On ne présente plus Japan Expo. Devenu une véritable institution pour les férus de japanimation, le salon semblait arrivé à maturité l’année dernière. Retour sur une 16ème édition qui semble transformer l’essai et proposer de nouvelles perspectives.
Comme l’année dernière, Radio VL est parti en expédition à Japan Expo. Avant de vous plonger dans la lecture de l’article, n’hésitez pas à visionner notre reportage consacré à l’évènement !
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Une organisation rodée mais dynamique
Le premier constat qui saute aux yeux, c’est que l’organisation du salon est désormais bien établie. Les stands n’ont que très peu bougé, et les espaces ont été clairement attribués et délimités. Les habitués pouvaient ainsi retrouver leurs marques plus facilement, quitte à perdre le côté fourre-tout des débuts. La canicule ayant fait son œuvre, de nombreux cosplayeurs ont préféré battre en retraite. Les plus courageux ont cependant revêtu des costumes toujours aussi ambitieux et originaux, pour le plus grand bonheur des photographes et des autres visiteurs : on a pu croiser les Daft Punk, Kung Fury, un duo de Space Marines, War Machine des Avengers, Denver le dinosaure ainsi qu’un majestueux EVA-01. Alex Pilot, directeur des programmes et fondateur de la chaîne Nolife, a vu naître et grandir l’univers des conventions. Pour lui, c’est « la preuve que le rassemblement a su rester fidèle à ses origines. Chaque année, c’est toujours la fête. »
Comme toujours, les éditeurs ont rivalisé pour mettre en avant leurs nouvelles licences. Parmi les titres qui ont retenu notre attention, Ajin (Glénat), Poison City (Ki-Oon), Nisekoi (Kaze), Prison School (Soleil), et Les Chroniques d’Arslan (Kurokawa). La concurrence s’étend également aux modèles de distribution. Dans le but de proposer un rythme de sorties plus soutenu, les distributeurs français privilégient de plus en plus les liaisons directes avec l’archipel nippon. Après le rachat de Viz Media par les géants Shôgakukan, Shûeisha et ShoPro, le groupe Aniplex a décidé d’investir dans la plate-forme Wakanim, afin de proposer une offre légale diverse et dynamique. Son président fondateur Olivier Cervantès nous a présenté ce nouveau programme un abonnement par paliers permettra au client d’accéder à des réductions sur les supports physiques (DVD/Blu-ray) du catalogue, en partenariat avec les autres éditeurs. « Le but n’est pas de remplacer ce qui existe déjà, mais de proposer une nouvelle fenêtre de visibilité en harmonie avec les autres offres déjà présentes. » Le nouveau site a été mis en ligne ce lundi 13 juillet.
Une communauté toujours bouillonnante
Japan Expo, c’est avant tout une communauté portée par des amateurs jamais en manque d’idées. Non loin de l’entrée se trouvait le stand de VoxWave, start-up française qui présentait le projet ALYS, « logiciel de synthèse vocale et chanteuse virtuelle francophone » comme nous l’a présenté le président Joffrey Collignon. « Si tu as un projet musical, ALYS peut l’incarner et l’interpréter. À terme, on souhaite donner vie à une véritable communauté qui crée et partage des morceaux générés sur la Toile. » Encore au stade de prototype, ALYS a déjà sorti un premier album mené entre autres par Shindehai, compositeur du collectif VoxMakers, mais aussi de jeunes talents comme Lightning ou heart★breaker. Ce projet encore jeune dispose d’une belle marge de progression, et pourrait bien faire partie des attractions à surveiller pour les prochaines conventions en hexagone.
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Frédéric Molas et Sébastien Rassiat, créateurs du Joueur du Grenier, ont également fait le show. Dans une séance de questions-réponses, le duo s’est confié sur l’avenir de leur chaîne Youtube, ainsi que sur les nouvelles dynamiques qui animent la grande famille de l’Internet francophone : « Maintenant que les vidéastes ont leurs propres conventions, ils pourraient effectivement se détourner de Japan. Mais ce rassemblement reste une base commune que nous partageons quasiment tous, ça reste la meilleure occasion pour retrouver notre public. »
Seule ombre au tableau, les artistes amateurs doivent faire face à des tarifs de plus en plus discriminants. Nous avions déjà remarqué leur recul l’année dernière, mais la tendance s’est accentuée cette année : à moins de louer un espace « jeune créateur », le plafonnement des prix des produits à 12€ n’aide pas l’intéressé à rentabiliser son stand… Un artiste exposant (qui a tenu à rester anonyme) a exprimé son ressenti : « Ça fait deux ans que j’arrive à être rentable, soit en prenant des commissions en amont de la J.E. supérieures au plafond, soit en multipliant les sources de revenus (plus de choix de prints, goodies…)« . C’est peu de le dire, le circuit est plus compétitif que jamais.
