Ce mois-ci, place à une immense compositeur qui vient de nous quitter et que vous connaissez peut-être moins : Ryuichi Sakamoto.
[« The Last Emperor – EXTRAIT SONORE]
[« SérieFonia : Season V : Opening Credits » – Jerôme Marie]
28 mars 2023… Un des plus grands noms de la musique de film nous quitte, malheureusement, à l’âge de 71 ans. Une carrière internationale… Un style… que dis-je ?… Des styles aussi divers qu’inimitables. Mais un seul Oscar… C’était en 1988 pour… Le dernier Empereur, de Bernardo Bertolucci…
[« The Last Emperor – Theme Variation 2 » – Ryuichi Sakamoto]
Le film, culte, ne s’est pas contenté de gagner pour sa musique… Meilleur film, réalisateur, scénario, décors, costume, montage, photographie, son… Pas moins de 9 statuettes honorent cette incroyable fresque, une comme on en fait plus, tandis que la France, elle aussi, récompense l’équipe en lui octroyant le César du meilleur film étranger. Mais la route est longue avant d’en arriver là. Né à Nakano en janvier 1952, Ryuichi Sakamoto… puisque c’est de lui qu’il s’agit… est un fils d’éditeur qui se passionne à la fois pour le classique à la Debussy et pour le rock à la Beatles. Immédiatement, son amour de la musique le plonge dans le meilleur des deux mondes… et encore, à quoi bon se limiter à deux mondes seulement ?
[« Furyo – Beyond Reason » – Ryuichi Sakamoto]
Car l’électronique va régulièrement venir bercer une ample discographie partagée entre musique de film bien sûr, mais également albums solos, souvent riches et déstabilisants, musique pop, musique de jeux vidéo… mais aussi et peut-être surtout, des collaborations en pagaille. Comme avec l’Allemand Carsten Nicolai, également connu sous le nom de Alva Noto… ou encore avec le jazzman japonais Yosuke Yamashita… Là, c’était un extrait de Furyo. En 1983. Si, si, c’était bien Furyo… Je n’allais quand même pas vous dégainer le morceau le plus connu si facilement… Mais bon, comme je sais que c’est un incontournable… autant enchaîner tout de suite…
[« Furyo – Merry Christmas Mr. Lawrence (Solo Piano Version) » – Ryuichi Sakamoto]
Allez, je vous garde une version Live pour la fin… Si vous ne le savez pas, dans Furyo, Ryuichi Sakamoto fait aussi l’acteur. Il interprète le samouraï Yonoï, un jeune et fervent commandant tout ce qu’il y a de plus désireux de servir son pays, et il côtoie nuls autres que David Bowie et Takeshi Kitano en tête d’affiche. A cette époque, il fait également partie d’un groupe de synthpop japonais, Yellow Magic Orchestra, aux côtés de Haruomi Hosono et Yukihiro Takahashi… Les musiciens se sont rassemblés en 1978, après que Sakamoto ait étudié à l’Université des beaux-arts et de musique de Tokyo où il s’est spécialisé dans l’ethnomusicologie… Comprenez l’étude des différents courants musicaux ethniques. Et plus particulièrement ceux venus d’Okinawa, d’Inde et d’Afrique. Ce qui ne se reflète pas nécessairement à travers les premiers titres du groupe… comme dans « Firecracker » en 1978…
[« Firecracker » – Yellow Magic Orchestra]
Pas vraiment plus que dans « Behind the Mask », sorti l’année suivante… et qui connait un succès résolument international.
