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Happy Birthday Rock en Seine part.3

Lorsque j’ai demandé une accréditation pour Rock en Seine au patron, je ne pensais pas une seule seconde que cet incompétent notoire se débrouillerait pour m’en dégoter une. Me voilà donc obligé d’aller traîner mes guêtres au milieu d’une fange boboïsante qui pullule d’habitude du côté de Saint-Germain des Près. Je les connais bien, j’en fais partie.

Dimanche 26 août.

 Je retrouve Juliette près de de l’espace Rock Art. Je la reluque de loin. Ouf ! Elle est jolie. En regardant la liste d’illustrateurs invité à créer une affiche pour l’un des groupes, je réalise que l’illustratrice fan de métal que j’ai croisé la vieille a dessiné l’une des affiches du cru 2012. Bien joué mon pote, toi on peut vraiment dire que t’es un bon. Conscience professionnelle, quand tu nous tiens…

 Pas le temps de s’attarder, Juliette me traîne vers The Lanskies. Je n’aime pas vraiment ces mecs là. Je fouterais bien un bourre-pif dans l’immense gueule de prétentieux du bassiste. J’aimerais bien… Arrivé à la bourre, je n’ai heureusement droit qu’à un seul morceau, le plus connu, celui qui fait danser les putes à franges caennaises et permet au public d’avoir au moins un refrain à gueuler. Fin du set, le chanteur slam jusqu’au bar tandis que le groupe quitte la scène. Ça j’aime bien. C’est pratique au moins.

Les yeux de Juliette pétillent. Elle est fan.

 T’es où ? Près de la tente ? Laquelle ?

 Le problème avec les festivals parisiens c’est que tu croises toujours un pote à l’arrache qui est venu avec d’autres potes à l’arrache. Généralement, tout ce petit monde essaie de se rencarder à un point précis afin de partager le sacro saint rock ensemble. Résultat des courses, tu passes ton temps à courir pour retrouver trois crétins déjà saouls qui vont te claquer entre les doigts un peu plus tard. C’est ainsi que je croise mon ex, son frère et des potes de potes de potes. Direction The Dandy Warhols. Tiens, on en a déjà perdu un.

We Used To Be Friends.

 OH MY GAWD. OH MY GAWD. Courtney what the fuck happened to your face ? C’est peut-être la plus grande déception de ce festival. Courtney Taylor-Taylor s’est pris un bon coup de vieux dans la poire. Quand on pense qu’il chantait que l’héroïne était « so passé », on a quand même du mal à imaginer qu’il ne mette que de la saccarine dans son kawa le matin. Après, je suis mauvaise langue. C’est peut-être de la rétention d’eau, il est peut-être gravement malade. Peut-être que son vieux rival du Brian Jonestown Massacre, Anton Newcombe, l’a empoisonné à son insu ? Jalousie ? Sex ? Money ? Bref, au moins, vu sa nouvelle tronche en biais, j’espère qu’Anton va arrêter de jalouser son pote. Vous êtes moche l’un comme l’autre les mecs. Faites vous la bise et enlaidissez-vous ensemble. Together quoi !

 Je retrouve les chansons de mon adolescence. Toute la collection y passe : We Used To Be Friends, I Love You, Get Off, Bohemian Like You. Ca groove pas mal mais on sent le lascar au bout du rouleau. Sa voix déraille de temps en temps, provoquant grimaces et rictus parmi l’audience. Je n’attends qu’une chose, que Zia McCabe finisse topless comme dans sa fougueuse jeunesse. Nenni mes amis, Nenni. Vu la tronche de Courtney, notre imagination se laisse séduire par l’image gerbante de deux gants de toilettes pendouillants à la place de ce qui fut l’une des plus belles poitrines du rock des années 90. On ne va pas charrier sur les petits défauts d’un groupe vieillissant qui n’a plus rien à prouver. C’était bon de les voir sur scène avant que Courtney ne se fasse le fix de trop, emportant ainsi le souvenir d’un groupe qui fut underground, psyché et maintenant vieux. Je croise le patron qui a fait le déplacement pour s’assurer que son poulain ne finisse pas dans un circle pit.

_ « Salut patron, alors tu kiffes ta race ? »

_ « Nan, c’est la première fois que je viens à un festival dont je n’aime pas la programmation. Tu me files ton badge VIP ?»

_ « Et donc ? Tu vas juste squatter l’espace VIP à siroter ton champagne trop cher d’une marque bon marché sur des transats qui daubent la vieille pinte ? »

Silence embarrassé.

_ « Branleur » lui dis-je avant qu’il ne retourne à hipsterland.

 Juliette me propose de venir à l’Avant-Seine All Star mais Grandaddy va bientôt enflammer la scène de la Cascade. Je me scinde en deux, envoyant mon corps danser avec les All Stars et mon esprit se délecter de l’indie rock intello de Grandaddy. Attention, scission.

 Les Incompris.

 Téléportation réussie à gauche de la scène de la cascade. Idéalement placé entre une belle plante et un vieux crouton. Je suis le chaînon manquant. Je joue des coudes pour shooter la tête de déterré du chanteur, absorbé par sa musique. Mauvaise idée, v’la la belle plante qui me balance son genou dans la cuisse. Par dépit, je me lance dans le flou artistique période daguerréotype.

