Ce vendredi, le Pape François a entamé son périple africain au Kenya. Pour cette première étape, il a donné un discours fustigeant le néocolonialisme et l’emprise de l’Occident sur l’Afrique. Françoise Vergès, spécialiste de l’esclavage et de la colonisation, revient sur son intervention.
« Il y a de nouvelles formes de colonialisme » a déclamé haut et fort le souverain pontife. Il a profité de sa venue dans le grand bidonville de Kangemi à Nairobi pour dénoncer le système néocolonial qui veut que « les pays africains soient les pièces d’un mécanisme, les parties d’un engrenage gigantesque. »
Il a également blâmé les « pressions pour que soient adoptées des politiques de marginalisation, comme celle de la réduction de la natalité. » Par la présente, il satisfait une demande des évêques africains. Dans une de leurs déclarations communes rendue publique en septembre, ils critiquent le traité de Maputo. Signé et ratifié par 36 États africains, ce dernier somme les gouvernements de légaliser ou dépénaliser l’avortement et procurer à leurs populations un accès universel aux contraceptifs modernes.
ENTRETIEN
L’historienne experte de la colonisation François Vergès épluche pour Radio VL l’élocution du pape et s’interroge sur les postulats formulés par François.
Radio VL : Est-il justifié d’employer la notion de néo-colonialisme aujourd’hui ? L’Occident mène t-il toujours une politique impérialiste auprès des anciennes colonies ?
Françoise Vergès : Il y a une profonde asymétrie qui se poursuit entre le Nord et le Sud et qui est le résultat de siècles d’exploitation du Sud. Les pays du Nord beaucoup plus protégés face aux catastrophes, qu’elles soient naturelles ou économiques. Beaucoup de pays africains sont restés des pays d’extraction. Enfin, il y a très peu de transferts de technologies, de savoirs, de recherches. Tous se dirigent vers le Nord.
Face à cela, les mouvements citoyens sont de plus en plus nombreux. Ils ont conscience que quelque chose viole tous les principes d’une vie citoyenne. Ils savent très bien qu’une classe prédatrice est au pouvoir et qu’elle y reste. Mais les choses bougent. Toute une jeunesse africaine est plus éduquée et lit les classiques de N’Krumah et Césaire. Il y a des résultats : Compaoré a été chassé du Burkina Faso, il y a eu des élections au Sénégal et des mouvements étudiants de grande ampleur en Afrique du sud.
Radio VL : Selon vous, la politique dite humanitaire menée par certaines ONG est comparable à la politique coloniale d’il y a cinq cents ans ?
Françoise Vergès : Effectivement, il y a une grande critique de la politique des ONG dans la mesure où la question de l’autonomie de forces locales reste en suspend. La manière dont elles vont agir est perçue de manière néocoloniale car il n’y a aucune transmission aux populations. Beaucoup de jeunes occidentaux se disent « tiens, je vais aller aider des petits Africains ». Quand ils repartent, la situation revient au même. Il faut changer les choses plus profondément. Il y a des défis nouveaux aujourd’hui.
Les questions de décolonisation sont à la fois culturelles, environnementales, politiques, économiques, sociales, pas seulement humanitaires. Il faut tenir plusieurs fils ensemble, plus que jamais.
Radio VL : D’après vous, la signature et la ratification de traités comme celui de Maputo sont-elles une injonction de l’Occident sur ses anciennes colonies africaines ou plutôt un accès à de nouveaux droits ?
Françoise Vergès : Je ne vois pas pourquoi l’Eglise saurait ce qui est le mieux pour les femmes. Certaines personnes s’instituent comme des porte-paroles. Le premier principe colonial est « je sais ce qui est le mieux pour vous ». Ici, il faudrait demander aux femmes ce qu’elles veulent. Aujourd’hui, elles se rendent compte que si elles ont leurs enfants plus tard, elles pourront faire des études et leurs enfants ne seront plus obligés de marcher cinq kilomètres pour aller chercher de l’eau.
Souvent, la culture est instrumentalisée par les gouvernements, les régimes, les responsables religieux qui vont manipuler la question anti-occidentale pour prolonger leurs politiques. Par exemple, les Etats ont affirmé qu’il avait des homosexuels à cause de l’Occident, ce qui est complètement absurde. En fait, il faut aussi voir à plusieurs niveaux, au cas par cas ce qui est mieux pour chacun.
FRANÇOISE VERGES
Née en 1952, elle est politologue. Elle était présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage. Actuellement directrice scientifique de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, elle est également l’auteure de plusieurs ouvrages dont Fractures postcoloniales et La République coloniale, essai sur une utopie.