Une nouvelle arène pour l’industrie vidéoludique
Japan Expo semble désormais avoir acquis les faveurs des géants japonais du jeu vidéo, qui prennent le rassemblement très au sérieux. Tout d’abord, Square Enix a mis le paquet avec la venue de Yuji Horii, ni plus ni moins le créateur du RPG japonais et de la saga mythique Dragon Quest, pour présenter le spin-off action-RPG Dragon Quest Heroes prévu sur PS4. Yuji Horii, visiblement galvanisé par un accueil très chaleureux, s’est laissé aller à quelques révélations imprévues : Dragon Quest VII et VIII seront portés et localisés en Europe sur 3DS avant la fin de l’année. L’auteur en a également profité pour rompre le secret sur Dragon Quest XI : il s’agira d’un RPG classique offline sur consoles de salon. De quoi ravir les puristes !
Mais le plus grand événement du salon, c’était bien sûr la venue exceptionnelle de Shigeru Miyamoto pour la toute première masterclass de Nintendo. Un véritable show présenté par Bertrand Amar et traduit par Grégoire Hellot, avec deux invités surprise : Takashi Tezuka (premier développeur engagé par Miyamoto, à qui l’on doit Super Mario World et Yoshi’s Island) et Tsubasa Sakaguchi (Splatoon). Le duo a notamment présenté les différents véhicules utilisables dans StarFox Zero. Ces derniers, à débloquer une fois le jeu terminé, permettront d’accéder à des zones cachées dans les niveaux.
Pour les 30 ans du plombier moustachu, les deux confrères ont également fait une démonstration en direct de Super Mario Maker. Le titre, qui permettra à chacun de créer et partager en ligne ses propres niveaux de Super Mario, sera également vendu avec un appendice initiant le joueur aux techniques du level design grâce à un système de codes disséminés dans le livret. Après plusieurs années de Nintendo Direct, on peut dire que Big N a réussi son retour sur scène. Peu de nouvelles annonces, mais l’opération de réconciliation avec le public a été très réussie. Une transition que Miyamoto va devoir porter, après le triste décès de Satoru Iwata survenu ce weekend.
Les conférences, un nouvel horizon ?
Outre la venue exceptionnelle de Shigeru Miyamoto, Japan Expo a considérablement élargi son panel d’invités. Pour les 20 ans de la série culte Neon Genesis Evangelion (ci-contre), le character designer de renom Yoshiyuki Sadamoto a répondu aux questions du public, portant un regard très exigeant sur son propre travail : « Je pense qu’un bon design doit conduire naturellement à l’intelligence ». Shichiro Kobayashi, responsable des décors sur de très nombreuses séries des années 80 et 90 telles que Rémi sans famille, Berserk et Utena, la fillette révolutionnaire (ci-dessous) s’est également prêté à l’exercice, suivi d’un live drawing. Une exposition permettait également de mesurer le talent d’un dessinateur qui ne cache pas son admiration pour Van Gogh. On pouvait cependant déplorer l’absence d’exposition ou d’invités en relation avec Dragon Ball, qui fêtait ses 30 ans cette année…
Des enseignants et universitaires ont également mené plusieurs masterclass destinées à quelques jeunes dessinateurs triés sur le volet. Le scénariste Eiji Otsuka, devenu professeur à l’université de Kyoto, a notamment proposé à quelques étudiants en bande dessinée de corriger leurs storyboards. L’occasion de revenir sur les différences entre manga et bande dessinée franco-belge. Nous avons pu rencontrer son jeune assistant Tatsuya Asano, qui prépare une thèse sur le sujet au Centre International de Recherches Japonaises de Pékin : « Venir en France est très important pour nous qui cherchons à diffuser le savoir-faire japonais en matière de manga. C’est l’occasion de faire se rencontrer deux façons de dessiner, d’exposer et raconter une histoire, d’émouvoir aussi. » À l’interface entre deux univers, Japan Expo tient sans doute là une nouvelle perspective d’élargissement.
Si elle donne l’impression de camper sur ses positions, Japan Expo évolue pourtant en profondeur. Plus que jamais la culture visuelle japonaise semble se définir comme un patrimoine à conserver et à partager. Pour pérenniser cet univers à part entière, les conférences et masterclass ont pris en importance, menées par des invités de marque à destination d’un public plus érudit. Une façon de diversifier le contenu du salon par le haut en fidélisant un public qui a désormais mûri.
Radio VL espère vous retrouver l’année prochaine à Japan Expo !
Remerciements : Tatsuya Asano, Olivier Cervantès, Joffrey Collignon, Alex Pilot
Nolife, VoxWave, Wakanim
Reportage : Karel Kamphuis, Sébastien Semo