Paris : levé 5h30 du matin. Cannes : arrivée 12h35.
Me voilà on ne peut plus fraîchement débarquée au festival. Je vais enfin monter le Red Carpet ! Papa, maman, amis condescendants, ma revanche est signée.
14H30 : course effrénée à travers Cannes pour attraper des invitations au vol. Sourire enjôleur aux vigiles pour excuser le retard.
14H40 : mon premier film cannois de l’année sera donc de la Quinzaine. Film choisi au hasard au titre imprononçable et si vite oublié. C’est le petit plaisir de Cannes, tomber sur des pépites au hasard. Manqué ! Me voilà pantoise devant un documentaire de plus de deux heures sur le conflit Israélo/Palestinien. Je me rassure comme je peux. C’est aussi ça Cannes, découvrir, se laisser surprendre par des films que vous n’iriez jamais voir (et d’ailleurs que vous ne retrouverez jamais dans aucune salle) et subir le poids de cette connaissance. Je ressors hantée par des images de guerre dont celle d’une petite fille coincée sous des cadavres. On se reprend !
Palais des festivals. Je récupère le fameux sésame, l’accréditation presse ! C’est immensément grand. Partout des journalistes s’agitent, font la queue, montrent leur badge, patientent, montrent encore leur badge. Tout va vite, je ne vois pas le panneau des remises de sacs offerts juste sous mon nez, tout un stand vide pour 3 employés qui m’attendent pour me remettre le sac des travailleurs officiels de Cannes. Badge validé. Cette année le sac est « so nineties » en faux jean, lettres à peine visibles. Dedans, de la paperasse. Déjà je sens monter en moi une réalité. Quand aurais-je le temps de lire tout ça ? Me voilà avec 2 sacs lourds et mon appareil photo, mes cheveux sont en bataille, je sue et mon manteau glisse de mes épaules. Il y a des vestiaires. Plus tard. Il y a mille salles dans cet espace ; des salles de conférence, des salles de cinéma, des salles de rien. Devant un panneau officiel de plantureuses jeunes femmes posent en robe de soirées extravagantes pour un photographe. Qui sont-elles ? A quoi servent-elles ? Rien n’a de sens. Sourire enjôleur au vigile. Badge validé. Me voici dans l’antre des journalistes. Combien sont-ils ?Seuls ou à plusieurs, tous sont ultra-connectés, le nez dans leur ordinateur. Il faut écrire, rendre des comptes, témoigner avant que la mémoire ne s’efface. Les mots doivent traverser le réseau pour remonter jusqu’à Paris ou Tombouctou. Je m’agite faussement, triture cent fois les mêmes papiers, j’ai naïvement laissé mon instrument à l’appartement. Sons de claviers, images d’élèves consciencieux, je suis prise de l’angoisse de la bibliothèque, coupable et soudain épuisée, je prends mes affaires en hâte et disparais dans la ville.
18h00 : je prends mon déjeuner en marchant, un pain au chocolat accompagné d’une boisson énergétique, seul plat à peu près abordable. Je cours déjà, il faut faire la queue. C’est la sélection officielle cette fois. Je vais enfin monter les marches. Il pleut légèrement. Je suis affamée. J’ai un soda à la main que je n’arrive pas à finir et un argentin pressé qui me colle aux basques pour que j’avance plus vite. Sourire enjôleur aux vigiles qui ne me regardent pas. Badge validé. Je monte les marches sans y penser. On se reprend. Me voilà devant mon premier film en compétition. C’est le dernier Christophe Honoré. Manqué. Deux nouvelles heures de prise d’otage. Pas le temps d’en rire, il faut rentrer et écrire. Mes rêves de plage et d’apéros s’estompent peu à peu. On reviendra pour les vacances.