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« Juste la fin du monde » : un huis-clos à retardement

Le 21 septembre est sortie le dernier film du jeune prodigue Xavier Dolan, Juste la fin du monde. Il est adapté de la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce. Le réalisateur s’est fait un nom en démontrant l’étendue de son talent pour dépeindre les tourments, les tensions et les tragédies qui en découlent. Ses films mettent en scène une sensibilité qui s’affirme avec vigueur et intensité. Dans Juste la fin du monde, c’est l’histoire de Louis, un homme de 34 ans, qui vient annoncer sa mort prochaine à sa famille qu’il n’a pas vu depuis douze ans.

Crédits photo : Télérama

Crédits photo : Télérama

Louis arrive le Dimanche, jour des querelles familiales, hors du temps, « quelque part, il y a quelque temps ». La névrose familiale se dessine dans un huis-clos à retardement alors que le réalisateur parvient toujours aussi bien à osciller entre comédie et tragédie.

Des personnages tourmentés

Tout le long du long-métrage, Louis et son regard profond mais vague donne cette impression de distance. Etranger de sa famille, laconique à outrance, son mutisme traduirait son indifférence. Si une sensibilité mystérieuse n’était pas lovée dans ses yeux. Cette distance qui s’enracine depuis des années est à l’origine des caractères des autres membres de la famille. Marqués par l’absence.

Crédits photo : 20 minutes

Crédits photo : 20 minutes

Antoine (Vincent Cassel), le frère sanguin et corrosif, nourri ainsi une rancœur versatile qui exprime tout le tragique du manque et de ses tourments. Face à la belle-sœur (Marion Cotillard) maladroite et effacée, à la sœur (Léa Seydoux) souffrant d’une jeunesse amputée, ou encore à la mère (Nathalie Baye) qui se veut la colonne vertébrale d’une famille aux caractères éclatés, Louis doit se recroqueviller dans sa tragédie intérieure.

« Des mots pour nous enculer avec »

Ainsi, comme on pouvait s’y attendre venant d’un film inspiré d’une pièce, les dialogues sont à l’épicentre du dispositif narratif. Les dialogues, et les silences, dont le contraste est saisissant. Dolan nous immerge de cette manière dans son esthétique du silence. De plus, les plans serrés sur les personnages monologuant détonne sur l’effacement de Louis. Ce-dernier, profondément incompris, est comme un spectre, un signe ininterprétable.

Crédits photo : Allociné

Crédits photo : Allociné

Les conversations semblent toujours sur le point de s’enliser, sur le fil. Comme le montre le ressassement des souvenirs de la mère, ou bien les digressions magnifiquement intempestives de la belle-sœur. En véritable étranger, Louis n’est pas compris et sa crainte sans cesse confirmée le renferme sur son mutisme. « Des mots pour nous enculer avec » s’exclame Antoine à propos des mots de Louis.

« Juste la fin du monde » : le double-jeu et le déchirement

De manière récurrente, Louis semble déchiré. Entre une froideur mortuaire due au fait qu’il se sache condamné (par le sida, tu dans le film), et une gaieté pétillante qui l’interpelle au loin. Celle de sa sœur, de sa mère. Déchiré aussi entre la tendresse et l’indifférence. Entre se faire oublier et se souvenir. Antoine de son côté a le déchirement le plus flambant, le plus figuratif. Ainsi son hystérie quasi-skyzophrènique en fait un personnage très touchant, d’autant plus qu’il implose pour protéger. Les dialogues eux-mêmes semblent disjoints, les coutures y sont visibles. Procurant un malaise, un vertige des mots.

Crédits photo : Allociné

Crédits photo : Allociné

Ainsi, Juste la fin du monde, on assiste donc au retour d’un étranger traité comme tel. Ce sur une bande originale dont la pertinence n’est plus à prouver chez Dolan. La révélation sans cesse avorté par Louis, il la transpire par tous ses pores tout le long du film.  La tragédie individuelle du sida et de l’acceptation de soi par les autres est d’autant plus intense qu’elle est suggérée. Sans cesse attisé par le drame familial qui imprègne chaque regard, chaque scène. Enfin, à Lagarce de conclure : « Et je marche seul dans la nuit, à égal distance du ciel et de la terre. »

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