. » Ce lien c’est la main experte du libraire seule qui peut l’établir, une main qui met des dizaines d’années à se régler, « comme un instrument », et qui doit avoir une mémoire, « une acuité qu’on travaille et qu’on exerce. »
« Je l’affirme, chaque lecteur qui achète un livre a toujours l’espoir de sortir de ses sillons et d’être percuté par ce qu’il ne connait pas. »
La librairie « La petite lumière » : l’enclave culturelle du « village Daguerre » d’Olivier Renault.
Nichée, derrière les magnifiques immeubles Haussmanniens de Raspail, La petite lumière porte son nom à merveille. L’espace extrêmement chaleureux, aux murs oranges et parquet clair, nous immerge immédiatement dans les livres. Son propriétaire, Olivier Renault, l’a rachetée l’année dernière et s’évertue depuis à poursuivre le « travail de qualité » de son ancienne propriétaire. Son objectif est à peu près le même que toutes les personnes rencontrées : animer un lieu de contact et de rencontre à part entière, pour « créer quelque chose autour et par le livre. » La librairie doit avant tout être un lieu de convivialité vivant, en toute humilité, mais tout en conservant une grande exigence de qualité pour les clients très divers. Le « village Daguerre » mêle en effet une clientèle variée, venant des quartiers administratifs de Montparnasse, énorme centre culturel d’antan, la population aisée, et des clients plus modestes. Olivier Renault cultive donc ce cosmopolitisme, pour encourager un « vrai contact ». Tout comme Marie-Rose Guarnieri, il veut avant tout créer la surprise et emmener les gens vers la nouveauté, l’inattendu, ce qui ne se fait pas ailleurs. Il se positionne comme un « passeur », à la frontière entre la création littéraire, et le récepteur de celle-ci, et se met au service des hommes et des femmes qui franchissent les portes de sa librairie. La Sant Jordi se présente comme une occasion particulière de créer « l’accident littéraire » et la rencontre chez lui.
Et les autres :
Une large devanture verte au cœur de Saint-Germain des Prés, de hautes étagères rouges qui s’enfoncent profondément sur le boulevard ; L’écume des pages sera bien entendu partenaire de la Sant Jordi et distribuera aux curieux un livre et une rose. Chaque recoin réserve une belle surprise, à mesure que l’on déambule dans le grand espace mis à disposition : une très grande collection de livres « poche », qui garantit la qualité à des prix très abordables ; mais aussi une collection de livres d’art impressionnante, beaux objets avant d’être de beaux livres. La librairie est ancrée dans ce quartier historique, maison de Sartre, de Beauvoir ou encore de Boris Vian. Mais c’est aussi un quartier huppé de Paris qui fait face à une clientèle aussi aisée qu’exigeante. Ici, comme dans toutes les librairies indépendantes, chaque libraire apporte sa pierre à l’édifice et propose des ouvrages en fonction de domaines de prédilections spécifiques : Science-Fiction, littérature Sud-Américaine… Tous portés par l’amour du livre.
Le long de la rue des Pyrénées, elle dissimule une grande surface aux larges baies vitrées, qui éclairent un sol en béton brut et de très belles tables et étagères en bois et en fer forgé. Différents espaces de parole y sont réservés, comme le « racontoir », espace de lectures publiques pour les enfants, ainsi qu’un espace prévu pour les nombreux auteurs invités. Ici, on vante encore, comme dans toutes les librairies indépendantes, le bonheur de pouvoir choisir librement les livres que l’on propose aux clients. C’est la recherche d’un service qualitatif qui s’exprime, pour animer la vie locale et entretenir la valorisation du « fond ».
En plus de la distribution du livre et de la rose prévue, la librairie met en place une très belle vitrine en rapport direct avec le Livre « Amour et Psychée ». La librairie est un bel exemple d’implantation et de réussite dans le quartier puisque le couple à l’origine de sa création, a déménagé dans les grands locaux de la rue de Bretagne en 2007, entrainant dans leur aventure sept nouvelles recrues, et la librairie de désemplit pas. Elle met à la disposition des clients un très grand espace sur deux étages, dissociant un espace dédié à la littérature et la BD, d’un autre plus théorique. Pour cultiver le lien, tant avec la clientèle du quartier qu’avec les auteurs, la librairie organise de nombreux échanges dans une grande pièce dédiée exclusivement à cet usage, et s’applique également à laisser de réels petits « mots », de belles critiques sur les coups des cœurs des différents libraires.
Bien entendu, le festival des librairies indépendantes se tient partout en France, alors profitez en!
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