Si le Naruto géant trônait toujours à cette 18ème édition de Japan Expo, une autre saga historique a su marquer cette édition 2017 de son empreinte. Grand revenant dans les étalages de blu-ray et sur les services de VOD, le mythe Gundam tente une nouvelle incursion chez nous, portée notamment par Crunchyroll France et l’AEUG. Nous avons rencontré les têtes pensantes sur le salon.
Pour qui a arpenté les allées de Villepinte les années précédentes, ça avait tout d’une première. Bandai Namco s’est en effet abstenu de présenter ses jeux vidéo, à l’actualité pourtant foisonnante (Tekken 7, Dragon Ball FighterZ, One Piece Unlimited World RED réédité sur Switch…). De même, le Vogue Merry géant, devant lequel on pouvait s’arrêter chaque année, a été remplacé par une boutique de figurines Gunpla. Exit One Piece et Tales of, les robots occupent l’espace : le signal avait le mérite d’être clair.
Mur porteur de la pop culture japonaise depuis sa création par Yoshiyuki Tomino à la fin des années 1970, Mobile Suit Gundam n’a jamais vraiment su faire son trou en France sinon auprès d’un public d’initiés et de façon assez tardive. À la fin des années 90, la série avait pourtant tenté une première incursion sur M6 avec Gundam Wing. Cette diffusion hebdomadaire, qui faisait écho à celle d’Evangelion et Vision d’Escaflowne sur Canal+ quelques années plus tôt, n’a malheureusement pas rencontré le même succès. Dès lors, le mythe fondateur des robots géants a connu un succès plutôt confidentiel, essentiellement porté par l’éditeur Beez jusqu’à sa disparition à la fin des années 2000.
Une stratégie d’exportation sur mesure
Malgré cette érosion en France, Gundam a su reprendre du poil de la bête à l’international ces dernières années. La dernière série en date Iron-blooded Orphans, diffusée par Crunchyroll en simulcast, a marqué le début d’une réconciliation avec le public occidental. Un élargissement de l’audience sur lequel comptent bien surfer Bandai et Sunrise pour corriger ce rendez-vous manqué avec la France.
Jean-Philippe Dubrulle, président fondateur de l’AEUG (Association pour l’Essor de l’Univers Gundam), la mise en avant de Gundam à Japan Expo matérialise une double stratégie qui s’étend sur deux ans : « Du côté de Bandai, l’action était purement goodies : il fallait retenter l’aventure en France après des déconvenues assez retentissantes. La recette japonaise ne pouvait pas s’appliquer : il a fallu avancer en douceur, avec des objectifs à long terme pour pérenniser la licence. Sunrise s’est en revanche engagé dans une entreprise de diffusion massive. »
À écouter : HyperLink #22 : Gundam de coeur, en compagnie de Jean-Philippe Dubrulle
Pour mener à bien le réveil de leur licence fétiche, Bandai et Sunrise ont dû faire des concessions. Plusieurs séries avaient déjà été traduites par Beez, et étaient donc prêtes à être diffusées. Si la plate-forme VOD Daisuki appartenant à Bandai fut un temps privilégiée, son parc d’utilisateur trop réduit en Occident ne permettait pas de pérenniser la marque. Il leur a fallu se tourner vers d’autres diffuseurs étrangers, le trophée revenant finalement à Crunchyroll. Son catalogue étant mondial, la France a par ricochet récupéré la licence.
