Alors que la saison 14 de Section de recherches se fait attendre su TF1, retour sur les origines de la série avec la créatrice Dominique Lancelot (La Garçonne).
Qu’on aime ou pas ces séries, TF1 est parvenue avec Section de recherches, à créer un vrai rendez-vous avec une régularité (tous les ans), une quantité d’épisodes suffisante et un rythme quasi industriel de production. Un modèle que beaucoup de chaînes aimeraient atteindre pour être capable de bien fidéliser les téléspectateurs. Derrière ce succès, on trouve d’abord une société de production, Auteurs et associés, ainsi qu’une femme, Dominique Lancelot que l’on a pu rencontrer il y a quelques années. Comment fonctionne cette société de production ? Quel lien a-t-elle avec ses scénaristes ?
Avant de parler de la façon dont vous travaillez sur les séries, pouvez-vous nous présenter Auteurs et associés?
Dominique Lancelot: Au départ, Auteurs et associés était l’association de plusieurs scénaristes de télévision plutôt confirmés et reconnus : Alexis Lecaye (Julie Lescaut, Dames de…), Alain Krief (Avocats et associés), Alain Robillard (Cordier, Juge et flic), et moi même (sur des unitaires). Et cette « union » est venue de l’idée de se dire que l’on serait plus fort à plusieurs pour devenir producteurs. En France, on n’aime pas les gens qui sortent de la case où on les a mis, c’est un exercice qui est très mal vu et l’annonce de la mise en route de notre société de productions a soulevé un tollé chez à peu près tout le monde, autant chez les producteurs qui se sont sentis en danger que chez les scénaristes qui ont cru que l’on « passait chez l’ennemi« . Et même chez certains diffuseurs qui ne souhaitaient pas bousculer les habitudes. Finalement c’est TF1 qui nous a donné notre chance. A l’époque, notre ambition était clairement de suivre les textes jusqu’au bout et de ne pas lâcher le processus créatif.
Mais c’est vrai que producteur est un métier. Une donnée importante que je connaissais pour avoir produit les courts métrages que j’avais écris mais mes amis un peu moins. Ils ont du coup été assez vite rebutés par le travail supplémentaire que cela représentait et qui était très différent de celui de scénariste. Car au lieu de rester seul ou à deux face à ce que l’on écrit, on se retrouve à brasser des équipes, du monde en permanence.
Le but était donc de redonner aux scénaristes leur place dans la structure de création d’une série?
D.L: Quand on a lancé cette société et à l’époque, les séries étaient très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui, même si Avocats et associés ou PJ se rapprochaient du modèle. Les autres étaient des 90 minutes construits sur le modèle d’unitaire. Et donc, on ne se posait pas la question de la place du scénariste par rapport à la série. Ce que l’on voulait nous c’était, en qualité d’auteur du scénario, participer à l’élaboration de notre série et avoir notre mot à dire jusqu’au bout sur le produit final. N’oublions pas qu’en télévision, normalement, toutes les décisions se prennent au moment de l’écriture, le réalisateur n’arrivant que très tard, plus tard, au moment du tournage. Les scénaristes avaient alors l’impression d’être dépossédé de quelque chose qu’ils avaient créé. On a fait une première tentative de création d’un 52 minutes qui n’a pas duré car il n’y avait pas les cases à l’époque pour le diffuser. La société a continué mais la plupart de mes amis scénaristes ont renoncé, à l’exception de Alexis Lecaye avec qui j’ai fait par exemple la saga L’été rouge et d’autres téléfilms. Mais nous avons fini aussi par nous séparer car j’avais l’ambition de faire aussi des choses que je n’aurais pas écris, j’avais déjà une démarche de productrice. Quelques temps plus tard est arrivé le projet Section de recherches que TF1 m’a proposé de mettre en place car ils voulaient du 52 minutes.
Quel a été pour vous l’élément déclencheur dans les chaînes françaises pour croire au « 52 minutes »?
D.L: Je pense que c’est un ensemble de facteurs. Le 52 minutes a toujours été le langage de la télévision. Ce n’est que dans les années 80 que s’est imposé le 90 minutes. Ce n’est pas quelque chose que l’on a découvert mais plutôt que l’on a redécouvert. Ce qui a amené les chaînes à ouvrir les yeux je dirais, c’est l’exemple étranger et la facilité de vente des séries de 52 minutes par rapport au 90′. Le 90′ ne s’exporte pas ce qui est un handicap majeur pour les producteurs qui se retrouvaient, avec ce format, totalement dépendants des chaînes qui les finançaient, sans avoir la soupape de se dire que l’on pouvait se rattraper sur les ventes internationales. Cela a donc entraîné une frilosité dans les scénarios. L’autre raison est l’impact des jeunes générations qui regardent essentiellement du 52 minutes, en tout cas pas les séries de 90′, et pour ne pas perdre le contact avec ce public important, on avait plutôt intérêt à s’adapter à ce qu’il voulait voir. Et enfin, il y a aussi une raison purement économique: l’autorisation donnée de faire une seconde coupure pub en prime time rendait très intéressant le 52′. Tous ces éléments se sont produits vers 2005-2006, époque où TF1 décide de me confier la création d’un 52′, Section de recherches.
