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Focus sur… les couvents de la Madeleine en Irlande : un purgatoire au cœur des institutions religieuses

Il y a quelques semaines, nombreux sont les médias qui ont relégué une information effrayante : 800 cadavres de bébés ont été retrouvés près d’un établissement tenu par les sœurs du Bon secours à Tuam, dans l’Ouest de l’Irlande. Le choc est grand, et pourtant, l’étonnement n’est pas de mise. Le pays est connu pour son conservatisme religieux, l’avortement n’y étant autorisé qu’en cas de viol, d’inceste, de mise en danger de la femme ou de malformation du fœtus. Mais ce conservatisme a souvent viré au fanatisme par le passé. Ainsi, ces bébés sont la preuve de cette barbarie perpétuée au sein d’institutions fermées, des Homes ou aussi connues sous les termes de Magdalene Laundries (les blanchisseries de la Madeleine), aujourd’hui disparues. Retracer l’origine de ces enfants, c’est raconter l’histoire de leurs mères, victimes de ces asiles, où châtiments et humiliations étaient les aboutissants d’une torture quotidienne.

Des enfants arrachés

Enterrés sans sépulture, semblables à des déchets encombrants, voici le sort réservé aux centaines d’enfants du Home de Tuam. Entre 1925 et 1961, ces « enfants du péché », nés de filles mères, souvent elles mêmes victimes d’un viol ou d’un inceste, ont été entassés dans d’immenses orphelinats, à peine nourris, malgré les allocations gouvernementales perçues par l’institution. Toute maladie, aussi inoffensive était-elle, se muait en épidémie caractérisée. C’était alors dans ces sinistres dortoirs que de riches couples faisaient leur marché parmi les couloirs surpeuplés de gamins désœuvrés. La charité revendiquée n’était en réalité que l’expression d’un abîme où les gémissements infantiles étaient étouffés par de larges murs épais.

Ces « homes babies », comme surnommés à l’époque, ont été le fruit, comme tant d’autres, d’un abandon forcé de la part de leurs mères. Obligées d’accoucher sous les insultes incessantes et d’abandonner leur bébé, ces jeunes filles, parfois encore adolescentes, étaient par la suite condamnées à l’esclavage à vie dans des blanchisseries tenues par des nonnes, volontiers cruelles.

Une barbarie religieuse instituée pendant plus de deux siècles

L’année dernière, le film Philomena de Stephen Frears évoquait le sort de ces jeunes femmes, condamnées par une société grégaire. Dix ans plus tôt, c’était The Magdalene Sisters de Peter Mulla qui racontait le destin de trois jeunes « filles », enfermées dans des couvents de la Madeleine et prêtes à tout pour en sortir.

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Photographie extraite du film The Magdalene Sisters

On estime à plus de 30 000 le nombre de jeunes femmes qui ont séjourné dans ces lieux, contre leur volonté le plus souvent. L’origine de ces organismes se constitue dès le XVIIIe siècle, avec le premier asile de ce genre fondé à Dublin par Lady Arabella Denny. Prenant le nom de Marie-Madeleine, personnage biblique de prostituée s’étant rallié aux rangs du Christ, ces couvents, à la base prévus pour de courts séjours, deviennent des institutions à long terme. Sortes de prisons religieuses, les pensionnaires doivent accomplir des travaux de blanchisseries en signe de pénitence, pour laver symboliquement leurs « péchés ». Et quels péchés ! Au fur et à mesure que l’influence de ces structures grandit, on quitte le champ de la prostitution, pour cloîtrer de jeunes filles dites de mauvaise vie, et par ces termes, ce sont les mères célibataires, les filles trop aguicheuses ou tout simplement trop jolies qui se retrouvent prisonnières d’une morale hypocrite.

Dans une Irlande au conservatisme sexuel exacerbé, les couvents de la Madeleine sont des institutions socialement acceptées. Souvent considérées comme des rebuts de l’humanité, ces « filles » (expression utilisée par les nonnes pour surnommer les pensionnaires afin de maintenir une infériorité) sont enfermées à la demande de leur famille ou de prêtres. « Bad girls do the best sheets » (Les mauvaises filles font les meilleurs draps), refrain récurrent qui battent à leurs oreilles, au même titre que le bruit des linges qu’elles brassent, de leurs mains fatiguées toute la journée, sans toucher un quelconque salaire.

