Ce lundi 15 juillet s’est ouvert le procès de Fabrice Tourre, ex-courtier de la banque d’affaire Goldman Sachs et français le plus détesté d’Amérique, pour son rôle dans la crise des subprimes, ou plus précisément pour fraude lors de la vente d’un produit financier obsolète quelques mois avant l’explosion de la bulle des emprunts hypotécaires dits « subprimes ». Et pendant ce temps, Goldman Sachs enregistre des résultats hors-normes après avoir doublé son bénéfice par rapport à l’année précédente… Alors, scandale ou simple routine ?
L’histoire du courtier qui prend tout pour Goldman
Le dossier Fabrice Tourre, ou « Fabulous Fab » de sa propre appellation, est de nouveau examiné cette semaine par la Securities and Exchange Commission (SEC), tutelle et gendarme de Wall Street, pour avoir fabriqué et vendu un produit obsolète peu avant la crise des subprimes. Ce produit se nommait l’Abacus. En 2005, sur demande du fonds alternatif Paulson & Co, Tourre conçoit ce nouveau CDO (Collateralized debt obligation, ou obligation adossé à des actifs en français). Les procédés de création sont complexes, mais les CDO sont des structures de titres mutualisés dans le but de réduire les risques de crédit. Ce programme, à l’origine immobilière, a été malignement associé à des CDS (Credit Default Swap, ou couverture de défaillance en français) par la banque d’assurance AIG, et fût ensuite vendu à des investisseurs institutionnels en 25 deals pour un totale de 10,9 milliards.
Malgré le fait que Goldman mutualisa l’ensemble des prêts immobiliers les plus risqués, le programme fût quand même noté AAA par les agences de notations financières (S&P, Moody’s, Fitch), elles-mêmes financés par les banques utilisant ce processus (tiens dont !). Parallèlement à cela, le fonds alternatif Paulson & Co et certains courtiers de Goldman ont spéculé à la baisse sur ce même programme. L’idée était donc de détruire ce programme par la spéculation afin de soutirer à AIG la couverture de défaillance qui leur était dû. C’est ce qu’il s’est passé. Paulson & Co et Goldman commencèrent à spéculer à la baisse à partir d’avril 2005. Et Abacus finit par perdre 99% de sa valeur, faisant perdre plus 750 millions de dollars aux investisseurs, dont la banque allemande IKB qui a fini par faire faillite et être nationalisée.
C’est alors quelques mois après que la crise des subprimes éclate (tiens dont !). Lehman Brothers fait faillite, ainsi que AIG. Alors que l’on décide de laisser couler Lehman, un autre Paulson, le secrétaire au trésor Henry « Hank » Paulson, et ancien patron de Goldman (tiens dont !), décide du sauvetage d’AIG. Ce qui sauvera par la même occasion Goldman d’un effet domino géant déjà engagé. En plein dans la crise, les sommes injectés pour sauver ces institutions financières sont colossales. Le plan de sauvetage d’octobre 2008 représenta à lui seul 700 milliards de dollars.
La SEC finira par ouvrir une enquête fin 2009 sur plusieurs membres de Goldman Sachs, donc Tourre. L’équipe niera tout, mais c’était sans compter sur la découverte d’une discussion par SMS, désormais célèbre, entre Tourre et sa petite amie, dans laquelle il déclara avoir « avoir créé des monstruosités » qu’il « ne maitrisent plus ». Des messages qui ont été déclaré publics par la banque au moment de la première ouverture du procès en 2009. En juillet 2010, contre l’abandon de toutes charges excepté celles requises contre Fabrice Tourre, Goldman Sachs a, en effet, payé une amende record de 550 millions de dollars à la SEC. Le français reste donc le seul poursuivi dans l’affaire.
Le 10 juin 2011, le tribunal fédéral de Manhattan accepte partiellement la plainte contre Tourre, estimant que « Tourre était le principal responsable du produit Abacus et de ses prospectus de vente », et que la SEC a produit suffisamment d’arguments montrant qu’il avait trompé ses clients.En avril 2012, la cour suprême de l’État de New York autorise ACA Financial Guaranty Corporation à poursuivre Goldman Sachs, alors que la procédure suivant la plainte de la SEC est toujours en cours, Tourre étant soupçonné d’avoir volontairement trompé ce cabinet. C’est donc ce procès qui s’est rouvert cette semaine. Il semble donc que Tourre est aujourd’hui le bouc-émissaire de Goldman, qui a vraisemblablement dû vendre un des siens pour se protéger, et en cela on pourrait assimiler cette affaire à celle de Jérôme Kerviel avec la Société générale.
