Le visage humain est quelque chose de fascinant. C’est le postulat formulé par David Fitt, photographe français portrait et mode, dans son projet Human Satiation. Une série de visages inondant le cadre, aux imperfections visibles et aux aspérités crues. Un sondage des infinies possibilités de l’apparence humaine, qui interroge en même temps la valeur du jugement esthétique.
La satiété sémantique comme axiome photographique
Le principe de « satiété sémantique » est à l’origine de cette série de portraits serrés sur les visages. David Fitt explique : « Quand un mot est répété un certain nombre de fois consécutivement, il perd son sens, pour ne devenir qu’un mélange de sonorités et de lettres ». Répéter inlassablement un mot, pour en déconstruire la signification. Partant de ce postulat, il l’applique au visage humain. « Quand on fixe pour un temps le visage de quelqu’un, il perd sa beauté ou sa laideur, pour n’être qu’un étrange mélange d’yeux, de nez et de bouches ».
L’idée est née suite à ses déplacements quotidiens de la banlieue au centre de Paris. « Dans les longs trajets en transports, lorsqu’il m’arrivait de regarder quelqu’un, au bout d’un bon moment à contempler cette personne, je n’arrivais plus à savoir si elle était belle ou laide.» Contempler indéfiniment un visage, afin de rendre confuses les différentes représentations de la beauté humaine.
Human Satiation, destruction créatrice de la beauté
Dépassant cette dualité qu’est celle de la beauté ou de la laideur, David Fitt affranchit le visage du jugement esthétique. Pris seul, il devient alors quelque chose d’étrange, qu’il faut longuement observer afin de « l’appréhender comme un paysage ». Perçu comme un ensemble d’abord, ce n’est que par le fruit de la contemplation que les visages révèlent les éléments distincts qui les composent. Les taches de rousseur, les joues tuméfiées et les cernes dessinés sont mis en valeur et deviennent les différents plans de ce paysage facial. Les visages prennent tous une texture particulière, quasi-mystique, aux traits bruts et marqués.
Le choix du cadrage carré sur les visages débordants de l’image renforce cette sensation. Les imperfections du visage humain, généralement masquées, sont ici mises en valeur. Elles deviennent les prémices essentielles d’une nouvelle esthétique. De la beauté idéale qui se veut perfection, David Fitt établit la beauté de l’imperfection. Montrant des visages trop humains par leurs défauts, il fait voler en éclats nos préjugés esthétiques classiques : si l’imperfection peut être belle, comment qualifier désormais le beau et le laid ?
L’imperfection, une véritable représentation de l’humain ?
La réflexion engagée par David Fitt sur la beauté et le regard qu’on lui porte résonne à l’ère du traitement graphique. Presque tous les magazines retouchent leurs images et disséminent une certaine esthétique des corps, sveltes, musclés et proportionnés. Les applications de traitement d’images proposent elles aussi des filtres, offrant une version embellie mais dénaturée et trompeuse de l’image originale. Dans le but d’être conforme au cadre d’un jugement esthétique qui répond à une exigence de beauté définie.
Et c’est là qu’intervient Human Satiation. Montrant que ces cadres esthétiques ne sont que des jugements et non des vérités, David Fitt en rappelle une : l’humain n’est pas parfait. Et il ne le sera jamais. Ainsi, la beauté humaine peut difficilement être parfaitement représentée. Elle ne sera tout au plus qu’une vision, un jugement particulier en un espace-temps déterminé, qui considère un certain type de beauté. Et représenter l’humain dans sa totalité, sans artifices esthétiques, ne serait-ce pas le représenter par la beauté pure et vraie de ses imperfections ?