 C’est le moment du quart d’heure Guy Bedos. Je crache ma haine et critique tout ce qui bouge, comme Lester Bangs, comme tous ces héros plus ou moins connus qui, comme moi, se sont un jour sentis spoliés. Que foutent Green Day et Placebo sur la Grande Scène alors que Grandaddy, ce petit bijou, est cantonné à la Cascade. Ça me rappelle l’édition 2010 où les géants de Black Rebel Motorcycle Club s’étaient retrouvés eux aussi à la Cascade tandis que les branleurs souffreteux de Blink-182 attiraient tout ce que le festival avait de gamins tatoués au marqueur noir. Même constat cette année. Beach House relégué à la scène Pression Live, c’est un scandale.

Retournons à nos moutons. Grandaddy est l’attraction principale de la soirée. Séparés en 2009, laissant toute une diaspora de bobos orphelins, le groupe se reforme cette année pour le plus grand bonheur des porteurs de Ray Ban. Jason Lytle, le frontman à l’organe crystallin, repart au combat avec ses textes ciselés au millimètre nous rappelant les dérives de notre société contemporaine. C’est con à dire mais un vrai chanteur engagé qui se paie le luxe de soigner sa prose, c’est rare. Du coup, je me fous du boulot et me place au coeur du troupeau, en face de la scène, là où les autres brebis ruminent leur herbe dans un transe glacée, presque onirique. Je commence à être sérieusement crevé. J’immortalise l’instant comme je peux et retrouve plus tard le patron qui me rend mon badge. Il n’a vu aucun groupe, le bougre. Heureusement que je suis là.

 Permettons-nous de citer pour finir le grand Ludwig Van Beethoven qui, fasse à la réception mitigée de son dernier quatuor, s’exclamait laconiquement : « Ils comprendront plus tard. »

De son côté, mon corps découvre les reprises du All Star Live. Les Airnadettes font l’animation. Ça hurle, ça blague grassement, ça parle de bite, de couille, de fellation et de rock’n’roll. Hey Hey My My fout le feu en reprenant Last Night des magnifiques Strokes. Ils sont bons les salopards. Il faudra que je choppe Julien au carré VIP pour lui poser deux ou trois questions. Stuck In The Sound, malgré quelques soucis techniques, foutent le feu avec One Armed Scissor, une reprise de At The Drive In. José gueule dans son micro, capuche baissée pour une fois. Tout le monde est mis d’accord. Arrivent bientôt les trois escrocs de Gush. Quelle misère. Ils reprennent That’s Not My Name des Ting-Tings. Je n’ai pas envie d’utiliser un vocabulaire trop familier pour vous décrire ce que mon échine à ressenti à ce moment précis. Je me contenterai simplement d’une image : si j’avais pu manger toutes mes pellicules plutôt que d’écouter une seconde de cette insulte à la musique, je suis quasiment certain que l’expérience aurait été plus enrichissante pour moi. Qu’on se le dise. Birdy Hunt termine par Hey Ya ! d’Outkast et tous les artistes viennent faire la chenille sur scène dans un joyeux bordel. Ce rassemblement est une excellente idée, peut-être la seule d’ailleurs. Il faudra remettre ça l’année prochaine.

 Hiiiii, Mark Foster il é tro booooooo.

 Je refuse de foutre un pied dans la fosse de Foster The People. Mes oreilles sont déjà bien amochées et je ne voudrais surtout pas que de petites pisseuses ne me provoquent de nouveaux acouphènes. J’essaie de reconnaître quelques morceaux de loin tout en refusant les avances de Juliette qui me promet les pires acrobaties si je la suis dans l’antre du diable. Je refuse. Une petite pipe ne brisera pas mon intégrité morale.

Je ne veux que Beach House. J’attends la nièce de Michel Legrand avec impatience. Je cherche à reprendre mes esprits, tout juste revenus des immensités verdoyantes de Grandaddy. Vamos a Beach House.

 T’es la nièce de ton oncle meuf ?

 Ouch. Aie. Ouh. Purée, je manque d’interjections. Beach House est peut-être LA révélation de ce Rock En Seine. Le mythe est en marche. Les pâles lumières de la scène Pression Live dessinent trois silhouettes menues noyées dans les vapeurs d’une smokemachine bien cachée. Victoria Legrand, la nièce du maître Michel Legrand, célèbre compositeur des hymnes de Jacques Demy (Nous sommes des soeurs jumelles, nées sous le signe des gémeaux, blablabla), plonge l’assemblée dans une communion astrale. Mon corps accuse le coup. Je suis obligé de m’asseoir puis de m’allonger. Trop d’alcool, trop de spliffs, trop de musique. Je suis saoulé. Juliette se blottit contre moi et lorsque résonnent les premiers accords de Myth, je pars. Je survole la scène tandis qu’elle me fait du bouche-à-bouche car elle me croit parti à jamais. C’est peut-être le plus long baiser de cette année. Mais y’a t-il vraiment un plaisir plus grisant que de bouffer de la soupe de langues en écoutant pareilles mélopées.