C’est au total environ 180 milliards (investissements extérieurs compris) que la banque a touché pour se sortir de la crise. En fin de partie, c’est Goldman Sachs le vainqueur.
Une banque responsable de l’entourloupe grecque
Ce n’est pourtant pas tout. Au début du siècle après que la Grèce ait rejoint la zone euro, la banque a passé un accord avec l’Etat grec pour camoufler le niveau de dettes du pays et lui permettre d’emprunter à l’insu de la BCE. Le contrat Eole, de son nom, avait pour principe un échange avec contrepartie (swap) sur base de changes de devises qui permettait de masquer la dette du pays. La Grèce a reçu des fonds immédiatement et s’est engagé à reverser à la banque les recettes futures des taxes d’aéroport. L’année précédente, c’étaient les revenus tirés de la loterie nationale qui avaient été engloutis par un schéma similaire. Le gouvernement avait alors classé ces opérations dans la catégorie des ventes, et non dans celle des empreints. Ce stratagème avait pu se mettre en place car avant son entrée dans la zone euro, la Grèce était endettée en dollars et en yens.
Cela avait permis à la Grèce de réduire sa dette publique de 3 milliards d’euros, mais avec les remboursements futurs, l’Etat n’y a rien gagné. C’est pourquoi pour éviter tout soupçon, Goldman Sachs a posé une condition supplémentaire : en faire un accord secret. Le stratagème a longtemps marché, jusqu’en 2006, grâce à une fuite médiatique. Malgré le fait d’avoir franchi la barrière éthique, cette opération était pourtant légale. La banque a donc prêté à des taux d’intérêts plus élevés que ceux du marché sans prendre aucun risque.
Au final, c’est 600 millions de dollar de bénéfices que c’est fait la banque. La Grèce elle a ensuite plongé dans la crise, et c’est aujourd’hui plus de 400 millions d’euros que doivent rembourser les grecs jusqu’au moins 2037. Cette fois, en plus de sortir vainqueur, la banque a considérablement fragilisé la zone euro, et donc l’Europe tout entière.
Et pendant ce temps-là, Goldman Sachs continue de s’enrichir…
La banque d’affaires américaine Goldman Sachs a annoncé mardi un bénéfice doublé sur un an au deuxième trimestre, dopé par des émissions obligataires record et par sa division d’investissements en nom propre. Le bénéfice net part du groupe est ressorti à 1,9 milliard de dollars, soit 3,70 dollars par action, alors que les analystes tablaient en moyenne sur 2,82 dollars. Le chiffre d’affaires du groupe a progressé de 30% à 8,6 milliards de dollars sur la période sous revue, également nettement au-dessus des attentes. En cause, le marché du trading obligataire…
Lloyd Blankfein, patron de Goldman, a tout de suite déclaré que « la performance de l’entreprise a été solide, particulièrement dans un contexte de confiance mitigée dans l’économie ». Lui qui déclaré, en plein pendant la crise en 2009, faire « le travail de Dieu » se trouve aujourd’hui dans une position en effet similaire à celle d’un Dieu.
Alors oui, cette banque et les dossiers dans lesquels elle a été impliquée sont scandaleux, mais ces derniers évènements semblent pour autant faire partie d’une sorte de routine de l’arnaque, de la combine frauduleuse de quelques mathématiciens en herbe. Mais qu’on se l’accorde, leur avidité cause un tort immense à la société civile, ces gens-là méritent la prison, et que celui qui soutient le contraire s’exclame ! Alors, si Tourre est le seul à payer, le monde de la finance continuera-t-il de vivre fraîchement dans l’excès ? A l’heure où les pays développés tentent tant bien que mal de sortir d’une crise qui semble désormais durable, essayons au moins de ne pas répéter les erreurs du passé. Sans plus tarder donc nous nous devons d’entrer dans une ère de régulation financière. C’est une urgence, et ce n’est toujours pas accompli!