Contrairement à ce que le regain récent de la saga peut laisser penser, la résurgence de Gundam s’est faite de manière très progressive. Pour Olivier Fallaix, consultant chez Crunchyroll France, il ne faut pas brusquer le public : « Notre aventure a commencé avec Iron-blooded Orphans, qu’on a diffusé en simulcast avec Wakanim et Daisuki. Nous avons ensuite récupéré Unicorn, que nous étions les seuls à diffuser en France. Au départ, il n’y a pas eu de volonté de tout récupérer : nous avons plutôt obtenu les séries développées à partir des années 90, qui se regardent indépendamment les unes des autres contrairement aux séries du canon de Tomino. C’est important pour nous car Gundam est une série qui sait intriguer, mais la chronologie peut avoir un effet rebutant. Pour l’essentiel, nous avons choisi des séries accessibles, qui ont chacune une direction et un public différent : Wing vise un public féminin, 00 adopte un ton politique, Unicorn revient aux origines… »
Une exportation difficile si l’on tient compte des habitudes de consommation propres à chaque marché. Dans un contexte de contraction du cycle de production et de localisation l’impatience du public coûte cher, notamment en Occident où les communautés de pirates n’hésitent pas à couper l’herbe sous le pied des éditeurs. Comme l’explique Jean-Philippe, la diffusion en simultané via des plate-formes de streaming légales reste la meilleure riposte : « À Sunrise de prendre acte de la révolution dans la chaîne de diffusion : ça a été difficile au début pour eux, mais le simulcast est devenu la norme. À partir de là il faut arroser : au pire ça fait vendre quelques Gunpla (figurines dérivées, ndlr), au mieux les séries décollent et les abonnements fleurissent ! L’important, c’est de toujours réinjecter de l’argent dans la création. »
À la confluence des milieux professionnel et amateur, la première convention japanime d’Europe joue évidemment un rôle facilitateur dans le processus de localisation : « Ce n’est pas spécifique à Gundam : Japan Expo rassemble un public qui, par sa présence, permet de déployer des moyens pour faire la promotion d’un produit ou lancer de nouveaux projets. » C’est ce même rapprochement qui a d’ailleurs permis à l’AEUG de trouver sa place dans le processus : « J’y suis allé avec ma casquette de président mais aussi en qualité de traducteur d’animes. Autant j’ai été demandé sur Zeta et ZZ par @Anime, autant je suis allé voir Crunchyroll pour G-Gundam car c’est une série qui me tient à coeur. Pour les autres séries j’ai confié mes bibles de nomenclatures aux équipes de traducteurs afin de garantir la cohérence de l’univers. Mon modèle reste la traduction de One Punch Man où le parti-pris éditorial de déconne totale sert l’oeuvre. J’espère m’en être approché avec G-Gundam ! »
Malgré un ton qui jure avec la gravité des séries qui la précède, G-Gundam a toute sa place dans la stratégie d’exportation qui vise aussi bien les écrans que les étalages des magasins. Comme le rappelle Olivier Fallaix, la saga règne sans partage sur le marché japonais du jouet haut-de-gamme avec ses maquettes Gunpla : « Les exécutifs de Bandai étaient très intéressés car G-Gundam ou encore Build Fighters ciblent les plus jeunes et correspondent aux produits qu’ils essaient de lancer en France. On sort du conflit militaire pour aller vers des tournois de robots à la Beyblade, tout en conservant des clins d’oeil aux séries originales. La maquette devient le sujet d’une série qui sait se moquer d’elle-même ! » Seuls les 24 premiers épisodes de G-Gundam ont pour l’instant été traduits, mais la deuxième moitié de la série devrait débarquer sur Crunchyroll dans le courant du mois d’août. Outre les jouets, Bandai soigne également sa branche jeux vidéo avec l’arrivée de Gundam Versus sur PlayStation 4 en automne.
Rien ne sert de courir…
Si Crunchyroll propose une offre dématérialisée conséquente, l’éditeur @Anime propose en parallèle les oeuvres de Yoshiyuki Tomino avec des coffrets DVD et blu-ray pour Mobile Suit Gundam (trilogie de films récapitulant la série originale, ndlr) et sa suite Mobile Suit Zeta Gundam. Aucun accord de principe ne lie les éditeurs physiques et dématérialisés sur d’éventuelles sorties croisées, mais Jean-Philippe reste optimiste : « On est un lobby de l’ombre pour essayer de faire arriver les choses. On a eu G-Gundam en démat, soyez sûrs qu’on embêtera les bonnes personnes pour que ça sorte en physique chez nous ! » Si on peut se prendre à rêver de voir arriver la chronologie de Tomino sur Crunchyroll et Unicorn dans nos étagères, Olivier Fallaix temporise : « Le fait qu’une série soit déjà sous-titrée peut faire réfléchir. En l’occurrence le sous-titrage revient toujours à l’ayant-droit japonais donc libre à eux de l’utiliser pour le proposer à d’autres parties, mais ce ne sera pas de notre fait. On a tous l’ambition d’élargir le public aujourd’hui constitué d’initiés, mais on ne fera jamais comme au Japon. C’est assez étonnant, car l’arrivée de la japanimation en France s’est pour partie faite par les robots géants avec Goldorak, Robotech… Curieusement, ce genre ne marche plus très bien chez nous. C’est une tendance que l’on veut renverser. » Le pas est assuré, mais pas question de forcer la marche !
Visuels : Bandai, Sunrise, Gundam Toy Shop, Crunchyroll, @Anime