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Image: Statue via Shutterstock

L’existence de ces foyers a été mise sous silence pendant longtemps. Pourtant, en 1993, lors de la vente d’un couvent à un promoteur, les restes de 155 pensionnaires sont exhumés. C’est à ce moment-là que la parole des anciennes martyres se libère. Restées longtemps muettes, celles-ci commencent à raconter leurs histoires. Elles sont remplies d’une souffrance, celle d’abus quotidiens. Combien d’entre elles ont subi les pires sévices, qu’elles soient physiques, morales ou sexuelles ? Car oui, dans l’enfermement de ces murs, les victimes des nonnes doivent rester toute la journée silencieuses, sous peine de châtiments corporels importants. Les humiliations rythment les heures, et la pitié ne leur est pas permise. Beaucoup d’entre elles restent séquestrées toute leur vie, faute d’avoir pu s’échapper ou d’avoir été libérées par un des membres de leur famille.

En 1998, le documentaire choc de Steve Humphries, Sex in a Cold Climate, enlève une partie du voile de cette sombre partie de l’histoire irlandaise. Quatre victimes témoignent. Parmi elles, une ancienne pensionnaire, Phyllis Valentine, raconte : « Penser à son corps était un péché. Cela me mettait en colère que c’étaient ces personnes (en parlant des prêtres et des nonnes) qui représentaient la voix de Dieu sur Terre, et qui étaient un tel exemple pour nous. Nous étions supposés suivre leurs pas. Et ils étaient cruels. Ils étaient si cruels avec nous. Nous n’avions jamais rien fait de mal. »

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Extrait du documentaire, Sex in a Cold Climate. Ici, Phyllis Valentine.

Ainsi, ce n’est qu’au terme d’une longue attente (en 2009) qu’est publié un rapport de 2000 pages détaillant les dizaines de milliers de cas de sévices monstrueuses subies par les enfants et dans les Couvents de la Madeleine. Aucune indemnisation n’est accordée. Il faut encore patienter quatre ans, pour que le 5 février 2013, l’Etat irlandais reconnaisse l’asservissement de ces femmes, plus de 10 000 enfermées entre 1922 et 1966 dans ces blanchisseries de l’enfer. Beaucoup d’entre elles l’ont été notamment à la suite d’une intervention de la police ou d’un autre service de l’Etat. Des excuses qui viennent deux siècles trop tard.

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Hypocrisie d’une société

A l’apogée de ces lieux inhumains, le sexe hors mariage est le pire crime que ces jeunes femmes puissent commettre, pire que le vol, pire que le meurtre. Condamnées par la communauté et l’Eglise, ces jeunes femmes ayant conçu un enfant hors mariage sont estimées « perdues » (« fallen women »). Les envoyer aux Magdalene Homes, c’est les expier de leurs péchés, bien que ces derniers soient en réalité fictifs.

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Au cœur des familles irlandaises, si un tel événement survient, le rejet est souvent opéré de façon automatique. A tout prix éviter le scandale, tel est le but, au détriment de la vie de leurs filles, qui abandonnent tout espoir de rédemption en voyant les portes lourdes des blanchisseries se refermer derrière elles.

A l’intérieur d’une société aux carcans bien trop stricts, ne jamais révéler un quelconque intérêt pour son corps est une règle que chaque fille doit respecter dès son plus jeune âge. Cacher les seins naissants, couper les cheveux, les habiller d’uniformes grossiers, toute preuve de féminité est signe du péché.  Comment autant de folies ont pu être acceptées ? Le mutisme des anciennes pensionnaires y est sûrement pour quelque chose. Traumatisées par les stigmates des nonnes, beaucoup n’ont pas eu la force de révéler l’indicible.

Pourquoi l’Etat irlandais et l’Eglise du Vatican n’ont-ils rien fait ? Pourquoi n’ont-ils jamais sanctionné ? Etaient-ils au courant de ce qui se passait dans ces instituts ? Des rumeurs couraient : souvent, on menaçait les jeunes se comportant mal de les emmener aux Magdalene Homes. C’est peut être l’apparition de la machine à laver qui signe le salut de ces femmes. Disparaissant au fur et à mesure, le dernier établissement de ce genre est fermé en septembre 1996. C’était il y a moins de 20 ans.

Loin de représenter une quelconque âme charitable, ces lieux de purgatoire ont pendant longtemps été le symbole d’une barbarie silencieuse. Sur les 796 petits corps retrouvés à Tuam, combien de milliers d’autres ? En tout cas, seule demeure une liste de noms, marque de leur passage éphémère sur Terre, au même titre que leurs mères mortes, qui ont emporté avec elles ce lourd secret.

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