 J’observe le guitariste nonchalamment assis sur un tabouret. Il ne peut s’empêcher de tapoter du pied, de bouger ses hanches de filles moulées dans un slim bien propre. Le batteur se lâche, il ne tape plus sur ses fûts mais cherche délibérément à les briser. Ses maillets virevoltent avec grâce et, manque de pot, je m’en prends un dans la fiole qui me précipite à nouveau au contact des lèvres de Juliette. Finalement, je me dis que c’est plutôt une bonne idée de les avoir foutu sur la scène Pression Live. C’est la plus intimiste, la plus discrète, celle qui permet aux couples d’être amoureux sans risquer un pogo inattendu qui risquerait de foutre en l’air l’instant. Je me relève. Juliette aussi. C’est presque la fin du festival. Au loin, le cirque Green Day achève de charmer les gérontophiles venus en masse admirer les yeux charbonneux de Billy Joe Armstrong. La maison de retraite Green Day ouvre ses portes en fanfare. CAMARADES ! Empoignons nos déambulateurs et allons nous recueillir dans la fosse adulescente des américains idiots, à la croisée des chemins des rêves brisées. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’autre danseuse avec son mascara.

 We got some Jack and Vodka Rock En Seine.

 Juliette et moi nous arrêtons devant la scène de l’industrie où se rassemble une foule clairsemée. Tant mieux ! Je ne connaissais pas Dope DOD. Ils sont anglais, ont la rage et un jeu de scène soooo hip-hop. Bouteilles de Jack et de vodka, masques effrayants, majeur en l’air et « niggas » qui fusent à chaque lyrics, ça commence pas mal. Je roule un spliff avec une bénévole et danse collé-serré sur du fat son. Que c’est bon de finir Rock En Seine sur une touche dégueulasse. Les beats de ces mecs là font jumper 200 personnes à l’unisson. Pas plus, pas moins. Pas besoin d’une foule immense d’adolescents ivre de panachés et de Smirnoff Ice. Comme tous bon rappeurs qui se respectent, les trois lascars balancent les Beatles et concluent leur set en nous invitant à les envoyer chier. À trois, un, deux, trois : FUCK YOOOOOOUUUUU. On s’insulte dans la bonne humeur, les mecs sont ravis et peuvent cuver leur Jack-vodka tranquillement.

 Bon, et Arcade Fire dans tout ça ?

 L’heure du bilan approche. Je retourne au carré VIP, les pages de mon carnet pleines d’un ramassis de conneries qu’il me faut maintenant rassembler comme autant de polaroids pris à l’arrache pendant ces trois jours. Je quitte Juliette sur un dernier baiser. Peut-être nous reverrons-nous plus tard. Ou pas. J’aperçois aussi Anthony avec qui je partage un ultime pétard, le calumet de la paix musicale. On se claque la bise et on se promet de se revoir à Saint-germain-des-Près, là où les types comme nous peuvent être naturellement cons et méprisables. Je reçois un sms de Pauline. Elle est accompagnée d’une amie fort jolie elle aussi. Les deux belles s’ennuient ferme. J’aimerais rester à papoter des heures avec elle tant leur joli minois m’inspire plus que le clavier de mon ordinateur. On se promet de se voir lundi, peut-être autour d’un café-clope. Je continuerai de leur expliquer en quoi Stuck In The Sound n’est pas du shoegaze et en quoi Foster The People n’est qu’une ribambelle de connards prétentieux trop jeune pour comprendre.

Je tire un trait sur mes trois jours au Parc de Saint-Cloud. L’anniversaire n’était pas à la hauteur de mes espoirs. Je m’attendais au moins à voir ces connards d’Arcade Fire qui ont pris l’habitude de poser leurs flycases ici. Non, cette année on leur a préféré Green Day et Placebo. Je ne comprends toujours pas comment on peut faire jouer des groupes magnifiques comme Sigur Ros, Grandaddy, Beach House, Deap Vally ou encore Bass Drum Of Beath avec des groupes vieillissants comme Green Day, Placeboou encore Noel Gallagher. Je ne cracherai pas sur les Dandy Warhols car j’aime ce groupe. C’est dégueulasse je sais mais c’est moi qui écrit cet article.

Un constat mi-figue mimolette qui me laisse sur ma faim. Je garderai un sentiment aigre-doux d’avoir été pris pour un con mais aussi pour un esthète. Cela tient à peu de choses : de belles rencontres, de la musique astrale, beaucoup d’alcool et de poésie entre deux concerts. J’aimerais pouvoir citer toutes les personnes formidables qui m’ont fait passer un bon festival. J’espère n’avoir rien oublié et vous avoir permis de saisir l’instantanée de ces trois jours de bordel international à l’ouest de Paris.

Je rentre chez moi lessivé, m’allume la dernière clope qu’il me reste et commence à rédiger mon papelard encore saoul. J’ai toute la nuit devant moi.

Ps : les photos arrivent bientôt.

 Page & Billy

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