[« Behind the Mask » – Yellow Magic Orchestra]
Un titre que Michael Jackson n’a pas manqué de s’approprier en 1982 pour son mythique album Thriller mais qui, cependant, n’avait pas été retenu. Depuis, d’éditions anniversaire en éditions anniversaire… le mal est réparé…
[« Behind the MAsk » – Michael Jackson]
Mais bien avant tout cela, c’est dès 1975 que le jeune compositeur, féru d’électronique, se lance dans un premier album (Disappointment-Hateruma) après avoir pigé pendant 5 ans en qualité de claviériste pour différents artistes. Les percussions de son comparse Tsuchitori Toshiyuki y sont mises en avant à travers une approche minimaliste qui perdurera dans son œuvre des décennies durant… Son premier album solo officiel (Thousand Knives) sort quant à lui en 78, soit à la veille de sa formation avec Yellow Magic Orchestra. Mais afin de nous rapprocher un peu de ses années musiques de films, sautons directement en 1987 vers son album Neo-Geo… et bien que ça se veuille une réinterprétation de la musique d’Okinawa, ça sonne quand même un p’tit peu « furyo-sement » comme du Bowie, non ? Alors… coïncidence ou pas coïncidence ? Bah non ! Puisque c’est son pote Iggy Pop qui chante…
[« Risky » – Ryuichi Sakamoto]
Aussi abouti puisse-t-il paraître, Furyo n’est que le deuxième film mis en musique par Ryuichi Sakamoto. Juste avant, il a signé Daijobu, My Friend pour Ryu Murakami… Et le succès du Dernier Empereur survient seulement quatre ans plus tard. Sans cesse, il alterne entre cinéma, tournées mondiales du Yellow Magic Orchestra, et projets plus personnels. Parmi eux, on trouve notamment ce sublime morceau de piano à quatre mains, baptisé « Tong Poo »… C’était en 1998, sur l’album BTTB. Comprenez Back to the Basics… Un retour aux sources, quoi…
[« Tong Poo » – Ryuichi Sakamoto]
Les répercussions du succès planétaire du Dernier Empereur sont colossales. Et, première conséquence, Sakamoto poursuit fidèlement sa collaboration avec Bertolucci. Il y a d’abord Un thé au Sahara, en 1990…
[« The Sheltering Sky – Theme » – Ryuichi Sakamoto]
Puis Little Buddha, en 1993…
[« Little Buddha – Theme » – Ryuichi Sakamoto]
Et seconde conséquence, tout aussi naturelle, son approche si originale attise la convoitise d’autres grands cinéastes, à l’image de Brian de Palma. Qui lui confie d’abord son Snake Eyes, avec Nicolas Cage, en 1998…
[« Snake Eyes – Theme (Long Version) » – Ryuichi Sakamoto]
Puis son Femme fatale, avec Antonio Banderas et Rebecca Romijn-Stamos, qui lui offre l’opportunité de sombrer dans le thriller glauque comme jamais…
[« Femme Fatale – Déjà Vu » – Ryuichi Sakamoto]
Et puis, il ne faudrait pas oublier son excursion télévisée au côté d’Oliver Stone ! Car un an avant Little Buddha, entre le 16 et le 20 mai 1993 sur ABC, la mini-série Wild Palms créé l’évènement en étant diffusée 5 soirs de suite… Mi polar, mi SF, avec un soupçon de glamour, elle divise néanmoins par une approche graphique et un découpage quelque peu déroutants. Produite par Stone, certes, mais écrite par Bruce Wagner et réalisée en partie par la réalisatrice de Point Break et Strange Days, Kathryn Bigelow, Wild Palms reste néanmoins un de mes moments télé préférés…
[« Wild Palms – Main Theme » – Ryuichi Sakamoto]
Alors ça, c’était le générique de début. Mais, comme ça, rien que pour prolonger le plaisir, je ne résiste pas à vous glisser un peu du Final… Ou presque toutes les influences de Sakamoto se rejoignent en une parfaite harmonie… Il a beau brasser les ethnies, on n’en ressent pas moins la chaleur moite de ce coucher de soleil aux abords des plages sanguines de Los Angeles…
[« Wild Palms – Finale » – Ryuichi Sakamoto]
De plus en plus singulier… atonal… expérimental… Il fait de la musique de film sans se soucier des codes qui, pourtant, la régisse en grande majorité. Il intègre les sons… autant que le silence. Il brise le rythme des harmonies autant que des mélodies… Il cherche, il s’amuse… Et propose des partitions aussi singulières qu’envoutantes ; telles que Taboo (ou Gohatto), traitant du sujet délicat de l’homosexualité au sein des guerriers Shinsengumi, bas gradés des Samouraïs entre 1853 et 1867. Le film, lui, c’était en 1999.