Les débuts ont été un peu chaotique dans l’installation de la série, notamment en raison de sa programmation. La chaîne était en effet très pressée de la mettre à l’antenne (seulement pour 4 épisodes), ils n’ont pas attendu qu’il y en ait plus donc on a eut une très longue attente avant de proposer la suite. En plus, on a tenté d’imposer un certains modèle de séries américaines, non feuilletonnantes, très peu de vie privée.
J’ai la sensation que Section de recherches a évolué en cherchant à moins copier les séries américaines et à trouver sa propre identité…
D.L: On a eu une vraie prise de conscience de la nécessité de trouver notre propre rythme. De ne pas essayer de s’inspirer par l’image ou par certains « gadgets » des séries américaines. J’avoue tout de même que ça m’énerve un peu qu’on nous reproche de copier les Américains quand on essaye juste de donner du rythme, de soigner l’image de sa série,… D’autant plus paradoxale que j’ai vraiment décidé d’encrer mes personnages dans la province française (avec des personnages de gendarmes, compétents pour agir en milieu rural) mais en évitant de faire « du France 3 » c’est-à-dire en montrant les arrivées de voitures, les gens qui frappent aux portes, et en rentrant plus vite dans le cœur des scènes, en faisant des trajets en hélicoptère,…et en étant délibérément français.
Je discutais avec les scénaristes de Dolmen qui travaillent sur Section de recherches (Nicole Jamet et Marie-Anne Le Pezennec) qui me disaient que vous aviez mis en place un peu un système de « showrunner » que vous pourriez être avec des scénaristes écrivant pour vos séries… C’est ça pour vous la clé pour écrire des séries?
D.L: Tout s’est fait de manière empirique. Je ne me suis pas levé un matin en décrétant que j’étais le showrunner des séries. Ca s’est fait petit à petit, notamment face au volume d’épisodes que voulait la chaîne et que je souhaitait honorer. On en est arrivé à ce mode de fonctionnement qui est celui des séries américaines. Ce qui tendrait à prouver que pour un certains types d’histoires, pour un certain rythme de tournage (14 à 16 épisodes par saison) qui fait que l’on travaille tout le temps, il y a un modèle qui fonctionne bien, celui de la « writing room » où des auteurs se retrouvent chaque jour pour travailler ensemble. C’est vrai que dans le cas de Section de recherches, je suis le showrunner puisque j’ai créé la série, j’en suis toutes les étapes de fabrication puisque je contrôle et accompagne les réalisateurs sur la mise en images de la série, et même jusqu’à la création du génériques (Dominique Lancelot était en train de travailler sur une nouvelle version du générique de la série quand on l’a rencontré et elle nous a montré un exemple de décisions qu’elle pouvait avoir à prendre ndlr), mais aussi le montage car c’est ce qui va permettre d’avoir une homogénéité de la série. Mais je ne travaille pas seule, j’ai des collaborateurs qui suivent le tournage en permanence et qui suivent le réalisateur depuis les repérages jusqu’au montage où ils m’accompagnent car c’est en montant les épisodes que l’on comprend comment il faut les écrire. C’est une façon très nouvelle de travailler en France même si on retrouve un travail similaire dans des cas d’auteurs-réalisateurs comme Hadmar-Herpoux où sur des soaps comme Plus belle la vie.
On travaille avec cette série sur deux ateliers parallèles car on doit sortir deux scénarios par mois. Les scénaristes se retrouvent 4 jours par semaine, pendant plusieurs heures pour travailler sur un scénario qu’on élabore ensemble. C’est seulement au moment de la rédaction du « séquencier » qu’un auteur est désigné pour l’écrire après validation en groupe. Ensuite, on a un autre auteur qui va rédiger les dialogues.
La structure est en fait très hiérarchisée. Dans chaque atelier, on a un responsable d’atelier qui va diriger l’écriture du séquencier en la confiant à un des auteurs, souvent celui qui a amené l’idée de départ. Cet auteur rédige une première version, qui est ensuite « peaufinée » par le responsable d’atelier qui en sort une seconde version. On a ensuite un autre auteur qui sort la première version de dialogues qui repasse souvent entre mes mains après pour que je la retravaille.
Crédits: TF1/ © Jean-Louis Paris