[« Gohatto – End Theme » – Ryuichi Sakamoto]
Une approche somme toute plutôt radicale, que l’on retrouve jusqu’en 2015 sur The Revenant d’Alejandro G. Inarritu… dont le face à face entre un grizzli et Leonardo DiCaprio est depuis devenu légendaire…
[« The Revenant – Final Fight » – Ryuichi Sakamoto]
Mais revenons-en un peu aux mélodies à tendance mélancoliques… En 2007, il œuvre notamment sur Silk, pour le réalisateur canadien François Girard… On ne peut pas vraiment dire que la critique ait été tendre avec ce drama au triangle amoureux composé de Keira Knightley, Koji Yakusho et Michael Pitt… N’empêche que la musique, elle, sait atteindre son objectif…
[« Silk – Sadness » – Ryuichi Sakamoto]
Minimalisme toujours… avec Smithereens. Second épisode de la saison 5 de Black Mirror. Ecrit par le créateur du show en personne, Charlie Brooker, et réalisé par James Hawes, à qui l’on doit, entre autres, pas mal d’épisodes de Doctor Who, Merlin et encore et surtout de Penny Dreadful… Nous sommes alors en juin 2019…
[« Black Mirror, Smithereens – Momory of a Single Moment » – Ryuichi Sakamoto]
Pour la télé, il a également fait un détour par l’animation… Et c’est récent. C’était en octobre 2022 avec les huit premiers épisodes d’Exception… C’est le titre de la série, c’est pas moi qui le dit… A l’écriture et à la création, on retrouve Hirotaka Adachi… et aux designs, si particuliers, le grand Yoshitaka Amano, que vous connaissez surement pour son travail sur un bon p’tit paquet de jeux Final Fantasy… Et exception, diffusée sur Netflix, ça ressemble à ça…
[« Exception – Rebirth » – Ryuichi Sakamoto]
Et puisqu’on parle de jeux vidéo, il se trouve que Ryuichi Sakamoto a également composé pour plusieurs d’entre eux… Il y a eu, par exemple, Tengai Makyô en 1989… ou encore Seven Samurai 20XX en 2004. C’était pour la station Playstation 2 et, comme son nom l’indique, il s’agissait d’une aventure directement inspirée par le film Les sept Samouraïs, réalisé par Akira Kurozawa en 1954… Et pour ce qui est des designs, on les doit ni plus ni moins qu’à Moebius, fierté nationale, et accessoirement papa de L’Incal, de Blueberry et des Maîtres du temps…
[« Seven Samurai 20XX – Ending Theme » – Ryuichi Sakamoto]
Parmi sa filmographie, impossible de ne pas citer Black Rain de Tony Scott, mais pour un morceau seulement… Talons aiguilles de Pedro Almodovar… le long métrage d’animation Appleseed en 2004… Call Me By Your Name en 2017… ou encore Beckett en 2021… Et, bien sûr, le formidable Babel pour Inarritu. C’était en 2006…
[« Babel – Bibo No Aozora » – Ryuichi Sakamoto]
Une diversité de genres et de territoires à en faire frémir les autres compositeurs présents sur le marché international… Et c’est peut-être justement pour ça que sa disparition a su susciter une telle vague de tristesse et de sympathie chez les mélomanes du monde entier. Comme rarement, les journaux TV de tous bords se sont fait l’écho de son départ à grand renfort de témoignages et d’images d’archives… Un traitement médiatique et grand public que même James Horner ou Michael Kamen n’ont pas connu… Et quand bien même semblables différences de traitement restent à déplorer… Il faut bien avouer qu’au regard de l’étendue et de la diversité de sa carrière, pareil hommage était bien mérité. Et comme la musique est, par nature, toujours vivante, je vais refermer ce SérieFonia sur trois extraits du formidable concert dirigé de mains de maitre par le chef Dirk Brossé à l’occasion du festival international de musique de film de Gent… Avec, tout d’abord, le très viscéral Hara-Kiri : Mort d’un Samouraï, pour le tout aussi talentueux Takashi Miike, qui date de 2011…
[« Hara-Kiri (Ichimei) – Small Hope (Live) » – Ryuichi Sakamoto]
Et comme il ne faut jamais oublier que cette émission s’appelle SérieFonia… effectuons un retour vers le petit écran avec cet extrait de Yae No Sakura : une série japonaise diffusée sur NHK tout au long de l’année 2013… avec ses pas moins de 48 épisodes et deux téléfilms… et retraçant l’histoire vraie, bien que romancée, de la guerrière japonaise Yamamoto Yaeko, qui vécu jusqu’à l’âge de 86 ans après avoir pris activement part à la guerre de Boshin entre janvier 1968 et mai 1969…
[« Yae No Sakura – Opening Theme (Live) » – Ryuichi Sakamoto]
Et enfin, je vous l’avais promis… Impossible de refermer le présent hommage avec autre chose que celui qui reste son thème le plus connu… le symbole d’une carrière qui ne saurait pourtant se limiter à ces quelques notes… Mais il faut bien avouer qu’entre le charisme de Sakamoto et celui de David Bowie… Toute résistance est fondamentalement inutile. D’ailleurs, à l’issue du morceau, vous retrouverez en bonus l’émission de 2021, consacrée à Bowie au cinéma… et dans laquelle Furyo occupait déjà, et fort naturellement, une place de choix. Alors… Merci pour tout et… Joyeux Noël, Monsieur Lawrence…
[« Furyo – Merry Christmas Mister Lawrence (Live) » – Ryuichi Sakamoto]
[« SérieFonia 2020(2021, Pastille 32 – Bowie au cinéma »]
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